Rapport sur les concours de l'année 1920

Le 25 novembre 1920

Frédéric MASSON

ACADÉMIE FRANÇAISE

SÉANCE PUBLIQUE ANNUELLE

DU JEUDI 25 NOVEMBRE 1920

RAPPORT SUR LES CONCOURS DE L’ANNÉE 1920

DE

M. FRÉDÉRIC MASSON
SECRÉTAIRE PERPÉTUEL

 

 

MESSIEURS,

En Bourgogne, dans un village de deux mille âmes, au portail d’une église du XIVe siècle, le passant épèle quatre-vingt-dix noms taillés récemment dans la pierre vénérable — les noms des enfants du pays morts pour la France durant la Grande Guerre. Cela convient. Pour la défense du sol les siècles se sont unis. Le passé est venu à l’aide du présent et, rien que par ces noms, ils présentent à l’avenir un mémorable enseignement. Sur notre sol, c’est ainsi à chaque hameau qu’on traverse, et chaque maison a ses morts. Quinze cent mille tués, c’est la rançon de notre terre. Qui dira ce qu’eussent valu ces morts s’ils avaient vécu ? Comment peser le grain qui manquera aux prochaines récoltes ? Comment compter les épis qui ne lèveront pas ? Au moins, dans cette maison des traditions séculaires, réunirons-nous, pour les porter en offrande sur l’autel de la patrie, les œuvres interrompues qui attestent en même temps le deuil des espoirs brisés et la magnificence des sacrifices volontaires : historiens, romanciers. Dramaturges, poètes, voilà leur gerbe ; elle est légère et grêle, mais un ruban teint de leur sang l’attache et le consacre.

 

Un poète était né qui, à un art subtil et doux, à une interprétation pénétrante des paysages et des êtres de France, joignait une rare entente du dialogue et une faculté puissante de prêter ses idées à des personnages qu’il imaginait : c’était Georges Battanchon ; Lugné Poé avait révélé aux spectateurs de l’œuvre, d’abord Philista, puis Sur le Seuil, enfin le Triomphe de Salomé, et le succès de ces débuts avait été grand ; mais les tâches que remplissait Battanchon, d’abord au lycée Henri IV, puis à l’École alsacienne, absorbaient la plus large part de son temps et c’étaient ses loisirs de vacances qu’il consacrait au goût et à l’art des vers. Ainsi s’explique, dans ses poèmes, la senteur charolaise qui les parfume pleinement. Sergent d’infanterie, versé tout de suite dans un régiment de l’armée active, il est tombé dans un assaut en entraînant ses hommes.

Sergent aussi, Joseph de Joannis-Pagan dont on nous a apporté Les Sons graves et doux. Né à Marseille, émigré à Lyon, puis à Paris, employé dans la banque, puis dans le commerce, marié à une femme charmante et qu’il aimait, il était, dans la position modeste à laquelle ses origines aristocratiques ne l’avaient point préparé, un homme de famille, chantant humblement les petites joies tendres. Dans quelques pages, M. René Faralicq a évoqué avec émotion la noble figure de ce soldat-poète dont il a justement caractérisé la tradition toute latine.

Après vingt ans de services militaires durant lesquels il avait laissé couler les Heures chantantes, le comte Charles d’Ollonne s’était retiré en Anjou où il avait collaboré activement aux œuvres intéressantes d’un groupe artistique et littéraire. En 1914, il reprit du service, et, sur les fronts de l’Aisne et de la Somme, il déploya les hautes vertus de sa race. Envoyé en Italie après des épreuves qui avaient ébranlé sa santé il fut ramené en France pour mourir. Ce quatrième volume d’Heures de guerre a été recueilli, comme un suprême hommage élevé au soldat et au poète, par celle qui fut l’incomparable compagne d’une vie toute d’intelligence et de patriotisme.

Près de ces vers parfois inexpérimentés, mais attestant un goût très vif pour les lettres, on placera un petit recueil de pensées juvéniles : En face de la Mort, le legs du lieutenant Hoff, un Saint-Cyrien tué à vingt-deux ans en Alsace.

Pour que la pensée s’exprime, il faut avoir vécu, ou avoir formé son esprit aux hautes disciplines d’intelligence ; ce qui est le cas de Louis Mairet. On ne saurait dire qu’il eût beaucoup vécu, mais il avait beaucoup rêvé, et sa pensée était à la fois très personnelle et très critique, fougueuse et sévère ; partiale et parfois révolutionnaire comme on l’est de vingt à vingt-cinq ans. Né aux Gobelins où son père était artiste tapissier comme fut le père de Victor Duruy, il fit ses études comme externe, fut admissible à Normale en suivit alors quelques cours à Saint-Cyr, en sortit aspirant, fut promu sous-lieutenant et fut tué. Ce petit volume où l’on a recueilli ses notes et ses lettres est d’un écrivain. Comme dit Gustave Geffroy qui a vu cet enfant, grandir : « Ouvrez-le au hasard, vous tomberez toujours sur une vision nette sur une perception singulière des choses, sur une rêverie devant le destin... Une magnifique philosophie émane de ce soldat de vingt ans. »

L’abbé P. Robidou présentait, le 16 juin 1914, à la Faculté des Lettres de Rennes, ses thèses pour le doctorat : Les derniers corsaires malouins, la course sous la République et l’Empire. Deux mois plus tard, il était mobilisé ; en 1915, il était affecté comme caporal aux brancardiers de la 36e division, et en mai 1916, à Verdun, il était tué non loin du fort de Souville. L’abbé Robidou avait exploré soigneusement les archives de sa ville natale et celles de Paris. Il a présenté les faits sans leur donner une importance immodérée : il a fourni une abondante bibliographie et de nombreuses pièces inédites ; enfin, en cent cinquante pages, il a mis au point un sujet que, selon une mode récente, il eût dû développer en un millier.

À la gloire de deux morts on a présenté ces livres : Yves de Joannis, par M. Tony Catta ; Louis de Clermont-Tonnerre, par M. Louis Gillet. Dans le premier, les lettres et les témoignages abondent et contribuent à édifier solidement ce monument à la mémoire d’un héros. Peu de pages valent celle, très simple, qui raconte le combat du 7 septembre 1914, où Yves de Joannis fut blessé mortellement. Très brillant, largement peint de couleurs éclatantes, le portrait de Louis de Clermont-Tonnerre, commandant de zouaves, ne peut manquer de retenir. M. de Clermont-Tonnerre fut un des disciples d’Albert de Mun, et, difficilement, eût-on trouvé un chrétien, un français, un soldat qui l’eût mieux continué. Sa figure, son allure, sa parole, étaient dignes du chef qu’il s’était donné.

