Rapport sur les concours de l’année 1934

Le 20 décembre 1934

René DOUMIC

RAPPORT SUR LES CONCOURS DE L’ANNÉE 1934

DE

M. RENÉ DOUMIC
Secrétaire perpétuel

 

Séance publique annuelle du 20 décembre 1934

 

Messieurs,

On dit beaucoup aujourd’hui que les temps sont difficiles, les esprits troublés et inquiets, doutant d’eux-mêmes et désabusés de l’effort. Le nombre et le mérite des ouvrages qui ne cessent d’affluer à vos concours sont la preuve que ce mauvais air n’a pas pénétré dans le monde des lettres et que le labeur s’y poursuit avec la même persévérance et le même succès. Non seulement tous les genres y sont représentés avec éclat ou distinction, mais nous avons la joie d’y rencontrer plus d’une de ces œuvres de longue haleine qui exigent la patience de l’effort et supposent la liberté de l’esprit. Cette continuité du labeur intellectuel est un aspect de la vie présente sur lequel il n’est que juste d’appeler l’attention, quand ce ne serait que pour opposer, à ceux qui prennent une sorte de plaisir morbide à semer le découragement, une des raisons que nous avons de conserver intacte notre confiance en l’avenir.

Un premier exemple nous est fourni par notre prix Gobert, ce grand prix d’histoire, qui est lui-même un si beau morceau d’histoire. M. Louis Réau, à qui vous l’attribuez cette année, est un historien d’art. Au cours de ses études, il a été frappé de constater combien peu les historiens de l’art français tiennent compte de sa diffusion à travers le monde. A les lire, on croirait que l’art français s’arrête à nos frontières. Or, combien d’artistes de chez nous ont vécu, ont travaillé à l’étranger ! Telle est l’importante lacune que M. Réau s’est proposé de combler : replacer dans l’histoire de l’art français les artistes trop oubliés dont les œuvres, exécutées hors de chez nous, font tout de même partie intégrante de notre art.

Tâche énorme, qui a coûté à M. Réau de longues années de travail, qui l’a forcé à mener à travers Europe et Amérique la savante investigation dont il nous apporte le résultat dans ces quatre volumes : Histoire de l’expansion de l’art français.

Écoutons-le nous dire, preuves en main, que l’art français, par trois fois, a conquis le monde. Au moyen âge, ce sont les moines de Cluny et de Cîteaux qui répandent jusqu’aux confins de la chrétienté notre art roman et cette architecture, faussement appelée gothique, qui dans toute la force du terme, est œuvre française, opus francigenum. Aux XVIIe et XVIIIe siècles, c’est la monarchie qui prend en mains le gouvernement de l’art. Le prestige de la cour de Versailles, l’éclat de notre vie de société, l’universalité de notre langue et de notre littérature s’imposent à l’Europe. Troisième époque : le XIXe siècle de Delacroix, des paysagistes de Barbizon et des impressionnistes.

D’où est venue, comment s’explique cette royauté de l’art français ? Ce qui en fait le rayonnement, aussi bien celui de la littérature et de la pensée françaises, c’est ce caractère qui nous appartient au plus haut degré : la sociabilité, — ce que Joseph de Maistre appelle « l’étrange aimant de la France ».

Trop souvent aujourd’hui, soit que nous parcourions nos rues que déshonorent tant de constructions nouvelles qui n’ont pas l’air de chez nous, soit que nous fréquentions théâtres ou cinémas, nous avons la tristesse d’assister à une sorte d’invasion, à un déferlement de laideurs étrangères. Puisse M. Réau, en nous rappelant qu’à plus d’une reprise l’Europe a été une province de l’art français, nous avoir apporté, avec le plus légitime motif de fierté, l’espoir d’un retour au génie de la race !

 

Le second prix Gobert au commandant Seryeix pour son livre sur le général Fabvier, où l’érudition est vivifiée par la verve la plus entraînante. Fabvier, soldat de l’Empire, a conquis la célébrité le jour où il a mis son épée au service de la cause des Grecs soulevés pour leur indépendance, forcé le blocus de l’Acropole, et apporté aux assiégés, avec des vivres, « de la poudre et des balles ». Brave, loyal et désintéressé, Fabvier est le type du chevalier français, — disons plus simplement : de l’officier français.

Au prix Thérouanne, c’est un autre grand chef, le maréchal Fabert qu’évoque M. Paul Renaudin. Belle figure, ce fils d’un maître imprimeur de Metz qui travailla souvent en tête-à-tête avec Richelieu et Mazarin, et dont Louis XIV, qui avait pour lui la plus haute estime, pensa faire un de ses ministres. Et belle réponse à ceux qui prétendent que, sous l’ancien régime, nul ne pouvait accéder aux premiers rangs de l’armée s’il ne possédait, à défaut d’états de service, un nombre suffisant de quartiers de noblesse.

