Réponse au discours de réception de Marcel Prévost

Le 21 avril 1910

Paul HERVIEU

Réception de Marcel Prévost

 

 

Monsieur,

Si votre illustre prédécesseur, comme vous venez d’en faire mention, ne marquait pas toujours un patient intérêt pour les propos d’autrui, nous sommes convaincus néanmoins qu’il eût prêté l’attention la plus délicatement émue à écouter tout au long votre discours.

Ainsi que nous y avions bien compté de votre part, vous avez admirablement rappelé son œuvre considérable, sa carrière acclamée, sa légendaire physionomie, son rôle exceptionnel sur la scène française durant un demi-siècle. N’est-ce pas, toutefois, la pure modestie qui vous priva d’apercevoir plusieurs correspondances de son cas avec le vôtre, pour lesquelles l’Académie aura trouvé judicieux de vous désigner à sa succession ?

Cette traditionnelle modestie du récipiendaire, — que vous avez analysée avec quelque ironie, — lui est souvent imposée bien moins par un excès de politesse que par une certaine force des choses devant s’expliquer ainsi : Entre celui qui est sorti de cette enceinte par la majestueuse porte de la mort, et celui qui arrive parmi nous, n’ayant point par conséquent rempli déjà toute sa destinée, les conditions ne sont pas égales. Ce serait une recherche curieuse que de comparer, pour chaque membre de notre Compagnie, le discours qui salua son entrée avec celui qui salua son départ. D’autant que l’usage ici est d’être si bon débiteur que l’on ne veuille pas y devoir la vérité seulement aux défunts, mais que, — pour s’acquitter plutôt deux fois qu’une, — on aime la payer aux vivants tout d’abord, aussi complètement que possible.

Je vous assure que vous ne jugeriez pas votre part imméritée ni que l’éloge fût trop débordant, si je rééditais en votre honneur les termes de bon accueil qui servirent envers la personnalité dont vous occupez aujourd’hui le siège. Et, cependant, personne ne trouverait inexact non plus que je reprisse, pour les appliquer à votre maîtrise de romancier, nombre d’expressions qui, en ce temps-là, s’employèrent à caractériser la maîtrise du dramaturge, entre autres : « son habileté à se reconnaître dans les aventures que font naître les jeux du hasard et de l’amour », « son art de tisser les trames et de trouver les dénouements », d’atteindre au pathétique et aux conclusions morales. En outre, ne partagez-vous pas avec lui faculté de saisir les sujets en flottaison dans l’atmosphère, et de les mettre excellemment en valeur littéraire ? Et si, dans sa comédie Les Femmes fortes, par exemple, il a raillé un féminisme auquel vous avez, vous, rendu hommage sous une rubrique presque pareille, ne sait-on pas que le contraste est un rapport entre les êtres ou les objets, tout autant que la ressemblance ?... Lorsque Victorien Sardou fut reçu en 1878, — par Charles Blanc, substitué à Dufaure, pour lors Président du Conseil, — dès cette époque et en raison de quarante pièces de théâtre, il était célèbre jusqu’à des confins où votre réputation est parvenue, de même, avec une trentaine de livres. Il avait écrit des comédies, qui sont au nombre de ses meilleures, et le drame glorieux qui s’appelle Patrie. Mais il lui restait à donner, dans une deuxième floraison, Théodora et Divorçons, La Tosca, Thermidor et Madame Sans-Gêne, pour ne pas emprunter davantage à la liste des ouvrages fameux qui sont postérieurs à son élection. C’est vous dire, Monsieur, que, considérant ce qui demeure en vous d’esprit fertile et de robuste jeunesse, nous ne serions pas surpris si votre sève d’écrivain, sur le sol où vous prenez pied en ce moment, allait renouveler aussi vos succès ou les grandir encore.

 

Comme Sardou, vous êtes né à Paris, mais d’une mère normande dont vous avez plus tard entouré pieusement le veuvage, et d’un père poitevin qui, fonctionnaire des Contributions Indirectes, transporta bientôt sa famille dans le poste de Tonneins où il était nommé. Pour vous, le premier paysage contemplé ne fut donc pas les côtes de Provence, mais les coteaux de Gascogne. Du moins, les deux climats sont renommés à titre égal, pour leur effet de porter les tempéraments à imaginer des histoires, à les broder avec richesse et avec entrain. Votre séjour d’alors, en Lot-et-Garonne, vous laissa une impression ineffaçable, sur laquelle nous aurons à revenir plus tard. Mais nous vous voyons pour l’instant réduit à suivre les déplacements de l’emploi paternel. Vous devenez, en septième, élève du Petit Séminaire de Mgr Dupanloup, à Orléans. Vous passez ensuite par le collège de Châtellerault. Puis ces pérégrinations vous mènent achever les études de l’enseignement secondaire au collège Saint-Joseph-de-Tivoli, à Bordeaux.