Entre ce gentilhomme et ce prêtre, il y a place pour un écrivain dont le nom fut plusieurs fois discuté ici-même, et qui, sans conteste eût marqué s’il avait dominé les contradictions d’une nature rêveuse, mélancolique, chez qui le souci du style et la recherche des expressions entravaient la production. Mlle Clermont a consacré à son frère un beau livre de tendresse fraternelle, où palpite quelque chose de l’âme d’une Eugénie de Guérin. Au sortir de l’École normale, Émile Clermont avait débuté par des romans qui, malgré leurs agréments, restaient au-dessous de son esprit ; inférieurs à une façon de penser très haute qui esquisse plutôt qu’elle ne détermine, une pensée qui dédaigne ce qu’elle produit et que ses inventions n’amusent pas. Émile Clermont n’était point né soldat. Il écrivait le 17 août 1914 : « Je suis assez fatigué des exercices et travaux que j’ai dû faire, et pour lesquels je n’ai ni goût, ni entraînement », et, du front, six mois après : « Je vois passer les jours avec des occupations constantes qui ne me plaisent pas, mais dont je sens tout à la fois la nécessité et, en somme, la valeur. » Ici encore, il hésite, il critique, mais, vienne l’heure suprême il mérite cette citation : « Dévoué à son devoir jusqu’à la mort qu’il a trouvée au moment où, sous un violent bombardement, et malgré les avis qui lui étaient donnés il se tenait dans la tranchée, veillant personnellement à une attaque possible de l’ennemi. »

Les villes comme les hommes, ont leurs martyrs. L’Académie a distingué en particulier le livre que Mgr Péchenard a consacré à sa cité épiscopale : notes écrites au jour le jour, au milieu des agitations et des souffrances de la guerre, qui ont pour achèvement la mort de l’auteur. Il y faudrait mettre comme post-face l’éloge funèbre prononcé il y a quelques mois, dans la cathédrale de Soissons, par notre confrère, Mgr Baudrillart. Du vicaire général de Reims, du recteur de l’Institut catholique, de l’évêque de Soissons, il a exprimé tout ce qu’il convenait. « Il était patriote jusqu’au fond de l’âme », a-t-il dit. C’est assez.

Sans comparer Verdun à Soissons, on peut mettre sur une planche voisine, L’angoisse de Verdun, de M. Pierre Alexis Muenier ; Souvenirs d’un conducteur d’auto-sanitaire. M. Muenier donne, de la ville écrasée et victorieuse, une vision interrompue, cahotante, coupée d’arrêts, de montées et d’explosions, mais où l’on remue, où l’on va où l’on vit, d’une allure qui, peut-être, précipite vers la mort, mais qui n’en est point hallucinée, comme elle serait dans la tranchée ou entre quatre murs. C’est au contraire cette sensation de terreur que présente l’abbé Thellier de Poncheville dans Dix mois à Verdun, livre plus sérieux plus religieux, moins dispersé, mais moins vivant.

De la vie de guerre, impossible d’ouvrir plus d’horizons que ne fait l’abbé Georges Guitton dans la Poursuite victorieuse. C’est aux derniers jours, quand la Victoire prend son essor, et qu’arrivent de loin des sonneries joyeuses. À ces moments d’enthousiasme, il faut encore des victimes, mais ce prêtre qu’anime une double foi, en sa Patrie et en son Dieu, porte à la bataille une âme qu’il ne reconnaîtra plus demain. Rien d’affecté dans la limpidité d’une phrase qui caractérise aussi justement les paysages que les hommes et qui rend les personnages sans brutalité, dans un raccourci où ils restent reconnaissables par les traits puissants dont il les a marqués.

M. Auguste Marguillier en racontant la Destruction des monuments sur le front occidental, ne s’est point imposé de peindre un tableau complet des destructions ordonnées par le haut commandement allemand au cours de la guerre. Il a tenté seulement de mettre en lumière, avec l’opportun concours de l’iconographie, les plus odieux de ces attentats et, de répondre ainsi aux plaidoyers publiés par les soins du Grand État-Major allemand, notamment par M. Clemens, M. Marguillier y a réussi dans des pages claires, précises et probantes.

Certains travaux sur les nouveautés de ces dernières campagnes ont été distingués par l’Académie : vieux neuf à dire vrai, car les Chars d’assaut renouvellent les chars de guerre d’Assyrie et de Perse. L’appropriation des formes et des applications, leur adaptation, leur rôle pendant la Grande Guerre sont amplement exposés par le capitaine Dutil. Les cartes qui accompagnent les offensives, qui les commentent et les imposent aux yeux, achèvent la démonstration des effets obtenus grâce à cette machine, produit excellent du génie français.

Vieux neuf de mène : Les, chiens de France, soldats de la Grande Guerre, où M. Paul Megnin expose comme on a choisi les chiens de guerre et comment leur service fut organisé. Conclusion, à la gloire des chiens, cet ordre du jour du maréchal commandant en chef : « Les chiens de guerre vont quitter les armées, ils y ont rendu de distingués services, particulièrement dans les liaisons et les ravitaillements… » Cela suffit aux toutous et à leurs maîtres.

Le Front de mer a eu aussi ses chroniqueurs. Daniel Parège, l’auteur de : Et nous... les marins, initie les lecteurs aux misères, aux espérances et aux déceptions que rencontraient sur mer les équipages des contre-torpilleurs.

Et le Front du Maroc, doit-on croire qu’il a été oublié ? Pour affirmer combien il compte dans les préoccupations françaises, il nous en vient trois livres : Les Souvenirs du Maroc, par M. Poisson La Martinière ; les Énergies françaises au Maroc, par M. de La Revelière ; La France au Maroc, par Mme Berthe Georges-Gaulis. M. La Martinière rappelle avec compétence une histoire déjà vieille : les relations du Maroc avec les diverses puissances d’Europe, la grandeur et la décadence de l’ancien Makhzen, les étranges fortunes des chrétiens islamisés, et cela, entre des réminiscences de campagnes archéologiques, vieilles déjà de trente-quatre ans. Les Énergies françaises au Maroc datent d’avant la Guerre, et visaient alors à présenter un tableau complet de la vie indigène ; mais cette vie est figée dans des statistiques qui dédaignent le pittoresque. Par contre, les qualités de description brève, de peinture vigoureuse, de compréhension rapide, se trouvent réunies dans le petit livre de M. Gaulis qui, en moins de trois cents pages, instruit efficacement les Français de la France au Maroc, et de l’œuvre du général Lyautey. Veuve d’un correspondant de guerre, Mme Gaulis a acquis, sur l’Orient musulman, des connaissances qui font d’elle un précieux auxiliaire pour les serviteurs du pays. Elle a le don de voir ; elle a le don de rendre, par la plume, ce qu’elle a su voir et d’y insuffler la vie. Elle expose ici l’œuvre accomplie, depuis le 24 mai 1912, par notre confrère le général Lyautey, et, pour en acquérir une sommaire notion, il suffit de ce récit intéressant, coloré et précis.

C’était un front aussi que l’Amérique, un front où l’on préparait l’offensive ; deux livres, fort divers de ton, nous le montrent en action ; l’un a pour titre : L’armée américaine dans le conflit européen, et pour auteurs, le lieutenant-colonel de Chambrun, et le capitaine de Marenches. Ces deux officiers avaient été détachés, pendant la guerre, près du général Pershing, commandant en chef des troupes américaines en France. Ils n’apportent point une apologie, mais un récit véridique, appuyé de documents officiels, la plupart secrets ou confidentiels. Tous les éléments s’y trouvent assembles pour attester l’effort des Américains en France et le considérable appui qu’ils ont apporté aux Alliés. L’exposé détaillé de tous les services de l’arrière, qui ont pris, dans la guerre moderne, une importance capitale, ne nuit point au récit des opérations auxquelles a participé l’armée américaine, et qu’a couronnées la prise de Saint-Mihiel.

L’abbé Félix Klein, l’auteur de En Amérique, à la fin de la guerre, a servi comme aumônier à l’ambulance américaine de Neuilly. Cinq fois couronné par l’Académie, il avait publié de nombreuses traductions d’ouvrages anglais ; aussi ne peut-on s’étonner qu’il ait été choisi pour collaborer à la mission que dirigeaient Baudrillart et Mgr Julien, évêque d’Arras. Il a noté finement quelques traits de l’amitié franco-américaine, pendant le dernier mois de la guerre, et le mois qui suivit l’armistice. Ce livre, très vivant, a toutes les qualités de la sincérité.