 

Le grand prix de Littérature à l’un des plus brillants parmi les écrivains de la génération issue de la guerre. M. Henry de Montherlant personnifie ces jeunes gens qui sont passés sans transition du collège à la ligne de feu. Il sortait de l’école Sainte-Croix de Neuilly quand la guerre le prit, où il ne voulut accepter qu’un poste du service armé, et où sa belle conduite lui valut cette citation : « A demandé et obtenu d’être affecté dans un régiment actif. Y a fait preuve, dès son arrivée et malgré son état de santé précaire, de courage, de sang-froid et de beaux sentiments militaires. A été blessé grièvement le 6 juin 1918 à son poste de combat. » Signé Pétain.

Or il était de ceux qui naissent avec de l’encre aux doigts. Il n’avait pas dix ans qu’il était, ce qu’on pourrait appeler « un littérateur complet », étant à lui-même à la fois son imprimeur, son illustrateur, son éditeur et même son agent de publicité. Car il avait trouvé d’instinct cette manière aussi simple que sûre d’atteindre les forts tirages : à chacune des copies qu’il avait exécutées de ses mains enfantines, il donnait le titre de première, deuxième, dixième édition... Seulement il fallait y penser !

C’est sous l’emprise du souvenir de la guerre, qu’il va publier ses premiers livres : la Relève du matin, chant en l’honneur de l’adolescence où il apparaît que les jeunes gens ont toute sagesse en partage, à l’inverse de leurs parents désormais admis à faire valoir leurs droits à la retraite ; le Songe, roman lyrique de la guerre et le Chant funèbre pour les morts de Verdun. N’oublions pas, à la louange de M. de Montherlant, qu’il fut, pendant ces années, secrétaire général de l’œuvre de l’Ossuaire de Douaumont.

Très épris de sport, M. de Montherlant a célébré les as de la course et autres vainqueurs dans les Olympiques ; et cela, depuis Pindare, n’a rien que de traditionnel. Il est plus rare, Messieurs, que vos lauréats aient quelque lien que ce soit avec la tauromachie. M. de Montherlant, d’une famille originaire d’Espagne avait la course de taureaux dans le sang ; ce qui lui valut maints exploits, mais aussi, un certain jour, dans une course près d’Albacete, un maître coup de corne. Mais qu’est-ce qu’un coup de corne au prix d’un beau livre ? A sa « sangre torero », M. de Montherlant doit ces Bestiaires où tout le pittoresque de l’élevage, de la course et de la tuerie, est évoqué en traits précis et chaudes couleurs, où picadors et matadors, toreros et banderilleros, nous sont présentés en liberté dans l’atmosphère et le vertige d’un divertissement cruel et ancestral.

Le collège, le front, le sport... il restait à M. de Montherlant à découvrir la vie. Il place vers la trentaine une « adolescence retardée », à laquelle se rattachent ces deux livres : Aux fontaines du désir et la Petite Infante de Castille. C’était alors la période la plus débridée de l’après-guerre : ces livres sont à la température de l’époque. Hâtons-nous de dire que sur eux s’élève cette vapeur d’amertume qui, d’après le poète antique, monte du fond des plaisirs.

Aujourd’hui M. de Montherlant s’est tourné vers le roman, sans autre but que d’y peindre les êtres humains tels qu’il les voit, et, par delà l’époque et le milieu actuels, dans leurs traits de toujours. Ainsi a-t-il fait, cette année même, en nous décrivant dans sa réalité quotidienne la vie, la morne vie de deux vieux garçons, épaves pitoyables et comiques, préjugés nobiliaires et gueuserie mêlés, dans ce roman des Célibataires qui s’apparente, autrement encore que par le titre, au roman balzacien.

Et je n’ai pas encore dit que M. de Montherlant est un excellent écrivain ; langue puisée à la meilleure source, style sobre et nerveux, avec, ici et là, des pages de maître. Mais peut-être de cette œuvre abondante, variée, pleine de contrastes, le plus curieux est-il de suivre la courbe si nettement dessinée. Parti du lyrisme et d’une idéologie tumultueuse, c’est le même écrivain qui aujourd’hui soupire en manière de litanies : « Mon Dieu ! préservez-nous du lyrisme ! Mon Dieu, préservez-nous du don oratoire ! Mon Dieu, adaptez-nous au bon goût français ! » Et, c’est le même qui déclare : « J’aime la réalité. » Cet amour de la réalité, qui, on ne le sait que trop, sert de couverture aux entreprises les plus diverses, s’accompagne chez M. de Montherlant d’une sorte de stoïcisme. Orgueil, ont dit tels de ses confrères, de ceux chez qui la bienveillance n’exclut pas la sévérité. Nous serions, pour notre part, plus disposés à louer M. de Montherlant de rester fidèle à un sentiment, qui devient rare aujourd’hui, qu’on l’appelle fierté, dignité, ou culte d’une certaine hauteur morale.

 

Le prix du roman à Mme Paule Regnier qui nous conte, en traits de feu, dans l’Abbaye d’Évolayne, la poignante aventure de deux êtres également épris d’idéal, mais d’un idéal différent qui les oppose l’un à l’autre.