Votre arrivée dans cet établissement fut, paraît-il, sensationnelle. J’ai lu cela sous la plume d’un compagnon de vos études, votre ami de toujours, M. Camille Vergniol qui, de même que vous, est ensuite entré en littérature. Vous vous présentiez comme élève de Seconde, n’ayant que quatorze ans. Plus jeune que tous vos camarades de classe, vous étiez aussi de plus petite taille ; et, ainsi qu’il advient souvent aux intelligences précoces, votre tête, sur un corps en ce temps-là débile, paraissait plus volumineuse que de raison. Vous aviez sous le bras une charge insolite de livres, et, sur le nez, un lorgnon. C’était de quoi déjà vous désigner à ces moqueries, contre tout ce qui est différent de l’ordinaire, que se plaisent à pratiquer les écoliers. Ne doivent-ils pas être hommes ? Mais votre cas s’aggravait de ce que vous portiez un habillement nuance fleur-de-pêcher, dont le pantalon devenu trop court ne descendait plus jusqu’aux chevilles. Aborder en cet appareil la cour de récréation, le cirque des jeux, c’était, Monsieur, aller au martyre. Voici comment vous y avez bientôt échappé : le prochain lundi, vous étiez premier en version latine ; les lundis suivants, premier en thème grec, premier en narration française, premier en tout, premier toujours, pendant trois ans. Pour votre sauvegarde, vous aviez imposé cette déférante estime qui, dans le langage des collégiens, s’appelle, si je ne me trompe, de « l’épatement ». Conquérant tous les honneurs en usage chez vos instituteurs, vous fûtes préfet de congrégation, maître des cérémonies, et enfin — titre dont nous n’avons pu vous conférer qu’une parcelle — on vous nomma, dans cet autre milieu, président de l’Académie.

Votre retour à Paris eut pour but de vous faire suivre, rue des Postes, les cours de mathématiques qui vous conduisirent à l’École Polytechnique. De celle-ci, vous êtes sorti dans les vingt premiers, en qualité d’élève-ingénieur de l’État, pour fournir deux années à la manufacture du Gros-Caillou. Durant cette période, de 1884 à 1886, — et selon un projet de vous adonner aux lettres qui vous tenait depuis l’adolescence, — vous avez composé votre premier roman, en venant tous les jours à votre bureau administratif, pour l’écrire. On ne célébrera jamais assez tout ce que l’Administration inculque d’habitudes ponctuelles aux littérateurs débutants, ni tout ce qu’une jeune littérature aura fait boire de frais aux buvards officiels. En ce qui vous concerne, Monsieur, je suis persuadé que vous avez soigneusement veillé à ce que le bien public ne souffrît pas de vos occupations privées ; et, me gardant de prendre parti dans les griefs qui ont été quelquefois soulevés par les consommateurs, je me défends d’avoir apporté, en cet endroit-ci, une contribution pouvant servir à l’histoire des malfaçons dans la Régie des tabacs.

Ce qui ne doit pas moins être hors de contestation, c’est à supériorité de l’ouvrage que vous veniez de terminer. Bien qu’il fût de pensée libre, il ne comportait pas d’ingratitude envers les maîtres de votre éducation. Le Scorpion s’ouvre par une dédicace à José-Maria de Heredia qui, auparavant, avait déjà eu connaissance de vos essais dans la presse. Nul n’apporta plus de chaleur que ce maître prestigieux à communiquer ses sympathies pour un écrivain nouveau. En franchissant le seuil du petit salon où ses amis de lettres, poètes et prosateurs, étaient reçus dans le feu de ses discours, dans le ronflement de sa voix, dans un choc d’idées étincelant parmi la fumée des cigares, on croyait pénétrer chez le héros d’un de ses sonnets rutilants, chez le Prince de la Forge. Combien sont-ils dont la foi en eux-mêmes a été trempée par lui ! Que de noms jusque-là inconnus il a martelé dans toutes les oreilles ! Que d’obscurs espoirs il a fait pétiller, à son bon souffle qui contenait la renommée ! José-Maria de Heredia, ayant immédiatement prédit qu’un bel avenir vous attendait, se fit votre parrain auprès de l’éditeur du Parnasse et du groupe confraternel qui réunissait des survivants, des descendants et des adoptés sous cette invocation. L’étrier était forgé, qui vous mit en selle et en évidence, ainsi que cela revenait légitimement à votre valeur.

Vous vous étiez révélé comme un auteur que n’asservissaient pas les exagérations des modes à cette époque. Vous vous teniez à égale distance du naturalisme violent et du symbolisme éperdu. Avec de fort brillantes ressources, vous attestiez votre fidélité à une tradition qui veut que le romancier raconte une histoire menant à quelque chose, et où les incidents soient suivis d’événements. On sut gré à votre livre de contraster si avantageusement avec la mentalité inerte, la matière inorganique qui, alentour, inorganique exclusivement tant de volumes de notes pures et simples, notules et notations. Sans noirceur ni enthousiasme, vous montriez la vie telle qu’elle est peut-être, et telle en tout cas qu’il est acceptable et pratique de l’apercevoir. Vos pages étaient imprégnées d’énergie et de pitié, deux vertus dont vous faisiez les répartitions appropriées, je me hâte de le dire ; car elles sont si chères au cœur de la foule que l’on enlève ses suffrages en les appliquant même à contresens, c’est-à-dire l’énergie contre ce qui est bien ou la pitié pour ce qui est mal. Enfin, à vous lire, on était mis en face d’une sensualité neuve eu ce qu’elle avait d’attendri et de méditatif, et de revêtu décemment par ce double attribut.