Parmi les romans de guerre, l’Académie a réservé la Paix de l’Homme, par Jean de Grandvilliers, souvenirs personnels et début prometteur ; puis, Ceux de Barivier, par M. Benjamin Valloton. Depuis le jour où le prix de Jouy fut décerné au livre de M. Valloton : La Famille Profit, l’Académie a vu ce noble écrivain vaudois croître en talent et acquérir toute son autorité. La guerre lui a permis de publier combien il était attaché à notre sol et à nos gens. Les souffrances de nos soldats et de nos exilés n’ont pas trouvé d’interprète plus émouvant et plus convaincu. L’auteur de Racines, de : On changerait plutôt le cœur de place, a été de ces généreux auxiliaires qui sont arrivés en renfort pour défendre notre pays. Il n’est pas de pages écrites par un Français qui égalent en émotion communicative les dernières de ce petit livre : Ceux de Barivier. Il faut, d’une effusion de cœur, en remercier l’auteur.

Presque en parallèle, on peut mettre Le Maison en deuil, de M. Albert Autin, livre d’une belle tenue littéraire dans la tristesse douloureuse qui l’emplit ; le Mercredi des Cendres, qui annonce en M. Léon Chancerel un romancier de premier ordre. M. Chancerel a reçu de la guerre un thème douloureux ; il a su n’en garder que l’essentiel et en tirer un livre profondément humain.

Pour le concours Archon-Despérouses il est venu des recueils renfermant parfois des vers, le plus souvent des lignes inégales, fort longues et peu claires. C’est une prosodie dont le secret ne m’a point, été révélé. Mettons à part : Les Complaintes, de Charles de Saint-Cyr. Ce qui est préférable dans ce volume, c’est, peut-être, un morceau de prose : l’offrande, que M. de Saint-Cyr en fait à son frère. Il y a là des pensées touchantes.

Pour rendre compte de tous les livres qui présentent, dans cette paix peu assurée, des problèmes intéressants, il faudrait s’étendre plus qu’il n’est permis ici. Signalons pourtant : la Philosophie de la Guerre et de la Paix, de M. Sageret, « livre intéressant, œuvre d’un esprit réfléchi. L’auteur se pose, sans d’ailleurs y donner une solution ferme, la question de l’avenir de la guerre et de la paix ».

M. René Lavollée, dans Lendemain de Victoire, recueille des études sur les questions controversées et présente, dans une langue agréable, de justes évaluations des forces en présence.

Le seul résultat de la paix qui apparaisse nettement semble avoir été le triomphe du Principe des nationalités. D’où il procède, par qui il a été proclamé et défini, quelles conséquences il doit produire : c’est ce que M. René Johannet a tenté, en des termes parfois obscurs, avec des développements historiques parfois contestables. Au reste, on entre ici dans des théories qui appelleraient la discussion. Pour relever les ruines, de M. Joseph Dassonville ; Donnez des terres aux soldats, de M. Edmond Buron ; L’Économie nouvelle, de M. Georges Valois ; La Terre à la famille paysanne, de M. P. Caziot ; enfin l’Appel de la terre, de M. J. H. Ricard. Sous le pseudonyme de François Leterrien, M. J. H. Ricard a mené, de 1915 à 1918, dans l’Écho de Paris, une campagne dont on peut ici apprécier l’utilité. Il n’était point tendre alors pour les parlementaires !

Il faut joindre sans doute à cette énumération le Rapatriement de Mme Andrée d’Alix, étude sur les œuvres de secours ; et peut-être un livre de M. Le Bidois, professeur de littérature à l’Institut catholique : L’Honneur au Miroir de nos Lettres. M. Le Bidois s’efforce de prouver que l’Honneur a été une des bases essentielles de la résistance ; en quoi il a raison. Mais il cherche la tradition de cet Honneur dans la littérature depuis la Princesse de Clèves ; dans les écrits des philosophes du XVIIIe siècle, ou des écrivains romantiques, dans le théâtre d’Émile Augier, et d’Octave Feuillet, alors qu’il met en oubli les écrivains — même médiocres — qui fleurirent au temps de l’Épopée. « L’honneur, assure-il, n’est pas, comme le disait Vigny, la poésie du devoir, ni proprement la conscience exaltée, il est la Conscience en grandissement de Fierté ». Où il a pleinement raison, c’est lorsqu’il ajoute « que depuis 1914, la France, pour l’Honneur, comme pour le reste, n’innove en rien. Elle continue ».

Tout de même, il est difficile de concevoir l’action que les Effrontés et Maître Guérin ont bien pu exercer sur le soldat de 1914.

Nous voici arrivés au prix d’éloquence. L’Académie avait, dès 1918, proposé comme sujet aux concurrents : La Victoire. La bataille n’était point terminée, et elle eut encore des alternatives ; l’ennemi avait des sursauts que marquaient à Paris le passage de ses avions, et l’éclatement de ses obus. Mais l’Académie avait mis à l’ordre de l’armée des lettres : La Victoire, et, dût la Coupole crouler sous un baiser de la grosse Bertha, elle n’en aurait point le démenti. L’Académie a décerné le prix à M. Paul Rougier, lauréat dans un précédent concours de poésie. « Un style tourmenté, souvent obscur, parfois incorrect, mais personnel, vigoureux, nerveux et coloré », a dit le rapporteur. Quant aux idées directrices, elles sont d’un Français patriote et catholique. L’auteur porte à les exprimer, à flétrir ceux qui, se retirant en marge, ou, comme disait l’un d’eux, en un euphémisme candide, au-dessus de la mêlée, une belle indignation. Il parle franc à ces gens qui, dans la guerre, voyaient d’abord la prohibition des petits gâteaux : il les met en contraste avec les autres, ceux qui, courant à l’assaut, portaient la vie avec eux en apportant la mort. Au surplus, quelques fragments du discours couronné vont tout à l’heure vous être soumis, et vous en apprécierez la valeur patriotique, littéraire et morale.

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La guerre occupe, légitimement comme on voit, une large place, dans nos concours : mais l’histoire, la biographie critique, la poésie, la littérature d’imagination et l’essayisme affirment leur vitalité par des œuvres de premier ordre.

Le Grand Prix Gobert a été décerné à M. Charles de la Roncière, conservateur à la Bibliothèque Nationale, pour son tome V de l’Histoire de la Marine française. Par deux fois. l’Académie des Inscriptions et Belles-lettres avait honoré cet ouvrage du prix Gobert dont elle dispose. C’étaient les Origines depuis la marine gallo-romaine, jusqu’au traité de Brétigny ; la guerre de Cent ans, jusqu’à la révolution maritime, conséquence, à la fois, des entreprises guerrières et des découvertes commerciales ; les guerres d’Italie et la liberté des mers ; enfin la quête d’un empire colonial par Richelieu. À présent M. de La Roncière, avec la guerre de Trente ans et Colbert, entre dans les temps modernes et pénètre dan, un domaine qui est nôtre.

« Le travail est considérable, a dit le rapporteur ; la bibliographie est énorme ; étude des documents français constamment contrôlés par les sources étrangères : exploration des fonds français, papiers de Colbert et papiers de Richelieu à la Bibliothèque Nationale : toutes les Archives parisiennes, quantité de provinciales : le British Museum, les archives du Vatican, de Gênes, de Simancas, de Stockholm ; celles des ports de guerre du XVIIe siècle ; étude des champs de bataille où les flottes se sont trouvées en liaison ou en conflit avec des forces terrestres : Donc, documentation de premier ordre.