Michel et sa femme, Adélaïde, au cours d’un voyage aux bords de la Meuse, s’arrêtent à l’abbaye bénédictine d’Évolayne, un camarade de Michel est devenu le Père Athanase. Peu à peu, l’atmosphère du cloître, son calme, sa régularité, sa spiritualité pénètrent l’âme de Michel ; et, à mesure Adélaïde sent qu’il n’est plus le même pour elle, disons du seul mot qui compte en amour : qu’elle n’est plus tout pour lui. Colère, jalousie contre cette abbaye-qui lui a pris l’amour de son mari. La voyez-vous, comme une bacchante blessée, errer dans la forêt ? « Elle se jeta dans un sentier étroit qui montait dans la forêt, et le gravit rapidement... Elle marcha, elle courut longtemps, cherchant à lasser son infatigable colère, jusqu’au moment où elle s’abattit sur le sol, comme sur une épaule, ou prenant la amie la terre sourde et profonde, elle y cacha sa face douloureuse, y jeta la plainte qui résumait tous ses griefs, sa peine sans remède : « Je ne suis plus aimée ! »

Elle, aime toujours. Et puisque l’amour c’est de se fondre dans l’être aimé, celui qui vient de lui échapper, elle imagine de le rejoindre dans son ascension mystique, de l’aimer en Dieu, d’en faire don à Dieu. Un mari et une femme, peuvent entrer dans les ordres, à condition d’y entrer le même jour. Michel sera prêtre, Adélaïde entrera au couvent. Elle entre, mais forcée de s’avouer que l’époux qu’elle aime n’est pas l’époux divin, elle rougit de cette profanation. Sortie du couvent, elle mène quelques années encore une vie désemparée qui doit fatalement aboutir au suicide.

A la lecture de ce roman, on est entraîné par l’emportement du récit ; on vit avec l’auteur ce drame à trois personnages et on partage les sentiments si différents qu’ils lui inspirent. Lorsque nous voyons un être souffrir, agoniser devant nous, d’instinct c’est pour lui que nous prenons parti. Le Père Athanase, qui dans son zèle de convertisseur brise cette chose sacrée, l’intime union de deux âmes, prend pour nous figure de tortionnaire. Et quant à ce mari qui, dans des scènes que l’auteur a su faire très pathétiques, ne comprend rien à cette détresse qui l’implore, n’entend aucun des battements de ce cœur angoissé, affolé par lui, nous sommes tentés de ne voir dans ces extases béates que l’inconscience d’un monstrueux égoïsme. Un seul personnage nous intéresse, c’est la souffrante et la sacrifiée, celle à qui le nom conviendrait d’une écorchée vivante. Elle est, à elle seule, tout le livre. Et c’est l’espèce d’intime communion de l’auteur avec son héroïne qui fait de ce roman, où palpite un cœur blessé à mort, un des plus saisissants qui aient été écrits à la sombre gloire de l’amour.

 

Pour le roman encore, le prix Paul Flat à M. Georges Manue, auteur du Hakem au burnous bleu. M. Manue a vécu parmi ces admirables artisans de notre expansion coloniale qu’on appelle, au Maroc, les officiers des Affaires indigènes. Il nous peint, tels qu’il les a vus à l’œuvre, ces passionnés de l’aventure « qui ont su choisir un champ d’action où le goût du risque, la passion jeu dangereux et le besoin d’indépendance sont mis au service d’un devoir précis et exigeant. Au service de la France ils réalisent un personnage magnifique de féodal maître en son fief des êtres et des choses ». Tel ce lieutenant Garaud, que nous suivons au bureau où il rend la justice, chez les soukiers, à l’école, à l’infirmerie, et puis dans le combat où il va au-devant d’une mort glorieuse. En ce Garaud nous avons l’émotion de reconnaître ces jeunes héros, un Mac Mahon, un Anthoine, un Bournazel et d’autres, dont la France ne doit jamais oublier qu’une part de sa grandeur est faite de leur sacrifice. Et sur l’ensemble du récit plane une figure, celle du grand animateur qui a ouvert les âmes de toute une jeunesse à la beauté de l’aventure coloniale, tour à tour chef de guerre, bâtisseur de villes, conquérant et organisateur de la conquête, et qui a donné à la France un de ses plus beaux domaines, notre génial maréchal Lyautey.

 

L’Académie a pour rôle d’être la gardienne de la langue ; aussi ne pouvait-elle manquer d’être grandement intéressée par la tâche que s’est assignée et que poursuit, avec autant de zèle que de haute compétence, M. Edmond Huguet, dans son Vocabulaire du XVIe siècle. C’est sur les bancs du collège, et dès son premier contact avec nos grands écrivains du XVIe siècle, que M. Huguet s’est aperçu combien le changement de la langue, qui n’était pas encore fixée avant qu’enfin Malherbe vînt, rendait difficile la lecture des plus beaux textes. Beaucoup de mots ont disparu. vieux mots dialectaux, mots pris du latin — ça ne dit plus comme l’écolier limousin, raillé par Rabelais, qu’on « transfrète la Séquane au dilucule », pour dire qu’on traverse la Seine à la fin du jour ; mots italiens — on ne dit plus comme s’en plaignait Henri Estienne, qu’on est sorti « après le past pour aller un peu spacéger », pour dire qu’on va se promener après dîner.