L’opinion vous avait aussitôt accordé un crédit que renforcèrent solidement vos publications suivantes. Mais une manifestation d’un ordre particulièrement élevé vous était réservée pour l’époque où parut bientôt La Confession d’un amant. À l’occasion de ce livre impressionnant, — livre d’égarements et de remords, de passion timorée, de sacrifice ardent — Alexandre Dumas fils vous adressa une de ces lettres, dont je ne dirai pas qu’il avait le secret, puisqu’il les faisait passer par les journaux, mais la rayonnante publicité. « Continuez ainsi, vous adjurait-il, continuez dans cette voie : c’est la bonne... Vous êtes dans la théorie du progrès de l’individu par l’effort sur soi-même. Vous serez un des ouvriers de la grande réaction littéraire qui se produira très prochainement... La génération qui va venir, ceux qui jouent aux barres à l’heure où j’écris ces lignes, vont, dès que le duvet estompera leur lèvre, donner une telle poussée dans le spiritualisme qu’on n’aura peut-être jamais vu la pareille... » Cette lettre est de 1891. Ceux qui, à cette date, jouaient aux barres doivent maintenant atteindre ou dépasser la trentaine. Leur poussée dans le spiritualisme est peut-être aussi formidable que l’annonçait l’oracle ; mais, à coup sûr, ce dernier avait vu, près de vingt années à l’avance, se dérouler pour vous une voie qui, recommandée par un académicien comme étant la bonne, ne pouvait être que celle aboutissant ici.

La dextérité de votre manière, l’abondance et la vigueur de vos qualités intellectuelles suffiraient à expliquer la grande vogue que connut chacune de vos œuvres, non pas seulement dans son texte original, mais encore dans la traduction en toutes les langues européennes et jusques en persan. Comment peut-on être lu en persan ?... Vous pardonnerez ce cri d’étonnement, renouvelé de Montesquieu. Mais, d’ailleurs, ce n’est pas le succès universel, c’est le succès continuel qui a l’air d’un défi aux lois de la nature. En général, et notamment en librairie, il semble régi par un principe analogue à celui de la pesanteur des corps : il tendrait vite à retomber. Aussi, quand il advient qu’il se soutienne en permanence, —et votre succès, Monsieur, nous fit assister à ce triomphant spectacle, — on se demande avec émerveillement quelle ingéniosité a créé, sous cette forme, un genre encore d’aéroplane ?

Or, ce qui frappe tout d’abord lorsqu’on passe en revue les titres de vos ouvrages, c’est la prédominance de place que vous y avez accordée au sexe féminin. On le remarque premièrement sur les volumes qui portent le nom de l’héroïne : ce sont Chonchette, Mlle Jaufre, Cousine Laura, la Princesse d’Erminge. Mais nous rencontrons surtout des désignations génériques qui sont aptes à éveiller, sur leur propre compte, l’héréditaire curiosité des filles d’Ève : Lettres de Femmes, Nouvelles Lettres de Femmes, Dernières Lettres de Femmes, Notre Compagne, L’Automne d’une Femme, et encore, tout court, mais ce n’est pas peu dire : Femmes. Enfin, vous avez établi cette formule : Les Demi-Vierges, avec la sûreté, qui s’emporte de l’École Polytechnique, pour le calcul des fractions. Et, ultérieurement, vous nous avez fait, connaître ce qui serait de la vertu et demie, dans ces livres élevés et nobles que vous avez intitulés : Les Vierges fortes... Vous ne faisiez pas fausse route en vous adressant tout particulièrement à l’attention des lectrices ; car, pour leur parler d’elles-mêmes, vous étiez servi à miracle par les souplesses de votre pensée, par une douce gravité de votre esprit. Elles s’abandonnèrent à ce ton confidentiellement affectueux qui n’avait pas dû échapper à l’auteur de l’Ami des Femmes dans les motifs de sa prédilection à votre égard. Vous leur communiquiez votre rêve, en leur faveur, d’un sort sinon préférable, du moins nouveau, dans une société refaite. Votre phrase avait une tournure franche qui mettait en lumière de subtils cas de conscience. Les audaces de l’action se veloutaient de scrupules, s’épuraient de pénitence. Et, par-dessus tout, dans cet attrait de péripéties où le bonheur profane se mêlait d’angoisses et de miséricordes, vous faisiez goûter — selon l’expression de Sainte-Beuve envers Jean-Jacques Rousseau — quelque chose de « relativement chrétien ». La sagesse des nations proclamant que le moyen de réussir avec les hommes est d’avoir les femmes pour soi, je conçois donc que la plus vaste et la plus charmante levée d’éventails appuya votre essor et en maintint la stabilité.