« Cette documentation permet de constater, une fois de plus, notre ingratitude à l’égard de la Marine qui a fait de si grandes actions, révélé nos aptitudes maritimes et coloniales, et à laquelle nos histoires font une place si médiocre. Les cent premières pages du volume sont consacrées à Richelieu qui avait déjà, avec ses desseins coloniaux, occupé le tome IV. Il s’agit à présent de la lutte avec la maison d’Autriche et de la maîtrise de la mer. L’œuvre maritime du cardinal est jugée par Colbert en ces termes remarquables : « De tout ce que le cardinal de Richelieu avait entrepris pour la gloire du Royaume, il n’y avait rien de plus important que la navigation et le commerce ». Après Richelieu, Mazarin et la ruine de la marine : elle n’est plus qu’un « corps paralysé sans espoir de guérison », et c’est ce corps que Colbert, dès qu’il a les affaires en main, se passionne à ressusciter.

« Il serait impossible d’analyser ici le livre de M. de la Roncière. Il renferme toute l’œuvre maritime de Colbert ; les institutions du grand ministre qui subsistent encore en partie, ses idées toutes modernes en matière de marine : primes aux constructions navales ; écoles de canonnage ; frégate-école pour les futurs officiers ; sauvegarde de l’avancement par le tableau d’ancienneté ; caisse des Invalides de la Marine ; service obligatoire des inscrits ; séparation entre les fonctions militaires et les fonctions administratives ; réforme de l’hydrographie avec la collaboration des corps savants récemment institués, enfin législation maritime avec l’ordonnance de 1681. »

Tels seraient les éléments de ce livre, s’il n’y fallait joindre les guerres et les épisodes des guerres contre la Hollande, l’Angleterre, l’Espagne, l’Europe continentale. Les flottes du Roi sont presque détruites par les tempêtes et les écueils, et, de la guerre d’escadre, on doit recourir à la guerre de course, mais il n’en reste pas moins que Colbert, avec Duquesne et Tourville, a apporté un magnifique exemple de volonté, d’intelligence et d’endurance. L’Académie témoigne à M. de la Roncière l’estime qu’elle fait de son œuvre en lui décernant le grand prix Gobert.

 

De même met-elle hors de pair la Catherine de Médicis de M. Mariéjol. M. Mariéjol, professeur à l’Université de Lyon, avait déjà prouvé, par sa collaboration à la grande Histoire de France de M. Ernest Lavisse, sa compétence dans l’histoire du XVIe siècle. Il y revient à présent avec la biographie de cette reine, sans doute très calomniée, car elle eut affaire aux pires adversaires et elle ne les ménagea point. Ce n’est point qu’elle fût sans torts : « Ondoyante et mobile, elle n’a pas toujours été la même au cours de trente ans de règne. Elle a été entraînée par la lutte, irritée par les résistances, mais elle ne manquait pas de générosité ; elle passait pour « bénigne » et, dans une époque normale, elle aurait sans doute préféré la douceur à la violence.

« C’est surtout dans la correspondance de Catherine que l’auteur a recherché les motifs de son opinion. Il est arrivé à cette conclusion que, si Catherine n’avait pas assumé la terrible responsabilité de la Saint-Barthélemy, elle aurait laissé la renommée d’une femme vertueuse, d’une reine qui a réussi à défendre l’État et la dynastie contre une multitude de forces anarchiques. En dépit des pamphlets et des libelles, elle fut, épouse ou veuve, la femme de « vie incoulpée » que célébrait Henri III. Dans un des meilleurs chapitre du livre, M. Mariéjol la représente personnifiant en France, au cours du XVIe siècle, la civilisation et l’esprit de la Renaissance, aimant le luxe et la magnificence, multipliant les fêtes, bâtissant des palais, pour donner à la royauté un décor plus somptueux, recherchant la compagnie des lettrés et des artistes, voulant, comme elle disait, « montrer à l’étranger que la France n’était si totalement ruinée et pauvre à cause des guerres passées, qu’il l’estimait. »

M. Mariéjol emprunte parfois à des ouvrages récents des tournures dont le modernisme surprend. Mais tout de suite, la phrase se relève et reprend le ton qui lui convient de belle histoire.

L’ouvrage de l’abbé Leman : Urbain VII et la rivalité de la France et de la Maison d’Autriche (1631 à 1635), « est un excellent travail ; la période étudiée est courte, mais importante. L’auteur s’est attaché à bien caractériser la neutralité, en somme favorable à la France, où se tint, pendant le grand conflit, le pape Urbain VIII. Les recherches d’archives ont été très étendues et conduites avec une bonne méthode ; l’exposition est sobre et claire, » mais, là aussi, à Lille, l’on parait en donnant des développements exagérés à certains événements, perdre la notion juste des proportions.

M. Roger Charbonnel, professeur au lycée de Saint-Étienne, a présenté un ouvrage considérable, bien documenté, agréable à lire, sur la Pensée italienne au XVIe siècle et le Courant libertin. Ce Courant libertin a précédé la Réforme ; « ce fut un mouvement sensualiste et positiviste, une tentative pour obtenir de la nature l’explication des grands problèmes, un recours à l’observation et à l’expérience, alors que des siècles de dialectique et la tyrannie d’Aristote avaient lassé et découragé les esprits, mais l’observation et l’expérience étaient encore inhabiles chez des gens qui n’avaient renoncé ni à l’alchimie, ni à l’astrologie, témoin Jérôme Cardan, physicien, mathématicien et sorcier. »

« L’École de Padoue, à laquelle le pape Eugène IV avait conféré, en 1449, des privilèges égaux à ceux des Universités de Paris et de Salamanque, devait causer à l’Église de grandes inquiétudes lorsque Cremonini dans le De Coelo, affirma l’éternité de la matière, et que Pomponace, dans le De Fato, discuta le libre arbitre, la prédestination, l’immortalité. La maxime favorite de l’école de Padoue était : « Il y a deux vérités, une naturelle, une autre surnaturelle et religieuse. »

Les politiques contemporains avaient adopté cette manière de voir. Machiavel, dont M. Charbonnel trace un vivant portrait, s’écrie : « Malheur à l’État né la crainte de l’Être suprême n’existe plus ! » En résumé, la religion n’est pour eux qu’un moyen de gouvernement. Les portraits de Vanini, de Giordano Bruno, de Telisio, de Galilée, de Copernic, inventeur du principe de relativité, et d’une théorie selon laquelle le soleil devient le centre de l’univers, sont de premier ordre. À ce livre, l’Académie a regretté de ne pouvoir offrir qu’une part du prix Marcelin Guérin.

C’est qu’elle avait à récompenser un autre travail important, œuvre d’un philosophe qui est en même temps un écrivain ; dans La Raison et la Vue, M. Grandjean montre d’abord comment les données de la vue sont prédominantes dans la connaissance du monde, et comment, parmi ces données, nous préférons ce qui est immobilité à ce qui est mouvement. Puis il établit, et c’est sa thèse essentielle, qu’il y a une étroite connexion entre la raison et le sens de la vue. Les habitudes de la raison sont celles même de la vision. De là vient que la raison tend à immobiliser et à simplifier, et que la connaissance purement rationnelle ne suffit pas au philosophe. Elle doit être corrigée et complétée par l’intuition et l’entendement. L’auteur développe ces idées avec beaucoup de pénétration et de force, dans ce livre riche d’aperçus, suggestif et original.

Dans La Poésie Scientifique, de 1750 à nos jours, M. C. A. Fusil s’est efforcé de démontrer la possibilité de l’existence d’une poésie scientifique. Il affirme que l’esprit le plus rigoureusement scientifique n’exclut pas cette réaction de l’âme, de l’intelligence et du cœur qui s’exprime par la poésie. Il analyse les œuvres de Chénier, de Vigny, de Sully Prudhomme, de Leconte de Lisle, d’Ackermann, etc. dans leur partie relative à la science. Et dans une conclusion très étudiée il s’efforce d’établir que les transformations mêmes que subit actuellement la science, peuvent être favorables à une nouvelle éclosion de poésie scientifique. Il estime que, chez nous, celle-ci est très vivante, et qu’elle est une des gloires de notre littérature.