D’autres mots sont restés dans la langue, mais ont changé de sens. Un domestique n’était pas un serviteur : c’était un familier, un intime, un ami de choix. M. Huguet se demande : est-ce la vanité des serviteurs, est-ce la vanité des maîtres qui a transformé en domestiques les valets et les servantes ? Et il conclut que ce pourrait bien être l’un et l’autre... Un pédant était un homme qui enseigne et n’était pas forcément atteint de pédantisme. Un facteur était un créateur et le mot désignait le Créateur du ciel et de la terre : il ne s’applique plus aujourd’hui qu’à ceux qui portent nos lettres et parfois refusent de les porter.

Des mots qui étaient synonymes en sont venus à être séparés par une large distance, car éprouvant le besoin de trouver une différence entre eux, si elle n’existait pas, nous l’avons créée. Et cela nous mène à dégager l’idée qui préside à ces transformations du langage, et qui n’est autre que ce besoin de clarté, caractéristique de l’esprit français. « On s’accorde à dire que la langue française est claire et précise, conclut M. Huguet. On peut l’affirmer avec plus d’assurance quand on a vu s’accroître de siècle en siècle sa clarté et sa précision... Ce ne sont pas les théoriciens qui ont accompli cette œuvre. Les écrivains n’ont pas été seuls à y travailler, mais toute la nation s’y est employée, les ignorants comme les lettrés. » C’est le phénomène si intéressant, et qui se continue sous nos yeux, d’une nation tout entière occupée et dans toutes ses classes, à la défense de sa langue nationale. Comme nous avions primé l’an dernier le dictionnaire étymologique de M. Bloch, nous avons attribué une de nos récompenses les plus élevées, le prix Broquette Gonin, à M. Edmond Huguet, en signe de la haute estime où l’Académie tient sa science, son labeur, la sûreté et la délicatesse de son goût.

 

C’est un fait, et nous venons de le voir, que les mots ont le sort de toutes les œuvres des hommes : ils meurent avec les usages qu’ils servaient à désigner. Ainsi, au long des siècles, des morceaux entiers du langage tombent comme des pans de murs qui s’écroulent. Et il arrive que ce soient les plus beaux. C’est l’amour des beaux mots sonores, colorés, chatoyants et coruscants, qui a conduit M. Gheusi vers l’étude du blason. A vingt ans, il publie un traité sur le blason ; après quoi, il se met à l’étudier. Et à mesure il se prend d’enthousiasme pour son sujet, dont il découvre la noblesse et la magnificence. Songez que le blason remonte aux croisades et, à la différence de beaucoup que vous savez, qu’il y remonte véritablement. Ce sont les tournois qui mettent en honneur les termes du blason. C’est le héraut qui donne son nom à la science héraldique. Et la pièce maîtresse des armoiries, l’écu d’armes, dérivé du bouclier du paladin féodal, est la représentation du guerrier vu de face.

Cependant, M. Gheusi s’apercevait que dans cette science du blason tout était désordre, confusion, hérésie, tout ayant été brouillé par l’ignorance des uns et la vanité des autres. Mettre de l’ordre dans ce chaos, telle allait être la tâche, hérissée de difficultés, dont il nous présente le résultat dans ce beau livre, le Blason, foisonnant de plusieurs milliers de figures, où défile tout l’armorial de France. A force de patience il est arrivé à retrouver les lois initiales du blason, dont la caractéristique n’est autre que la simplicité. Le blason est né de ce besoin qu’avait le guerrier de se faire apercevoir et reconnaître de loin, dans la mêlée. Il n’est autre chose qu’un système de ligues et de couleurs, simples et nettes, une algèbre de signes conventionnels, destinés à être vus de loin, comme le panache où se rallier.

De là pareillement ce parti pris qui consiste à styliser les figures. Il y a toute une faune du blason, qui n’a garde d’être celle de la nature. Le lion héraldique, tête énorme, crinière en désordre, queue relevée, et toujours de profil, tandis que le léopard, qui est un autre nom du lion, regarde de face. Parmi les oiseaux, l’aigle qui peut être éployé ou contourné ; parmi les reptiles, le serpent qui s’appelle guivre, le fabuleux basilic et la salamandre, chère à François Ier. Et il y a toute une flore. Mais ici vous vous attendez sans doute à trouver d’abord la fleur de lys. Détrompez-vous, car la fleur de lys n’est pas une fleur c’est l’emblème, un fer de lance, adopté par le roi Louis VII, — flor de Loys, — et qui doit s’orthographier d’un seul mot fleurdelys. Victor Hugo, quand il faisait dire à Saint-Vallier :

Nous avons tous les deux au front une couronne,
Où nul ne doit lever de regards insolents,
Vous de fleurs de lys d’or et moi de cheveux blancs,

Victor Hugo faisait une faute d’orthographe ; M. Gheusi, qui se souvient d’avoir lui-même été poète, lui pardonnera en raison de la beauté des vers.