Cependant, vous en êtes venu à inscrire, côte à côte, sur la couverture de vos livres, les deux représentants du couple humain. Vos romans les plus récents s’appellent Pierre et Thérèse, M. et Mme Moloch.

À mon gré, cette dernière œuvre est capitale parmi les vôtres, celle qui domine le reste par la puissance picturale, l’ampleur des vues, l’intérêt des figures et des descriptions, celle où il y a les plus profondes perspectives sur les gens et les choses. Cette fois, avec des épisodes ayant pour théâtre une principauté imaginaire entre les territoires de Thuringe et de Franconie, vous avez envisagé non plus seulement le conflit des deux sexes, mais, en outre, celui de deux races, dont les regards réciproques sont empêchés de s’adoucir, plus spécialement encore parce qu’ils les croisent au-dessus du corps de leur victime, sans que je recherche si c’est l’abus de la victoire ou l’imprévoyance de la défaite qui implique la majeure part dans le crime. Lorsque Ferdinand Brunetière inséra M. et Mme Moloch, dans la Revue des Deux Mondes, son incomparable conscience avait assurément pesé ce que cet ouvrage d’inspiration si française contenait aussi d’intelligence compréhensive, d’argumentation serrée, de fière sagesse, grâce auxquelles on pourrait le lire avec fruit et en causer avec dignité, de chaque côté de la frontière. Il est vrai que quelques journaux de là-bas, qui font bonne garde contre chaque bruissement de l’étranger, vous apostrophèrent un peu. Mais sur notre terre à nous, qui toujours enfanta du progrès pour le monde, vous aviez bien mérité dans ce fait que, l’histoire en main, et au cours de la discussion entre vos personnages, vous rappeliez comment, depuis des milliers d’années, de siècle en siècle, la Force recule finalement devant l’Idée, et que la Force s’anéantit, mais que l’Idée demeure.

Il m’incomberait de rechercher quelle signification positive se dégage des fictions dont vous êtes l’auteur, ou quelles conclusions générales sembleraient être les vôtres, d’après la façon que vous avez eue de choisir et de montrer les scènes de la vie. Mais vous m’avez épargné, Monsieur, les incertitudes et les erreurs de ce travail, en rédigeant vous-même des préceptes, en réunissant des leçons, pour ainsi dire, dans ces deux volumes : Lettres à Françoise, Lettres à Françoise mariée, auxquels vous avez annoncé que s’adjoindront des Lettres à Françoise maman.

Je me souviens qu’Alphonse Daudet, dans une de ses inoubliables causeries du jeudi soir, rue de Bellechasse, faisait le songe d’ouvrir une petite boutique où, eu vertu de l’expérience définitive qu’il sentait en lui, il eût débité du bonheur, donné aux pauvres gens des consultations de bonheur. Il se voyait affublé d’un bonnet de magicien (car il faut bien inspirer confiance) ; et tous ceux ayant le cœur gros et l’âme simple, et aussi les impatients de la fortune, les ambitieux de la gloire auraient pu entrer lui conter leur tourment ou leur exigence. Le délicieux conteur s’amusait à croire qu’avec sa science acquise des choses humaines il eût indiqué à chacun le sentier différent, qu’il convenait de prendre, pour être infailliblement acheminé vers le but désiré ou le refuge heureux.

Vous avez ressenti, Monsieur, cette envie généreuse de faire participer le prochain au bénéfice de ces observations et de ces clairvoyances qui seraient l’apanage du romancier psychologue. Vous vous êtes affublé, non pas du chapeau pointu, mais du titre d’oncle, qui, depuis un certain nombre d’années, avait été laissé vacant dans l’école du bon sens, et qui autorise un peu à sermonner. Et vous avez entrepris un cours réfléchi et malicieux, parsemé de spirituelles anecdotes, séduisant comme une jolie affabulation, utile comme un guide de voyage dans la contrée de l’éducation et des fiançailles, dans le pays mouvementé du mariage. À côté de sérieuses objections contre les méthodes pédagogiques, vous n’avez négligé ni le chapitre de la toilette, ni celui des bals, ni celui des sports, ni même celui des instructions sur la cuisine. Et c’est une très gracieuse vision que celle de Françoise faisant sauter les crêpes, ainsi qu’elle y est exhortée par vous « en tablier de soubrette, avec des gants et une mantille de blonde sur les cheveux pour les abriter des vapeurs qui ne plaisent qu’au palais. » Vous avez bien raison de lui garantir que, sous cet aspect, elle ne risque pas d’être prise pour la cuisinière.