Le livre de l’abbé Prunel, Cours supérieur de religion, rentre peu dans le libellé du prix Juteau Duvigneau, auquel il a été présenté ; mais les qualités développées par l’auteur dans les cinq volumes où il a entrepris d’exposer la doctrine catholique, ont fait passer sur cette impropriété. Vice-recteur de l’Institut Catholique, l’abbé Prunel a professé ce cours avec l’autorité que lui assurent son passé, sa science ecclésiastique et profane. Resté étroitement lié par les décisions de la puissance pontificale, il a obtenu l’approbation unanime de ses supérieurs.

De même, le volume de M. Pierre Edm. Hugues, Un impôt sur le revenu sous la Révolution. Histoire de la contribution patriotique dans le Bas-Languedoc, ne correspond guère au libellé du prix Fabien, mais le rapporteur a insisté sur un travail assurément étudié, et qui, de l’expérience tentée sur un médiocre théâtre, permet de tirer des conclusions plus amples. Toutefois, de tels livres qui auraient trouvé des succès proportionnés à leurs mérites dans les concours de Sociétés provinciales, en se guindant sur un trop grand théâtre, se discréditent, et y disparaissent.

L’Académie accorde un prix de 500 francs à une brochure : Les Lorrains et la France au moyen âge qui se présente comme le fruit d’une collaboration entre mort et vivant. Les règlements interdisent de récompenser un auteur décédé depuis sept années, mais ils n’empêchent point de couronner le préfacier qui a préparé la publication. Tel est le cas pour ce recueil de courts articles qu’a laissés M. Maurice de Pange, et que publie un de ses neveux.

Reste à envisager des biographies qui, avec des prétentions plus restreintes, fournissent des notions précises sur un individu, et par cet individu, sur une société.

M. Varagnac a étudié avec sympathie la vie d’Émilio Castelar, ce personnage espagnol qui a fait beaucoup de mal à son pays et qu’on assure avoir été un ami de la France. Il professe pour lui et pour ses discours, une grande admiration et il expose, dans une langue excellente, les motifs personnels qui le guident.

L’abbé Pierre Dubois, l’auteur de Victor Hugo, ses idées religieuses de 1802 à 1825, a eu peu de peine à établir que, chez le poète, au temps de sa jeunesse, le catholicisme était purement de façade et qu’il ne faut pas y attacher plus d’importance qu’au royalisme qu’il annonçait tenir de sa mère. Sophie Trébuchet était de Nantes, où son grand-père Lenormand-Dubuisson, fut nommé par Carrier, juge au Tribunal révolutionnaire. La petite-fille partageait les idées du grand-père, et cela fit une Vendéenne d’un nouveau bateau, — le bateau à soupape. Victor Hugo, ainsi que le prouve une lettre de son père récemment publiée, n’a point été baptisé ; il n’a pas fait sa première communion ; il s’est tenu constamment en marge de l’Église, et si, à un moment, pour des intérêts perceptibles, il en a chanté les gloires, ce fut un exercice littéraire dont toute sincérité était bannie. Rien n’eût été plus probant pour donner idée du milieu où l’enfant grandit, qu’un aperçu sur le double ménage de Sigisbert Hugo. Il est vrai qu’on nous a dit récemment du double ménage de Victor Hugo : « Quoi de plus moral et de plus digne ! »

À ce volume, M. Dubois a joint une Biobibliographie de Victor Hugo de 1802 à 1825, travail considérable, plein de renseignements utiles.

Il a fallu quatre volumes à Mlle E. Vincent pour narrer George Sand en Berry. Il y eut d’abord George Sand et le Berry, puis Le Berry et l’œuvre de George Sand ; ensuite La langue et le style rustique de George Sand dans les romans champêtres ; enfin George Sand et l’amour. Le sujet de ce dernier volume était trop étendu pour qu’on put le mettre au compte des essais berrichons lesquels emplissent déjà pages in-8.

« Ces trois volumes, a dit le rapporteur, constituent une étude extrêmement documentée sur la vie de George Sand à Nohant, et sur l’influence que sa province a exercée dans sa pensée et ses ouvrages. Ils dépassent de beaucoup les publications déjà nombreuses qui se sont proposé d’expliquer l’auteur : celle-ci par ses passions, celle-là par ses engouements d’idées. Nous tenons ici ce que Taine appelait les génératrices, les causes profondes dont ces romans furent l’effet. Mlle Vincent, en creusant son sujet, l’a généralisé. Elle est arrivée à donner dans le second volume, une monographie sur les mœurs du Berry. Le troisième volume est un lexique rustique qui prouve combien l’écrivain était, chez George Sand, voisin du terroir, et l’intensité de son travail de style, malgré sa facilité de composition.

« Maine de Biran, critique et disciple de Pascal, qu’a publié M. de la Valette Monbrun, ne dénote pas seulement une connaissance approfondie du sujet et des principaux ouvrages relatifs à la philosophie religieuse. Il est écrit avec émotion, il nous associe au travail intérieur de deux âmes d’élite, en qui se confrontent la philosophie et la religion. C’est une œuvre de science, accomplie avec une compétence et une conscience irréprochables. Et c’est une œuvre vivante, propre à faire réfléchir, à toucher et à persuader. Et de fait, un Pascal, un Maine de Biran ne sont-ils pas des héros et des modèles pour l’humanité ? » Ce livre vient à propos, lorsque, sous les auspices et avec le concours de l’Institut de France, M. Pierre Tisserand entreprend une publication des œuvres de Maine de Biran qui ne comprendra pas moins de douze volumes.

L’étude sur le Père Charles d’Arenberg, frère mineur capucin, fait honneur au père Frédégand d’Anvers, archiviste général de l’Ordre des Frères Mineurs Capucins. Il montre quelle était à Bruxelles, au début du XVIIe siècle, l’éducation d’un gentilhomme de grande maison, quelles ambitions de cour il pouvait former, et quelles relations de cœur il pouvait nouer. Cette vie d’aventures, dont le détail pittoresque est singulièrement récréatif, se trouve interrompue par une subite vocation. Charles d’Arenberg entre en religion, il devient, frère mineur capucin ; mais, de ce qu’il a renoncé au monde, est-ce à dire qu’il soit fermé aux passions du siècle ? Il est mêlé à la conspiration des Nobles et sa fortune ecclésiastique s’en trouve compromise ; il se contente alors en créant le magnifique parc d’Enghien, en fortifiant le château d’Arenberg-, et en composant, d’après des documents, parfois suspects les généalogies de ses ascendants, si haut qu’il peut monter.

M. Collas s’est donné pour tâche de conter la vie de Marie-Anne-Christine-Victoire de Bavière, sœur de l’Électeur, épouse du Grand-Dauphin, et Belle-fille de Louis XIV. À la vérité, cette princesse, qui n’était ni jolie ni aimable, n’a joué à peu près aucun rôle dans la politique, et l’auteur n’a point trouvé les pièces d’archives qui eussent formulé son caractère ; mais il a relevé, dans les mémoires et les journaux, assez d’éléments pour rendre son volume intéressant. La vie qui fut faite à cette princesse, sa cour à Saint-Germain, ses’ rapports avec la Famille royale, avec sa maison de Mlle de Maintenon est dame d’atours, ses grossesses réitérées, son élévation lors de la mort de la reine, les tracas de ses filles d’honneur, tout cela fait un tableau qui ne manque pas d’animation. Ce livre comble une lacune, limitée, mais appréciable.