Qu’adviendra-t-il de cette langue du blason et ses vocables ciselés et fiers finiront-ils par disparaître ? Dès maintenant, M. Gheusi le constate avec regret, beaucoup de personnes, entendant dire que « M. Lloyd George harnaché des « barnacles » d’Albion fut réduit au silence par les « morailles » de M. André Tardieu », ne sauraient trop qu’en penser. Raison de plus pour remercier M. Gheusi de sa piété à recueillir ces mots d’autrefois, tout chargés d’histoire et reluisants d’honneur.

 

Le prix de la Langue française « pour reconnaître les services rendus au dehors à la langue française » est partagé entre plusieurs bons artisans de notre influence, La plus grande part en revient aux Sœurs de Notre-Dame des Apôtres dont la Maison mère est à Lyon, et qu’on suit en quelque sorte à la trace dans leur œuvre bonne française.

En Égypte où elles arrivent en 1881, elles n’ont pas cessé d’y développer l’influence française. Elles organisent, à côté des cours payants, des cours gratuits pour les enfants de la classe pauvre, faisant ainsi pénétrer notre langue dans les milieux populaires.

Depuis 1898 on les trouve sur la Côte d’Ivoire, en pleine brousse, décimées par la fièvre jaune, ruinées par l’incendie, mais découragées non pas.

Depuis 1920, sur le territoire de Togo, elles se consacrent à la protection et l’éducation des petites métisses. Autant lire que partout où les besoins de l’apostolat les appellent, elles arrivent : c’est l’ubiquité dans le dévouement.

Une œuvre des plus originales, et de création relativement récente est la Mission catholique française, qui se donne pour tâche de visiter chaque été un pays étranger. Une douzaine de jeunes professeurs ou ingénieurs, sortis de nos grandes écoles, s’efforcent d’établir par des conférences et des entretiens une véritable collaboration spirituelle et intellectuelle avec les milieux cultivés des pays étrangers. Pologne, Yougoslavie et Tchécoslovaquie ont reçu leur visite, aussi bien que l’Allemagne, l’Autriche et la Hongrie.

Signalons enfin la fondation Kornmann destinée à contribuer aux frais de propagande et de diffusion de la Langue française à l’étranger. Elle a été attribuée au Livre français qui travaille à signaler les meilleurs de nos livres, en contraste avec ceux dont on inonde l’étranger et qui sont quelque chose comme la sentine de la librairie ; et au Comité protestant des amitiés françaises à l’étranger, fondé en 1915 en pleine guerre contre la propagande ennemie dans les pays neutres, en majorité protestants. La guerre est finie. Qui pourrait prétendre que la propagande ennemie ait cessé avec elle !

 

Un prix d’Académie à Mme Dussane pour son Comédien sans paradoxe où elle a réuni trois années de cours à la Société des Conférences.

Dussane ! Qui de nous ne l’a pas applaudie dans ces rôles de soubrette qu’elle joue avec tant de verve, de gaieté, et d’esprit ? Or cette « petite soubrette de Molière », comme elle aime à s’intituler, est une grande lettrée. Elle a tout lu de ce qui concerne son art, et cet art, qu’elle ne conçoit que sous sa forme la plus élevée, elle en a l’amour et la fierté. C’est l’amour de son art qui l’a faite conférencière.

Une exquise conférencière, si personnelle, si vivante, une conférencière à nulle autre seconde. Et comme vous pourriez me reprocher de ne pas en dire tout le bien qu’il faut, je laisse à une de ses auditrices le soin de vous la présenter : « C’est un spectacle, et des plus charmants, écrit Mme Gérard d’Houville, que de voir, d’écouter Mme Dussane « jouant » ses conférences. Diction, musique, gestes, animation expressive, intelligente, malicieuse, profonde, ironique, gaie ou grave en leur diversité sont bien un jeu, sont bien un rôle, un beau rôle de composition. » Le même témoin, fidèle et ravi, nous la montre au moment où — j’allais dire : elle entre en scène. La voici « vêtue de rouge clair pour nous présenter Arnolphe et Tartuffe et de bleu sombre égayé de vert pâle pour célébrer Alceste... Les cheveux d’or fauve encadrent le front net et dévoilent le beau regard, à la fois aigu et mutin... Elle regarde son public, lequel est déjà sous le charme. Sans doute, en ce verre classique, l’eau est-elle remplacée par un philtre. Mme Dussane a respiré, en rassemblant in petto ses mots, ses idées, ses citations, ses réflexions, ce je ne sais quoi de magique qui permet de devenir un autre être. »

Devenir un autre être... voilà le mot, celui qui traduit, et l’exactitude la plus suggestive, la manière dont Mme Dussane nous présente les grands rôles de théâtre, — manière tout à fait particulière et neuve, dont je voudrais vous faire toucher du doigt l’originalité.

