Dire, ne pas dire

Pantalon

Le 6 janvier 2014

Expressions, Bonheurs & surprises

Dans une lettre à Talleyrand, Napoléon, parlant des Italiens, les traite de lâches, de poltrons et de pantalons. Un passage par la commedia dell’arte sera nécessaire pour éclairer l’emploi de ce terme dans cette phrase. Le nom pantalon est emprunté au personnage de Pantaleone, vieillard avare et libidineux vêtu d’un costume dont les chausses tombent sur les pieds et muni d’une volumineuse braguette, symbole d’une virilité d’autant plus exhibée qu’elle appartient à un lointain passé. C’est de ce sens qu’est tiré pantalonnade, en particulier aux sens de « subterfuge ridicule auquel on recourt pour se tirer l’embarras » et de « fausse démonstration de joie, de douleur, etc. ». Dans l’imaginaire courant, le courage se trouve associé à cette virilité concrète comme étant par excellence la qualité de l’homme. Aussi n’est-il pas étonnant que Pantaleone soit une figure de la poltronnerie et de la vantardise. Notons au passage que cette réputation de matamore des Italiens est très ancienne : en anglais, « vantard » se dit braggart mais, dans son poème épique The Faerie Queene, « La Reine des fées », en 1590, Edmund Spenser crée la forme braggadocio parce que le suffixe à consonance italienne lui semblait ajouter au caractère bravache de braggart.

Revenons à l’usage du terme pantalon : il semble qu’il ait perdu le sens de « lâche » quand il en est venu à désigner le vêtement lui-même et non plus celui qui le portait, et a remplacé celui de culotte, en même temps que cette culotte cessait peu à peu d’être portée. On a un témoignage de ce passage de la culotte au pantalon dans les romans de Balzac : le pantalon est une pièce des costumes à la mode portés par les jeunes élégants, dont le modèle est Rastignac, alors que le père Goriot ou le père Grandet continuent, sous la plume de l’auteur, à porter des culottes. Symbole de la modernité et de la réussite, le pantalon se doit d’être de qualité, en particulier dans un monde régi par l’apparence et où les « fashionables », comme l’écrit Balzac, font la loi. Dans le Père Goriot, Rastignac ne recommande-t-il pas son tailleur avec ces paroles : « Je lui connais, […] deux pantalons qui ont fait faire des mariages de vingt mille livres de rente » ?