Mais je voudrais surtout vous louer pour la belle humeur, la vivacité de raisonnement et la force démonstrative avec lesquelles vous résolvez la question de la dot. « Nous assistons, dites-vous, à ce double phénomène que le travail est de plus en plus rémunéré et le capital de moins en moins. Un valet de chambre, même honnête, coûte dans une maison le revenu de cent mille francs... » Vous concluez de là qu’à part les dots énormes et en conséquence exceptionnelles il n’y a plus de jeunes filles suffisamment dotées ; et ce malheur à quelque chose est bon : la disgrâce d’être une jeune fille pauvre s’abolit dans le fait que ses compagnes ne sont plus riches. « Mais, reprenez-vous, l’erreur des familles est de s’obstiner à vouloir marier les jeunes filles en faisant bon marché de l’âge du futur, pour se contenter de l’argent ou de la situation. C’est absurde : la jeune fille vieillit tandis qu’on lui cherche, pour l’épouser, un homme fortuné ayant passé la quarantaine. Et l’on ne réfléchit pas que marier une jeune fille de dix-huit ans à un lieutenant de vingt-huit, par exemple, revient au même que de marier la vieille fille de trente ans au commandant de quarante : à cette différence près qu’ils n’auront pas été pauvres ensemble durant les années où la pauvreté ne pèse exactement rien pourvu qu’on s’aime... » Sur cet aperçu. la nièce Françoise s’écrie qu’elle n’a donc pas tort de vouloir épouser, dès qu’il va être officier, le Saint-Cyrien qu’elle aime et dont elle est aimée. Et la réplique de l’oncle complète ainsi votre pensée : « Il faudra renoncer à toutes les satisfactions de bien-être, d’amour-propre, de situation et, en général, à toute joie puisée ailleurs que dans l’amour réciproque et l’amour des enfants. Si l’on fait bien formellement cet acte de renoncement avant le mariage, on n’en souffre pas. Car la jeunesse ne pâtit nullement du défaut de confortable ; et l’amour ne serait pas vrai qui ne suffirait point à emplir les heures d’un jeune ménage entre vingt et trente ans. » Ces théories. d’un tour assez original pour friser le paradoxe, ont pourtant le fond de vérité courageuse où il plaît de revoir reflétée l’âme confiante et volontaire du jeune garçon qui jadis, en votre personne, partit chétif à la conquête de tous ses grades, avec un ballot de livres pour besace, et portant un « complet » trop court de jambes, mais rose.

Au deuxième volume de cette série, vous avez inscrit, en forme d’axiome : « Toute bonne épouse est associée du mari. » Vous expliquez que « l’épouse moderne veut une association d’influence à part égale dans les décisions influant sur le sort du ménage », et que « le culte voué à l’époux par l’épouse » n’en est plus « à exclure toute velléité de critique ou de discussion. » Nous faire entendre. Monsieur, que ce temps de fétichisme exista, c’est professer une bien riante opinion du passé, à laquelle l’époux de Xantippe, si grand philosophe qu’il fût, aurait peut-être à redire. Mais vous nous représentez un avenir plus commode encore, en considérant que « dans la génération des épouses modernes, les femmes sont pour leur ménage un élément de progrès plus actif que les maris. » Beaucoup d’entre ceux-ci, remarquez-vous, « très intelligents pour leur état, apportent dans les relations sociales une gaucherie singulière. Une femme adroite sera tout naturellement le ministre des relations extérieures, et, par sa bonne grâce, son tact, elle complétera de manière utile son mari. » À mesure que vous vous exprimez de la sorte, on penserait devoir vous ranger parmi les optimistes les plus convaincus. Mais je m’avise, quelques lignes plus bas, que vous déconseillez à la femme d’entreprendre aucune démarche, même avantageuse pour la communauté, si ce devait être à l’insu de son chef, et vous avertissez d’un péril celle qui, en pénétrant chez un personnage dispensant les faveurs, lui déclarerait : « Mon mari ignore cette visite... » Voilà un sous-entendu qui, tout au moins sur la continence des gens en place, dénote assez de pessimisme pour faire compensation et attester l’équilibre de vos facultés optiques.

Ailleurs, par un faisceau d’hypothèses et de preuves, vous soutenez qu’« une femme, à la fois épouse et mère, doit être plus épouse que mère », ou bien vous développez ce thème que « l’amitié entre un homme et une femme est plus dangereuse que le flirt. » Aussi pourrais-je multiplier les citations de cette espèce, qui montreraient combien de problèmes vous avez examinés et résolus, dans les matières de la félicité conjugale ou des bonheurs circonvoisins. Mais il convient à la variété de vos aptitudes que, sans plus de retard, je fasse apprécier les dons de paysagiste, et même de météorographe, qui sont en vous.