C’est que, ces rôles, l’étude qui en a été faite tant de fois par des critiques, des historiens, des professeurs, a pu être souvent très bien faite : c’est une étude par le dehors. Celle de Mme Dussane est une étude par l’intérieur. C’est le point de vue non plus du spectateur, mais de l’acteur. Le personnage dont il joue le rôle n’est pas pour l’artiste un étranger dont il endosse l’âme avec le costume ; il le porte en lui, il le sent vivre en lui, il le vit. C’est une « vie seconde ».

Mme Dussane analyse-t-elle le rôle d’Agrippine ? « Je suis femme, nous dira-elle, et je voudrais vous montrer dans Agrippine une femme passionnée, aussi ardemment, aussi furieusement passionnée que ses sœurs Hermione et Phèdre. » Et de même pour cette Hermione, coquette bafouée, ambitieuse déçue, amoureuse abandonnée, la pauvre Hermione que plaint Mme Dussane, entre femmes.

Ainsi évoqués, délivrés des bandelettes où les momifiaient les gloses des commentateurs, les grands personnages classiques se remettent à vivre devant nous. Nous croyions les connaître, nous les savions par cœur, et nous sommes étonnés d’y découvrir des traits qui nous avaient échappé.

L’Académie a été d’avis que ce livre, sous sa forme légère et pleine d’agrément, est un de ceux où nous avons le plus à apprendre des choses et des gens du théâtre, et qui nous font le mieux pénétrer dans leur vie profonde. C’est de quoi elle a tenu à féliciter Mme Dussane, en même temps que de la noble ferveur qui lui fait considérer l’interprétation de notre art classique, moins comme un métier que comme une mission.

 

Et voici un des services les plus incontestables rendus à l’histoire de notre littérature. Cette année a vu s’achever la publication de la Correspondance de J.-J. Rousseau, qui ne comprend pas moins de vingt volumes in-8°, publication capitale et qui fait pareillement honneur à celui qui l’a préparée, l’érudit genevois Théophile Dufour, et à celui qui l’a réalisée, M. Pierre-Paul Plan.

Des lettres de Jean-Jacques nous ne possédions qu’une édition remontant à 1824 et que l’on réimprimait sans presque y introduire de modifications, celle de Musset Pathay. Ce père d’Alfred de Musset était un lettré des plus estimables, mais d’un temps où on en prenait assez librement avec le texte des écrivains ; les erreurs de dates, les inexactitudes, les transpositions et omissions fourmillent dans son édition : il s’agissait de tout revoir et augmenter considérablement.

C’est à cette entreprise que M. Dufour avait consacré sa vie.

Il était jeune étudiant lorsqu’il découvrit le texte de la convention passée entre le père et le patron de Rousseau, en 1728, au moment de la fuite de Jean-Jacques. Cette découverte, ce papier jauni qu’il tenait entre ses doigts frémissants, décida de l’activité de toute son existence.

Désormais, au sortir de l’École des Chartes, à travers ses multiples occupations de magistrat, de directeur d’Archives et de Bibliothèque, il emploie tous ses instants de liberté à recueillir les matériaux d’une édition nouvelle que lui seul pouvait donner, qu’on attendait toujours, qu’il ne se décidait jamais à donner, ne la trouvant jamais telle qu’il la souhaitait. A ce jeu, on n’a jamais fini. Les années venaient. « A présent, disait le doux savant, c’est trop tard. Un autre publiera l’édition. S’il est honnête, il y mettra mon nom... »

Cet érudit honnête homme qu’appelait de ses vœux Théophile Dufour, ce fut M. Pierre-Paul Plan, le rousseauiste déjà bien connu, qui se chargea d’achever l’entreprise. Il le fit avec une conscience et une méthode admirables non seulement achevant mais complétant l’œuvre de Dufour. Ce sont trois mille lettres nouvelles que contient cette correspondance générale. Cette édition, digne des plus fameuses, est un modèle d’érudition et j’ajoute d’élégance la présentation et le commentaire dont l’a entourée M. Plan en rendant la lecture aussi facile et attrayante qu’elle est hautement instructive. En décernant le prix Jean Reynaud de dix mille francs, à M. Pierre-Paul Plan, l’Académie a voulu rendre hommage à son patient labeur et aussi l’aider à le parfaire par la publication de l’index qu’il juge indispensable et se propose de faire paraître par ses propres moyens.

 

Parmi les œuvres d’histoire et de critique littéraire, française et étrangère, je signale l’Art d’être européen par M. André Rousseaux, un moins de quarante ans à qui va la moitié du prix Paul Flat ; le livre que Mme Claude Ferval consacre à Jean-Jacques Rousseau et les femmes ; la thèse de Mme Jeanne Durry sur la vieillesse de ce Chateaubriand, à qui Rome vient de faire de si belles fêtes ; les pénétrantes études consacrées par Mme Juliette Bertrand à Dante vivant et la traduction de la Divine Comédie, d’une si scrupuleuse exactitude, par M. Henri Longnon ; de M. Léon Guillet un livre de la morale la plus courageuse et la plus virile, Allez mes enfants et vous serez des chefs ; enfin un travail considérable, les Œuvres complètes d’Henrik Ibsen où M. P. G. La Chesnais a réuni la plus copieuse et la plus instructive documentation qui puisse éclairer la vie et l’œuvre du grand dramaturge. Et comment oublierais-je l’Histoire du Canada pour tous, par M. Jean Bruchesi, au lendemain de ce quatrième centenaire de Jacques Cartier qui, sur les rives du Saint-Laurent, a réuni dans une fraternité si émouvante Canadiens et Français, ceux de la nouvelle France et ceux du « vieux pays » ?