Ce sont des biographies d’un autre ton qu’apporte M. Durieux dont on connaît les bons travaux sur les Vainqueurs de la Bastille. Il a réuni sur les Généraux et soldats de la Dordogne, durant la Révolution et l’Empire, une suite de notices dont certaines, celles surtout des bas officiers et des soldats, méritent d’être recommandées. Il y a là des recherches intéressantes sur un terrain difficile.

Sur les derniers temps de l’Empire, M. Hennet de Goutel a éclairci un épisode resté à peu près inconnu, et pour lequel les journaux de siège lui ont fourni une base solide. Après la bataille de Vittoria, le général Cassan, abandonné dans Pampelune, sans troupes réglées et sans vivres, entreprit et organisa la défense. Soult tenta vainement de secourir la place, et ce fut là le principal épisode de sa campagne de 1813. Après son échec il ne restait qu’à capituler. L’histoire de la défense de Pampelune montre ce qu’eussent pu faire, en 1814, les garnisons des forteresses occupées hors du territoire national, si, le 23 avril, celles-ci, rançon du trône restauré n’avaient été livrées à l’ennemi, avec leur matériel, leur artillerie, leurs munitions, leurs dotations, les flottes et les navires qu’elles abritaient. Cette histoire n’a point encore été écrite ; il ne faudrait pourtant pas qu’on la mit en oubli.

Parmi les biographies contemporaines, il faut s’arrêter à la Vie romantique de Berlioz, que présente M. Ad. Boschot. M. Boschot a déjà publié trois volumes sur Berlioz, et l’on pouvait penser qu’il avait épuisé le sujet : il le renouvelle, dans ce résumé très plein et très intéressant. Par son raccourci même, il montre mieux la vie du personnage, les frasques de son caractère, sa façon de comprendre et de pratiquer l’amour et l’amitié, ses ménages semés par le monde, et l’étrangeté de ses habitudes ; peut-être est-ce là tout bonnement le romantisme ?

Certains ouvrages nous arrivent de l’étranger, soit en originaux, soit en traductions, comme l’Autobiographie d’Emerson, traduite par M. Régis Michaud, professeur à l’Université de Princeton. En deux volumes, M. Michaud fournit la quintessence des dix que forme l’original, et il nous fait entrer, par une excellente introduction, dans la pensée intime et dans l’âme du grand idéaliste américain. Emerson ne voulait rien voir qu’en lui-même en l’esprit, en l’Universel, en Dieu. Arrêter son regard aux choses finies, c’était, selon lui, s’aveugler, mais, chez cet Américain, le mysticisme se faisait pratique, et la contemplation de l’idéal était génératrice d’énergie et de puissance d’action.

À cette traduction, M. Michaud, sous le titre : Mystiques et Réalistes anglo-saxons, a ajouté une série d’études sur quelques écrivains de langue anglaise : Emerson, Whitman, Henry James, Mark Twain, Bernard Shaw, Mrs Edith Wharton. L’étude sur Mrs Wharton est particulièrement intéressante. Par elle se trouvent rapprochées dans une même séance de notre compagnie, et pour lui rendre un double hommage, la femme de lettres à laquelle on doit de si brillantes études sur la société New-Yorkaise et la femme d’œuvres à laquelle l’Académie va offrir, pour ses fondations charitables, la médaille d’or, à l’effigie de Richelieu.

C’est de l’Université de Columbia qu’arrive ce livre surprenant par l’érudition qu’il atteste, 1a connaissance des langues anciennes qu’il prouve,la bibliographie sur laquelle il s’appuie : Charles de Sainte-Marthe (1512-1555), Étude sur les premières années de la Renaissance française, par Miss Ruutz-Rees. Il lui a fallu une rare obstination et une opiniâtreté singulière pour se procurer des opuscules dont quelques-uns manquent dans la plupart des bibliothèques publiques et n’ont d’exemplaire connu que chez des particuliers. À force de volonté, elle est parvenue à tout voir des œuvres de Sainte-Marthe et à tout embrasser. Miss Ruutz-Rees est aujourd’hui directrice du collège de Rosemary à Greenwich (Connecticut), et sa haute culture française mérite toute notre admiration.

L’Académie dans sa séance du 2 avril 1914 a décidé l’institution d’un prix annuel de dix mille francs pour reconnaître les services rendus au dehors la Langue française. Elle eut rarement l’occasion de le décerner d’une façon aussi conforme à la pensée de ses fondateurs : les Marianistes qui avaient dirigé en France d’importants collèges, ont reporté leurs efforts sur le Japon où ils ont obtenu les plus grands succès : leurs établissements comprennent à Nagasaki le Lycée Étoile de la Mer ; à Osaka, l’École commerciale Étoile brillante ; à Yokohama, le Collège de Saint-Joseph ; à Urakami, l’École apostolique ; à Tokio enfin, le Lycée français l’Étoile du Matin comptant actuellement 1078 élèves. C’est sur un ensemble de 2720 élèves que s’exerce chaque année l’influence de 40 professeurs français, si bien français que le Père Heinrich et le Père Hick sont tous deux chevaliers de la Légion d’honneur. Le collège publie une Revue de l’Étoile du Matin qui propage notre langue, nos méthodes et nos idées et dont le numéro de la Victoire, à la gloire du Maréchal Foch et de ses soldats, a le caractère d’une acclamation.

À côté de l’œuvre des Marianistes il convient de signaler l’Athénée français, affilié à la mission laïque française et subventionné par le Gouvernement français. De 9 étudiants que M. Cotte avait recrutés en 1913, il est parvenu en avril 1919 à en réunir 396. Dans cette école du soir — école de langue d’abord, puis école supérieure de littérature, philologie et philosophie. — des Conférences ont été données par d’éminents voyageurs : ainsi M. Brieux y a parlé lorsqu’il passa à Tokyo et il a gardé le meilleur souvenir de l’intelligence avec laquelle il fut écouté. Sur le prix de la Langue française, l’Académie réserve 2000 francs à l’Athénée français de Tokyo.

Le prix de la Langue française comporte, lorsqu’il est partagé, l’attribution possible de médailles de 500 francs. L’Académie accorde une de ces médailles à M. Riemens, docteur de l’Université de Paris, auteur de l’Esquisse de l’enseignement en Hollande du XVIe au XIXe siècle. Ce livre expose méthodiquement les raisons de l’arrivée de littérateurs et de professeurs français en Hollande depuis le XVIIe siècle ; M. Riemens a fourni sur l’enseignement — aussi bien sur les pensionnats que sur les livres de classe — des renseignements qu’on chercherait vainement ailleurs.

Une autre médaille est décernée à M. Louis Peltier qui a créé à Bombay, sous les auspices de l’Alliance française et du Tourin Club de France, une salle française où sont données des conférences par lesquelles la langue, la littérature et l’esprit français sont propagés avec ferveur. Il y a là un effort qu’on doit encourager.

L’Italie contemporaine apporte sous le titre surprenant : Alpinisme acrobatique, un volume de M. Guido Rey, où se trouvent exposés les tours de force exécutés par l’auteur et par ses guides, de 1905 à 1912, sur les aiguilles du Montanvert ou sur les Tours du Trentin. Il faut, paraît-il, des mots nouveaux, comme précipitueux, pour traduire ces ascensions qu’exalte M. Guido Bey en un italien somptueux et déclamatoire.