J’ai indiqué, en commençant, que le laps de temps, passé dans votre enfance sur les bords de la Garonne, avait mis en vous une nostalgie. Cette région a été le cadre de quatre au moins de vos romans. Dans l’un d’eux, le grand air qui la visite a été l’objet, par vos soins, de cette belle analyse : « Lorsque le vent souffle du Sud, avez-vous écrit, la plaine garonnaise, d’Aiguillon à Bordeaux, s’embaume d’une odeur cordiale de résine et de sel. Le vent qui l’apporte est né sur l’Océan ; il en a dissous le sel à la crête des vagues, en se ruant avec elles à l’assaut des dunes, en chassant vers l’intérieur des montagnes de sable. Il a traversé les solitudes rases, coupées de marais glauques comme des yeux morts, où croissent les ajoncs, où des troupeaux disputent l’herbe à la terre cendreuse. Il a rencontré de front les premiers bataillons des forêts gasconnes ; il s’est brisé sur les fûts verticaux des pins, engouffré dans les avenues rectilignes, éparpillé dans les taillis, roulé en volutes dans les clairières. Il a caressé les plaies des troncs entaillés qu’on saigne au printemps, quand la sève se dégourdit... Puis, franchissant au Nord la lisière noire qu’on aperçoit de Tonneins, au bord de l’horizon pyrénéen, il s’est épandu sur la vallée de la Garonne ; et c’est lui qui l’imprègne de ces parfums salubres : le sel de la mer et la résine de la forêt... » C’est à ce régime que vous vous retrouvez, chaque année, en regagnant cette province d’Albret, où vous avez pris résidence dès que la propriété terrienne vous eut été rendue accessible par tant de vaillance au labeur et d’imposante réussite. Aux points cardinaux, vous voyez encore debout des donjons dont les noms chantent au fond de l’orgueil national : celui de La Hire, celui de Xaintrailles, géants de pierre qui semblent s’être fait mutiler, pour que, depuis la guerre de Cent Ans, cette toute petite bourgade fortifiée de Vianne, au bas de votre parc, poursuive un sommeil féerique dans l’intact corset de ses remparts. Une gare de chemin de fer est bien venue jusqu’à son seuil. Mais les locomotives avec leur sifflet, et les trains avec leur rumeur, contournent, sans lui faire déranger sa pose, la gentille petite ville au Bois-Dormant. Non loin de la fontaine des Marguerite de Navarre et de Valois, sise en la garenne de Nérac, — et tout près du moulin à quatre tours avec mâchicoulis, fait pour broyer ennemis aussi bien que farines, dont le bon roi Henri s’intitulait meunier, — vous, Monsieur, vous vous êtes installé vigneron. Dans une entreprise modèle, et avec une science qui vous divertit, c’est par la glèbe et par le soleil que vous faites éditer, cette fois, de fort estimables vendanges. Et lorsque je récapitule les divers tableaux que, durant vos villégiatures, vous avez choisi d’avoir sous les yeux : ce large horizon sous lequel la poésie d’âges anciens, les signes en relief de l’histoire martiale, les vieux ombrages des Cours d’Amour se réunissent à l’activité moderne et aux occupations rurales, — j’entrevois un rapport avec votre genre d’imagination, qui toujours s’efforça de marier le romanesque et la réalité. Et je songe que cette brise cordiale, qui parcourt votre pays d’adoption, se respire aussi dans nombre de vos contes, où abondent les aventures piquantes, où règne une sentimentalité attachante, sel et résine de votre talent.

Parmi vos états de services, j’ai à inscrire encore que vous avez connu les honneurs de la trois centième représentation sur la scène parisienne ; et si je n’ai pas à explorer votre œuvre théâtrale, c’est que celle-ci, au total, est extraite de vos romans et qu’elle en reproduit les tendances et les distinctions. Mais je n’omettrai pas de rappeler que la Société des Gens de Lettres vous a élu, par deux fois, pour son président. Vous n’étiez pas plutôt entré en charge que vous eûtes à prendre la parole aux obsèques de Victor Cherbuliez. Par la nature du sujet, par les observances dans les développements et le langage, ce fut littéralement votre premier discours académique. Je revois l’attitude du Doyen actuel de notre Compagnie qui, en cette circonstance, la représentait à votre côté. Je revois son attention s’éveillant avec un peu de surprise d’abord envers les harmonies d’une voix inconnue, se prenant tout à fait à vos périodes, à votre description imagée, à la justesse de votre ton. C’était là le suffrage de quelqu’un qui s’y connaît en éloquence. Et vous Monsieur, vous aviez ainsi préludé dignement à la dignement étude que vous avez consacrée, en cette séance, à Victorien Sardou.

 

Vous avez tracé de lui tous les portraits imaginables, nous l’exposant dans toutes les expressions et couleurs de son masque, dans tous les élans de son intelligence, dans tous les mouvements de sa personne. — depuis ce crayon à la Gavarni, où vous le montriez sur le quai de Seine presque adolescent encore, jusqu’à cette gravure à l’eau-forte que vous avez faite du vieillard incoercible et débonnaire À cette galerie, si artistiquement composée par vous, il aurait pu me rester une figure à ajouter : celle de Sardou académicien. Mais il n’officia que deux fois dans nos solennités publiques : le jour de son introduction, et le jour où il eut la mission de prononcer l’éloge de la Vertu. Pendant trente-et un ans qu’il fut des nôtres, il ne lui advint de recevoir personne ; et cela signifierait que lorsque l’Académie confia sa Direction à ce grand animateur, à ce prodigieux agent de vitalité, on y eut dispense pour un trimestre de mourir.