Pourquoi n’avons-nous pu, celle année, décerner le prix d’éloquence, pour lequel nous avions choisi comme sujet l’éloquence même ? Est-il exact, comme le prétendent quelques-uns, que ce terme d’éloquence écarte par sa solennité nombre de concurrents peu soucieux de rivaliser avec l’Aigle de Meaux ? Or, depuis plusieurs années, il n’en est, à ma connaissance, presque pas une où le secrétaire perpétuel de l’Académie ne s’impose de rappeler que le mot éloquence est pris ici dans un sens général, ancien et traditionnel, comme synonyme de prose ; que nous demandons non pas une harangue mais une étude, un essai ; et que nous y apprécions, par-dessus toutes les autres, les qualités de simplicité et de naturel.

Mais les satisfactions que l’éloquence nous refusait, la poésie nous les a données. Comme on sait, tantôt nous indignons aux concurrents un sujet qui nous paraît de nature à les inspirer tantôt nous leur laissons le choix du sujet. Cette année, ayant deux prix à décerner, nous avons employé les deux méthodes et l’une et l’autre ont donné d’heureux résultats. Pour le poème à volonté nous avons pu récompenser MM. Nicolas Bauduin, François Dellevaux et A. Bazouin. Quant au sujet, la Conquête de l’air, il a tenté un poète les plus aimés, le spirituel auteur des Bouffon. M. Miguel Zamacoïs. Après avoir évoqué le rêve séculaire de l’homme jaloux du vol de l’aigle, et franchi les étapes de la conquête aérienne, le poète salue quelques-uns de ceux qui en furent les premiers héros et les victimes :

Garros, Pécoud et Nungesser
Cent artisans de la Victoire
Au champ d’honneur illimité,
Avec Guynemer que la gloire
Sur ses ailes a remporté !

Il s’abstient de prophétiser, comme le faisait notre grand Hugo que la conquête de l’air est la promesse d’une ère de paix universelle, — dont il ne semble pas que l’aviation doive beaucoup haler l’avènement, par ses avions de chasse et ses avions de bombardement ; mais il ne craint pas d’ouvrir à l’audace humaine des perspectives infinies :

Au captif éternel des ailes ont poussé...
Et le monde à présent, soudain rapetissé,
Lui semble étroit entre les pôles !

L’espace déjà manque à son activité...
Il ira bien plus loin et bien plus haut, beaucoup,
L’obstiné descendant du lointain troglodyte :
Aucun être vivant ne peut prévoir jusqu’où,
Puisque le ciel est sans limite.

Un jour il attendra quelque monde inconnu,
Régi par d’autres lois, soumis à d’autres règles,
Vengeant sans le savoir l’aïeul barbare et nu,
Qui regardait monter les aigles.

Ce jour s’annonce par les promenades dans la stratosphère : c’est l’embarquement pour les étoiles.

Parmi les recueils de vers, une œuvre charmante de grâce et de jeunesse, la Corbeille de Ghislaine par M. André Berry. Cette corbeille est une corbeille de noces. Les cadeaux dont le poète l’a coquettement garnie, ce sont, en forme de lais et de ballades, les souvenirs de ces grands événements : une promenade sentimentale, une assistance à la messe du dimanche, une causerie au jardin, une soirée à la table de famille, ces mille riens qui sont l’univers des amoureux. C’est en province, dans une atmosphère traditionnelle et calme, que s’épanouit cet amour vêtu d’innocence et de lin blanc. J’aimerais à vous citer, si le temps m’étais moins mesuré, une de ces jolies pièces pour vous y faire goûter la fraîcheur du sentiment, de la gaieté, de la jeunesse, la fluidité d’une langue familière et souple et le tour aisé des vers.

 

Nos prix d’ensemble : Vitet, à M. René Dumesnil, savant historien de la littérature, à qui nous devons, tout particulièrement, de remarquables études sur Flaubert ; Calmann-Lévy, à M. Victor Goedorp, auteur de pittoresques romans sur le monde des courses et qui, secrétaire général du Temps, a mis au service des Lettres autant d’activité laborieuse que de dévouement ; Née, à M. Philippe Barrès, qui porte dignement un grand nom, romancier de la Guerre à vingt ans devenu journaliste et qui, correspondant du Matin à Berlin, y est depuis plusieurs années la bonne vigie, attentive à signaler ce qui se trame dans l’ombre : Custos, quid de nocte ?...

 

Pour terminer, deux livres évoquant deux aspects bien différents des années de la Grande Guerre.