Du Canada, enfin, écrit dans une langue qui est joliment pénétrée de notre passé et qui semble gracieusement vieille comme une aïeule poudrée, vient un livre de M. Adjutor Rivard. Chez nous, auquel vous avez décerné le prix Davaine. Ce sont de petits tableaux peints à touches minces, avec un soin infini, une recherche délicate des mots appropriés, une juste et profonde passion pour la terre canadienne. Peu de livres méritent mieux d’être loués, et la popularité dont celui-ci jouit là-bas, devrait ici lui valoir une renommée pareille.

Il faudrait encore parler des voyages : Le Château de Pau, de M. Ritter, livre documenté et bien illustré ; Au Pays des Eaux Mortes, de M. Chassiot Debillemont, vers, proses, méditations devant des peintures et des paysages ; enfin des romans, la plupart ad testera juventutis, comme les Roses refleurissent, de Mathilde Alanic ; Madeleine de Gassion, demoiselle de Saint-Cyr, de Jehanne d’Orliac ; Si jeunesse savait, de M. René Béhaine ; sans y mêler Les poupées se cassent, de M. Pierre Villetard, joliment écrit, mais un peu vif en couleurs et prêtant à des jeunes tilles des aventures sur lesquelles on ne saurait insister.

Il reste bien peu de place pour parler de l’édition des Œuvres complètes de P. de Ronsard, avec laquelle M. Laumonier a obtenu le prix Saintour. C’est un travail de longue haleine que l’éditeur n’aurait pu parfaire durant ces terribles années de la guerre, s’il n’y avait été préparé par quinze ans d’études assidues et jalouses. Par une série de travaux documentaires, publiés depuis 1902, il attirait, sans indulgence, un blâme caractérisé sur les éditions Blanchemain et Marty Lavaux, et celle-ci avait passé pour un chef-d’œuvre ! En 1910, il consacrait ses thèses de doctorat à Ronsard, poète lyrique, et à la Vie de Ronsard. Enfin, en 1914, il commençait, pour la Société des textes français modernes, la publication de l’œuvre entière de Ronsard, dans son texte primitif, avec les variantes, additions, suppressions que le consciencieux artiste lui fit subir à chaque réimpression. Ici, c’est l’édition de 1584, le dernier texte qui ait été publié du vivant de Ronsard, que M. Laumonier a adoptée. « Cette édition, dit-il, est la plus complète qui ait paru, par ses textes, par ses notes, par sa documentation de toute nature ; la plus méthodique et la plus facilement utilisable. » Il faut l’en croire. On ne saurait omettre de citer près de M. Laumonier, son collaborateur, M. Eugène V’allée, un amoureux de Ronsard, qui joint à la connaissance intime des textes, des habitudes professionnelles de soin d’ordre de lecture inappréciables.

 

Nous voici arrivés aux prix que l’Académie décerne motu proprio, sans qu’on ait posé de candidature officielle, je n’ose dire sans qu’on fait sollicitée. Il arrive parfois pourtant que cet hommage soit rendu à des écrivains qui ignorent qu’on les discute, et auxquels l’Académie désire témoigner son estime et sa sympathie.

Tel est le cas pour le premier élu. C’est une noble carrière, celle de M. André Hallays, que vient couronner le grand prix Broquette. Parisien, de famille parisienne, il est entré au barreau ; comme plusieurs de nos confrères, il a passé par le Parlement, puis il s’est fixé au Journal des Débats, où il a donné cette série de feuilletons. En flânant, par lesquels il a établi sa réputation d’écrivain et d’artiste. Réintégré, en août 1914, dans son grade d’officier de territoriale, il fut, en juin 1915, affecté au Service des renseignements de Belfort. Le volume qu’il a publié en 1920, sous le titre : l’Opinion allemande pendant la guerre, résume une portion du travail auquel il s’est livré alors, et qui l’avait épuisé. C’est par un prodige d’énergie qu’il a remonté la pente. Ses conférences sur Mme de Sévigné ont obtenu, l’an dernier, un succès mérité, et ont attesté qu’il a retrouvé sa forme complète. On ne saurait mieux décrire un monument, que ne le fait M. André Hallays. Il sait beaucoup, et ses travaux sur Port-Royal, auxquels il est permis d’accorder quelque préférence, témoignent d’une conscience que la curiosité aiguillonne et qui ne se tient satisfaite que si elle a tout vu et tout pénétré.

L’Académie n’a point jugé à propos de décerner un de ses grands prix d’histoire à l’histoire de la Grande Guerre de M. Victor Giraud. Malgré d’incontestables qualités, c’est là de l’histoire provisoire ; mais, en louant la probité de l’auteur, l’ordre qu’il a suivi dans l’exposition, la clarté qu’il y a portée, elle a reconnu son mérite en lui décernant le prix Alfred Née.

M. Edmond Pilon, auquel a été attribué le prix Kastner- Boursault, a publié vingt volumes dont quelques-uns ont été remarqués : ce sont des portraits d’hommes et des portraits de femmes vus à travers des livres. Certains, de contemporains, sont flatteurs et flattés, mais d’une documentation parfois hâtive. Trois volumes sur les peintres du XVIIIe siècle, Chardin, Watteau, Greuze, complètent une œuvre qui s’est accrue durant la guerre de divers manuels de pèlerinages patriotiques. Il y a là de la bonne volonté, de la facilité, et parfois quelque légèreté.

 

Le Grand prix de Littérature pour lequel l’Académie avait hésité l’an dernier entre M. Edmond Jaloux et MM. Jérôme et Jean Tharaud, a été, en 1920, attribué unanimement à M. Jaloux. L’Académie a reconnu ainsi « l’évolution continue de l’écrivain vers la perfection plus grande d’une facture qui approche aujourd’hui de la maîtrise ». M. Jaloux a débuté par des vers d’une forme délicate. Ensuite, il a cherché sa voie, et il a hésité entre le naturalisme et le psychologisme. Les intrigues auxquelles il s’intéressait alors étaient tramées à Marseille ou aux environs, ce qui leur donnait un aspect provincial, sans leur imprimer un goût local. La psychologie l’a décidément emporté. Des livres comme : Le reste est silence, L’Éventail de crêpe, surtout Fumées dans la campagne, constituent d’excellentes études sur la vie sentimentale contemporaine. M. Edmond Jaloux a constamment témoigné d’un effort d’art qui l’a amené plutôt à un souci de beauté et de profondeur, qu’à la poursuite des qualités brillantes qui assurent à un romancier la faveur du grand public. Il a recherché l’estime des lettrés et il l’a obtenue ; par suite, l’œuvre n’est-elle pas trop fine et trop discrète pour atteindre, séduire et retenir la foule ? M. Edmond Jaloux a acquis une justesse dans la touche, un détachement de sa propre affabulation, une façon simple de poser les tons l’un près de l’autre sans y insister, qui sont d’un art supérieur, et qui rappellent la façon d’un maitre dont M. Edmond Jaloux aime, dit-on, à se proclamer le disciple. Fumées dans la campagne peut justement passer pour le plus remarquable des romans qu’il a publiés jusqu’ici, et il est permis de le préférer à Au-dessus de la ville, où l’égoïsme masculin joue un vilain rôle, et où le paysage étranger n’a point avec nos âmes la correspondance désirée.