Qui sait toutefois si le nom de Sardou ne pourrait revenir dans la salle de nos réunions, comme l’objet vivant du débat, lorsque le travail du Dictionnaire sera parvenu à la lettre S ?... Un homme de théâtre déjà, par la force de son individualité, a baptisé un genre ; et si marivaudage n’est pas un terme qui se prenne en bonne part, ce n’est point la faute à Marivaux, mais à l’injustice de ses détracteurs... Justement, après le mot « sardonique », bien fait pour rappeler cette verve qui appartint, avec le reste, à l’auteur de la Famille Benoiton, de Nos bons villageois, de l’Oncle Sam ou de Marquise, quelqu’un ne fera-t-il pas remarquer que le nom propre de Sardou s’est élargi jusqu’à exprimer aussi un genre, et qu’il lui est survenu de fourmiller comme un substantif ordinaire dans les polémiques et les conversations.

Faire du Sardou, Aimer le Sardou, Être réfractaire au Sardou... Que de locutions usuelles s’offrent à l’esprit et fourniraient les exemples que nous avons coutume d’insérer, pour appui de nos définitions ! Sans compter cette ténébreuse métaphore : « Ce n’est pas du Sardou de derrière les fagots », que le dramaturge tant applaudi a pu quelquefois lire, en souriant, dans certains comptes rendus où l’on ne rougissait pas de statuer en ce style, sur le sien.

Quant à la définition elle-même du sens attaché à ce nom, à ce mot — et dans la nécessité de la réduire à deux lignes, — ne serait-ce pas l’essentiel de dire que Sardou signifie, en art dramatique, « la manière d’obtenir avec un petit moyen un grand effet » ... Ce petit moyen, qui tantôt est la lettre égarée de Fernande, tantôt le parfum de Dora, la tourterelle en cage de Thermidor, voire même le vol du couvert d’orfèvrerie dans l’Affaire des Poisons, ou encore la blessure à la main du jeune conspirateur de Patrie, ce magique petit moyen, Victorien Sardou en usa avec une précision si constante, avec une autorité si obsédante que les gens peuvent bien oublier le sujet de la pièce, mais se souviennent indéfiniment qu’elle est celle où il y a cela. Et, pendant que quelques-uns n’ont voulu voir là que de l’artificiel, je discerne au contraire qu’une pente naturelle ramène du théâtre de Sardou à l’immense théâtre de la vie : On ne saurait pas toujours raconter comment le destin fit, à tel endroit, évoluer la marche du monde ; mais il n’est pas sorti de la tête, qu’il y eut, là dedans, ces petits moyens dénommés le grain de sable de Cromwell, le nez de Cléopâtre...

C’était notamment un grand effet que Victorien Sardou tirait d’un petit moyen, lorsque, au troisième acte de Madame Sans-Gêne, Napoléon, excédé par une querelle entre ses sœurs, laisse échapper un cri instinctif qui n’est plus de notre langue maternelle : le basta italien, l’injonction de silence dans l’idiome corse. Certes, le resplendissant conducteur d’hommes a été complètement expliqué par des livres savants, mais qui, en cela même, s’adressent au public lettré et non pas à la masse. Tandis que ce cri vrai et imprévu, pareil à ce qu’il aurait pu jaillir de la gorge d’un Sforza ou d’un Coleoni, c’était lumineux sur l’auditoire comme un zigzag de foudre ; c’était un éclair de suggestion doctorale. Quel raccourci de l’histoire tenait en ce seul mot de théâtre ! La notion de l’Épopée, que chacun a en soi, trouvait prétexte à se transformer, à se modifier. Cette brève interjection, coupant le dialogue français d’une sonorité étrangère, avait pour conséquence de réintégrer un dieu dans le rang des hommes, à l’instar desquels il n’était donc fait que d’éléments divers et de morceaux disparates ; car la divinité ne se conçoit que d’essence unique ; et la caractéristique de Zeus fut de s’exprimer exclusivement en grec ; et Jupiter n’a jamais parlé que la langue des Flammes et d’Horace ou de Virgile.

Un autre trait littéraire de Victorien Sardou est exquis pour ce qu’il offre de justesse philosophique et d’humanité finement comprise. C’est au premier tableau de Théodora. L’épouse de Justinien a donné audience à un jeune légat des Francs. Qu’aura-t-elle de particulier à lui dire dans les phrases d’accueil ? À quoi sa cervelle pourra-t-elle vraisemblablement penser ? Qu’est-ce qui sera contenu de typique, de byzantin, dans le propos que va prêter l’auteur à cette aventurière de la veille, à cette impératrice du moment ?... Eh bien, la première question qui vient aux lèvres de Théodora, est de tous les temps, et révèle un des soucis les plus empressés de l’éternel féminin, c’est la question la plus propre à traduire l’anxieuse rivalité de la femme à l’encontre de tout son sexe, c’est aussi la plus discrètement coquette pour favoriser le compliment d’une comparaison. La souveraine d’Orient se préoccupe de la souveraine dont on a vanté le rayonnement à l’autre bout de la chrétienté : « — La reine Clotilde, lui fait demander Sardou, est-elle toujours jolie ?... » En vérité, si ce détail devait paraître infime, je m’excuserais d’avoir été l’extraire, entre mille, et de préférence à bien des richesses de cette production énorme. Mais j’ai cru que cela décelait soudain une grâce psychologique, une pénétration des replis du cœur, que l’on a parfois méconnues chez l’auteur des Pattes de mouche et de la Haine, en ne lui attribuant que la sorcellerie adroite, ou saisissante, du tour de main et des coups de théâtre.