Celui que M. Albert Chatelle consacre à l’Effort belge en France pendant la guerre est un véritable monument élevé à la gloire de la nation héroïque. La préface est de M. Gaston Doumer me qui écrit : « L’exemple donné par la Belgique à l’heure où elle a été envahie, malgré les traités formels qui garantissaient sa neutralité... a soutenu et fortifié la résolution de tenir et de vaincre des Alliés. » Exemple magnifique et qui à jamais rayonnera dans l’histoire.

Sur la préparation du crime, sur l’exode d’un peuple obligé pour rester lui-même de se réfugier avec son armée hors de ses frontières, sur la loyauté avec laquelle son souverain refuse de se prêter à aucune proposition de paix séparée, le livre de M. Chatelle apporte à pleines mains informations nouvelles et documents significatifs.

Et du livre une grande et noble figure se détache, environnée d’une pure lumière, celle du roi Albert Ier ayant à ses côtés la reine Élisabeth. A toutes les pages il est présent, dans le texte ou par l’image, dressant sa haute silhouette sous l’uniforme de campagne et le casque de guerre, réconfortant les blessés, prenant part aux délibérations des grands chefs, le visage résolu et grave, avec cette simplicité de manières qui traduisait son admirable droiture, ou passant en revue cette armée qu’il avait refaite et qu’il devait mener à la victoire.

L’Académie voudrait avoir ainsi acquitté envers le Roi chevalier el son peuple, un peu de la reconnaissance française.

L’autre livre qu’on lit le cœur serré, ce sont les Souvenirs de notre ambassadeur en Russie, au lendemain de la révolution. A quelles difficultés, à quelles souffrances, à quels dangers ont été en butte nos diplomates, dans un pays où sévissaient anarchie et terrorisme, il faut en lire le détail dans les deux volumes de M. Noulens.

Mais un tel livre est encore, et surtout, un avertissement. Les pages où, dans une préface de la trame la plus serrée, M. Noulens formule la leçon de son expérience, devraient être méditées par tous ceux qui tiennent dans leurs mains les destinées des nations civilisées. « Les faits dont, j’ai été le témoin, écrit-il, ont encore sur la politique du temps présent une répercussion qui se prolongera dans un avenir lointain. » C’est un témoin qui parle et sa parole a l’autorité de l’homme qui a vu et qui sait.

Or, l’idée maîtresse du livre est la réponse à ceux qui, — non contents d’avoir applaudi à la révolution russe, au moment où, par la trahison de ses chefs en pleine guerre, elle allait nous coûter plusieurs centaines de mille morts, — nous la présentent aujourd’hui comme un mouvement populaire et national, inévitable, irrésistible, produit de ces vagues de fond qui à de certaines heures emportent tout un monde. Fatalisme commode et paresseux, auquel recourent en manière d’excuse, ceux qui à l’heure décisive ont négligé de faire leur devoir. Tout au contraire,

M. Noulens montre, et à l’évidence, avec quelle facilité la révolution, uniquement voulue par quelques sectaires, eût été conjurée lors de ses débuts, comment à plusieurs reprises elle a été près d’échouer, les Soviets qui se croyaient perdus, n’ayant été sauvés, à leur grande surprise, que par l’inertie et la passivité de leurs adversaires, — et M. Noulens a le courage d’ajouter : « par les tergiversations des Alliés, dont les perpétuelles concessions ont fortifié un régime qui n’a jamais caché son dessein de détruire leurs gouvernements. »

Or, la menace est certaine. « La mystique de Lénine, insiste M. Noulens, menace toutes les nations, car partout il existe des masses passives qui flottent sans volonté propre entre les extrêmes, au gré de ceux qui savent les conduire ou exploiter leur mécontentement ; et partout on constate la faiblesse et l’abdication des élites en face d’une minorité d’énergumènes... Mais une nation qui s’adonne à une vaine phraséologie et confie ses destinées à des rhéteurs fumeux, court à sa perte et à sa déchéance. »

Puisse l’avertissement être entendu, et la leçon porter mieux ses fruits, que tant d’autres leçons de l’histoire qui étaient prophétiques et qui sont restées vaines !

 

J’arrête ici ce palmarès si incomplet, non sans un mot d’excuse à l’adresse de beaucoup que je n’ai pu citer. Qu’ils ne voient pas là une marque d’indifférence ! Chaque année des voix s’élèvent pour nous conseiller de diminuer le nombre de nos prix, afin d’en augmenter la valeur et surtout le retentissement. Est-ce bien comprendre le but que nous poursuivons ? Notre ambition n’est pas de lancer aux quatre vents de la publicité des réputations toutes neuves, au risque des cruelles déceptions du lendemain. Pour nous, comme je le disais au début de ce rapport, ce qui importe avant tout, c’est de veiller à la continuité du labeur par quoi s’entretient la vitalité et s’assure l’avenir de l’esprit français. Les plus modestes de nos prix, par leur multiplicité attestent que, partout en France et dans tous les genres de littérature, on continue de travailler avec conscience et ferveur on maintient et on tient.