Est-ce là ce qui, durant un temps, a voilé certaines qualités supérieures de André Corthis auquel l’Académie a décerné, cette année, le prix du Roman ? André Corthis a débuté par des vers qu’on peut ne pas aimer, mais qui attestent, en même temps qu’un raffinement singulier dans les idées, un art délicat dans la conception de menus tableaux, où parfois l’auteur prend avec la prosodie, des libertés qui font sauter son vers et qui le cassent. C’est par sa prose, d’ailleurs, qu’il est sorti de la foule. Il n’a publié jusqu’ici que quatre volumes : Mademoiselle Arquillis ; Le Pauvre Amour de Doña Balbine ; le Pardon prématuré ; enfin Pour moi seule. Avec le Pardon prématuré, André Corthis fut remarqué ; Pour moi seule, l’a mis hors de pair. Les trois premières œuvres ont l’Espagne pour théâtre ; les nouvelles qui accompagnent le Pauvre amour de Doña Balbine viennent de Castille ou de Catalogne, et ce sont assurément des pays à découvrir, mais la façon de penser des habitants nous échappe, et nous ne pouvons être assurés que nous les entendions. Un fossé, plus profond que les Pyrénées ne sont hautes, nous sépare d’eux et ne nous laisse pas les approcher. André Corthis a sans doute la clef de ces caractères, mais il ne nous la livre pas, et ces âmes restent confuses et troubles. Voici qu’il a quitté les Espagnes, et qu’à présent nous reconnaissons les personnages qu’il peint, nous les voyons évoluer, marcher sur nos routes, entrer dans nos maisons, s’arrêter au coin des petites rues, dans un étrange et piteux désarroi. Il nous les fait comprendre et nous les fait retenir. Quels paysages harmonieux, quelle intensité de sensations, quelle justesse dans les portraits, quelle profondeur dans les âmes où il nous fait descendre, et quelles transformations précises dans les personnages, par les ressorts du bien-être, de l’aisance, de la quiétude. On peut beaucoup attendre de André Corthis.

Il est rare que l’Académie décerne spontanément à des poètes, les prix dont elle dispose. Elle l’a fait deux fois cette année. Elle a voulu distinguer un poète provincial dont le classique talent mérite d’être loué. M. Louis Mercier habite Roanne. Il y pense en sérénité et il y travaille ; il forge un vers qui est franc et vigoureux ; il se contente des formes que nos anciens ont trouvées et que seule une certaine incurie fait négliger. Il est l’auteur de L’Enchantée, du Poème de la Maison, des Voix de la terre et du temps, que l’Académie a couronnées, et de Lazare le Ressuscité qui est un très beau livre. On en aimera surtout l’avant-dernier chant : Le Témoignage, où Lazare, lapidé pour avoir proclamé sa résurrection, voit apparaître Jésus.

L’Académie a voulu manifester sa sympathie à une femme qui est un grand poète, et qu’elle a couronnée jadis, sans lui apporter la renommée que nous souhaitions pour elle. Le prix décerné ici est trop inférieur au mérite qu’il prétend récompenser, mais qu’importe : ce qu’il faut, c’est honorer devant tous un grand talent trop peu connu. Mme Hélène Picard est un poète, ce qui n’est pas commun ; elle est un grand poète, ce qui peut bien passer pour exceptionnel ; et elle est un poète de forme classique, ce qui bientôt constituera un phénomène. Tout ce qu’avaient promis ses premiers essais quand Émile Faguet annonçait dans le Journal des Débats, bien avant qu’elle publiât l’Instant éternel, qu’un poète était né, elle l’a réalisé, et, vraiment, ce n’est point en elle qu’il faut chercher quoi que ce soit de convenu, d’apprêté ou d’exotique : elle est « lyrique » ; elle sent profondément ; elle rend librement la nature, les êtres, l’Amour : elle est sensible, elle l’est jusqu’à l’excès peut-être, mais elle y voit clair, et son vers reste un vers. Et c’est un vers français ! Elle est Française ; mais, de cette France, ce qui prouve bien qu’elle en est, c’est qu’elle ne se vante pas d’en être, qu’elle ne vaticine pas aux batailles, qu’elle ne fait pas la Pythie aux victoires ; elle dit ce qu’elle a à dire, selon la formule qu’ont tracée les grands poètes du dernier siècle, héritiers et continuateurs de la tradition française, et cela fait dans ce dernier volume qui vient de paraître, Province et Capucines, une suite de mélodies enchantées et mélancoliques.

 

Telle a été la moisson de cette année. Vous trouverez que l’engrangement a demandé trop de paroles, et qu’en m’efforçant à citer la plupart des ouvrages couronnés, j’ai fait un sort à certains, médiocres, ou pis. Je sais que tous ne sont point excellents, car je me suis efforcé de les lire ; mais c’est à vous qu’incombe la responsabilité, et je ne fais qu’enregistrer vos arrêts. Je constate pourtant, à certaines poignées que le grain est lourd, et qu’il est de bonne espèce. Des quantités d’êtres s’efforcent ainsi à produire des œuvres : bonnes ou mauvaises, elles sont, et quoi qu’on en puisse dire, elles pèsent à la balance de justice. Elles attestent une volonté de créer qui a atteint son objet ; elles affirment l’effort, et elles le consacrent.

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Messieurs, que sera-t-il des œuvres présentées à nos prochains concours ? Les difficultés matérielles sont telles à présent, pour fabriquer un livre, que l’Académie, atténuant, momentanément, la rigueur de ses règlements, acceptera, pour 1921, au lieu de cinq exemplaires de chaque volume présenté, quatre copies imprimées à la machine, pourvu qu’elles soient parfaitement lisibles et nettes. Il ne faut pas qu’on puisse accuser la pénurie des esprits lorsqu’on doit regretter seulement les suites financières de la guerre, l’élévation du change, la hausse des matières premières, la progression des salaires. S’il arrivait que, durant quelques années la production fléchit, ce ne serait point au vide produit par la mort dans les rangs de notre jeunesse qu’il faudrait l’attribuer, ce serait aux difficultés matérielles que les survivants éprouveraient pour se produire. Car nous ne voulons pas en douter : cette immense hécatombe sera créatrice de beauté. Les œuvres glorieuses fleuriront, près des tombeaux. Dans toutes les branches de la littérature, des artistes nouveaux promettent aux vieillards qui ont rempli leur tâche des émules et des successeurs. Modérant par un effort de leur goût le développement exagéré de leur personnalité ; contraignant leur négligence fantaisiste à renfermer dans les moules classiques l’exubérance de leur inspiration poétique ; s’efforçant à rechercher par une documentation précise et à traduire en un style exactement adapté, tantôt les grandes lignes que l’humanité a suivies dans son développement, tantôt le caractère des personnages illustres qui ont paru à sa tête ; poursuivant sur les sentiments et les émotions de leurs contemporains l’enquête qu’ont menée leurs devanciers ; imaginant des aventures ou relevant des impressions, peignant des paysages ou dessinant des caractères, créant des formules nouvelles ou revenant sur d’anciens errements, les ouvriers ne manqueront pas à la besogne.

Vous êtes-vous demandé ce qui fermente aujourd’hui chez ces adolescents qui ont passé au feu de l’ennemi, qui en ont au moins subi les ardeurs ? Quand, il y a cent ans, les hommes qui devaient .remplir l’univers de leurs noms : Hugo, Musset, Balzac, George Sand, Michelet, Delacroix, Troyon, Barye s’éveillaient aux derniers rayons de l’Épopée, n’était-ce pas comme aujourd’hui ? n’étaient-ils pas, ces jeunes gens, espoir de la France vaincue, comme la lave qui, des convulsions expirantes du volcan, fait couler du milieu des scories, la magnificence des métaux sortis des entrailles de la terre ? Dans dix ans, dans vingt ans, les enfants d’à présent entreront dans la carrière. Il n’est point possible qu’ayant participé à cette prodigieuse époque, ayant subi dans leur berceau les flammes allemandes, ayant traversé la fournaise, ayant vu tomber tant d’hommes, leurs pères ou leurs frères, ils n’aient point gardé une volonté surhumaine d’être, de créer, de grandir, de monter avec notre France, plus haut, encore plus haut, dans la beauté, la justice et la vérité.