Au surplus, toutes les chicanes qu’on lui chercha ont assurément fait bondir, à de nombreuses reprises, sa combativité redoutable et amusante. Mais il a eu, pour s’en consoler, la perpétuelle confiance dans sa signature sur l’affiche, que lui accordèrent ses contemporains ; il a eu la victoire d’une dernière pièce écrite à près de soixante-quinze ans ; il a eu des grandes joies de famille, pouvant compter encore comme étant des siens tous les membres de cette Société des Auteurs et Compositeurs dramatiques, dont il était le chef populaire et paternel ; il a eu les plus hautes distinctions honorifiques ; il a eu aussi sa retraite de Marly, ses chers beaux arbres, ses arbres de qualité, formant comme une aristocratie de la végétation, et dans lesquels il aimait les témoins séculaires des époques disparues, depuis l’histoire enrubannée qui, avec les rois, folâtra sur cette colline, jusqu’à l’histoire tragique qui la marqua de ses dévastations en 1793, de ses grondements en 1870.

À l’époque de l’occupation allemande, le rôle de Victorien Sardou fut tutélaire pour sa commune ; et un monument récemment inauguré y fait foi de la gratitude qu’on lui a conservée. Il a voulu avoir dans ce village sa dernière demeure. Quand nous l’y avons conduit, après la cérémonie funèbre que Paris lui avait solennellement faite, — il ne fut plus prononcé au cimetière qu’une allocution du magistrat municipal. Ce fut d’un laconisme touchant, poignant, presque la harangue du bon maire, jadis, de Montlhéry qui, dans son oppression à une visite officielle du roi, lui murmura, sans plus, que les habitants étaient heureux de l’avoir parmi eux. Et le suprême adieu s’exhala en ces termes : « Monsieur Sardou, vous avez été un brave homme ! » Ah ! tel que j’ai connu Victorien Sardou, tel qu’était Monsieur Sardou, comme disait son concitoyen avec une révérence posthume, tel qu’était celui qu’une tendresse irrévérencieuse du monde théâtral appelait le père Sardou, oui, je suis sûr, — si les morts ont encore des larmes, — que les siennes auront jailli, non pas tant au cours des panégyriques dont il était le héros depuis ce matin-là, mais à cet éloge naïf et doux, qui descendait dans le cercueil couronner sa bonhomie.

 

En vous invitant, Monsieur, à participer désormais aux travaux de l’Académie, je ne vous cacherai pas que, somme toute, ils sont assez nombreux et plus exigeants que l’on ne croit. Si la confection actuelle de notre huitième Dictionnaire va dépasser la moyenne des trente-cinq ans que prit chacune des éditions précédentes, ce n’est point que l’on ait ici moins de courage qu’autrefois à la besogne ; c’est que l’on y a beaucoup plus de besogne. La quantité de prix à décerner va toujours croissant ; et, pour déterminer consciencieusement nos choix, nous avons de longues heures à fournir aux lectures de prose et de vers, à des examens préparatoires de dossiers, à des convocations répétées dans les Commissions, à des controverses multipliées dans les séances plénières. On ignore volontiers ces choses-là au dehors, où plus d’un suppose que, depuis l’an 1635, notre Assemblée n’aurait pas encore atteint, dans l’ordre alphabétique, à la moitié du recueil qu’elle reçut alors mission de former pour la perfection de la langue. Et si jamais vous écrivez, sur ce sujet, une lettre à Françoise, toute cultivée qu’elle soit par votre courrier jusqu’à maintenant, ne doutez pas d’avoir à la détromper, elle-même, dans sa persuasion que vous auriez trouvé parmi nous une sinécure. Devant une tâche qui promet d’augmenter encore, ou nous en menace, — puisqu’on prétendit récemment adjoindre des prix de repentir à nos prix de vertu, — vous allez, Monsieur, vous sentir, d’année en année, sollicité davantage par le devoir de collaboration confraternelle, et par l’aimable scrupule de vouloir être à la peine, également. Sachant avec quel zèle vous avez été capable, dans vos présidences, de vous dévouer à des intérêts collectifs, nous nous félicitons du précieux concours que vous nous apportez... Et c’est une raison ajoutée à toutes les autres, de notre plaisir à vous souhaiter la bienvenue.