Discours de réception, et réponse de M. Pierre Rosenberg

Le 23 octobre 2008

Philippe BEAUSSANT

Réception de M. Philippe Beaussant

 

M. Philippe Beaussant ayant été élu à l'Académie française à la place laissée vacante par la mort de M. Jean François Deniau y est venu prendre séance le jeudi 23 octobre 2008, et a prononcé le discours suivant :

 

Mesdames, Messieurs de l’Académie,

Le grand honneur que vous me faites en m’accueillant parmi vous, et dont je vous remercie, m’a beaucoup préoccupé, comme bien vous l’imaginez : il n’était pas loin de me faire peur…

Non pas l’honneur lui-même, bien entendu, mais ce qu’il engendre.

Jean François Deniau – il faut déjà que je le cite – fait remarquer dans Ce que je crois combien les mots les plus forts de notre langue, ceux qui sont le plus chargés de réflexion morale, jésuitique, janséniste, philosophique comme on disait au XVIIIe siècle, peuvent devenir triviaux et terre à terre dès qu’on les met au pluriel. Je vais aller un peu plus loin que lui dans ce commentaire linguistique. Le Bien, avec un B majuscule, qu’il est médiocre lorsqu’il est devenu les biens, sans majuscule et avec un s, et que Balzac peut en faire le sujet d’un de ses romans, avec des notaires et des tabellions… La Valeur, celle qui n’attend pas le nombre des années, qu’elle est devenue triviale lorsque, au pluriel, elle est cotée en Bourse…

Alors, l’honneur ?

Impitoyable honneur, mortel à mes plaisirs…

C’est Corneille qui parle.

C’est vrai : l’honneur que vous m’avez fait n’a cessé de me préoccuper à cause de l’éventualité de son pluriel…

Ah ! Que l’on porte ailleurs les honneurs qu’on m’envoie…

C’est toujours Corneille qui parle à ma place.

Le danger que je pressentais, c’était bien de confondre l’Honneur et les honneurs qui l’accompagnent comme des pages ou des gardes faisant sonner leurs tambours, de m’y contempler moi-même comme dans un miroir – déformant, bien sûr.

Dieu merci, votre Académie me transmettait la tradition qui est la vôtre depuis que le Cardinal de Richelieu, il y a 373 ans, vous a réunis pour la première fois.

Tradition : encore un mot qui n’est plus très à la mode, à moins d’être au pluriel et de fasciner les ethnologues, tous disciples de notre confrère vénéré, Claude Lévi-Strauss.

Étrange, n’est-il pas vrai ? Alors qu’on se passionne de nos jours pour l’origine des choses, des continents et des constellations, on voudrait qu’un homme fût libéré de tout ce qui le rattache à ce qui a fait de lui ce qu’il est. Il faudrait qu’il fût neuf à chaque minute de sa vie. La Tradition, donc, est une incongruité, puisqu’elle est censée contraindre l’homme à se plier à ce qu’il n’a pas décidé lui-même durant la minute précédente. « Traditionaliste » c’est devenu une indécence. Je vous suggère, Mesdames et Messieurs de l’Académie, et ce sera peut-être mon premier apport à votre travail (le nôtre désormais), de restaurer son vieux cousin oublié : traditionnaire… Cela rime avec dictionnaire, c’est excellent…

Votre tradition est d’une grande sagesse. Au moment même où le nouvel élu risque de se tromper entre l’Honneur qu’on lui fait et les honneurs qu’on lui présente, elle lui suggère, tel un vieux Mentor le tenant par la main, que son unique pensée, minute après minute, s’éloigne de lui-même et se dirige vers un autre. Ne pensez pas à vous, ne vous regardez pas, oubliez même ce que vous avez fait et dont vous étiez fier, ne pensez plus qu’à celui qui était là, qui vous a précédé. Lisez-le, relisez-le. Ce qu’il a fait est toujours là. Oubliez-vous pour un moment, bien que ce soit la chose la plus difficile à un écrivain ou à un artiste. Oubliez-vous, c’est de lui seul qu’il s’agit aujourd’hui.

La Bruyère, qui a occupé, il y a trois siècles, ce 36e fauteuil, a écrit cette judicieuse sentence : Personne ne s’avise de lui-même du mérite d’un autre.

Il faut donc qu’on y soit conduit. Ainsi, votre tradition m’oblige à me concentrer sur les mérites d’un autre et veut que je ne pense qu’à Jean François Deniau, celui qui a écrit Mémoires de sept vies.

Vais-je devoir prononcer sept discours ?

J’y renonce parce que cela me mènerait à faire exactement ce qui ne convient pas, lorsqu’il s’agit de Jean François Deniau. Il me faudrait en effet diviser le sujet en sept parties, écrire sept chapitres, l’enfance, la formation, l’activité politique, l’action ministérielle, l’écrivain, l’amoureux de la mer, le baroudeur des droits de l’homme... Sept chapitres bien ordonnés, c’est impossible : justement parce que chez Jean François Deniau tout se mêle. Rien n’est vrai, rien n’est juste, si l’on ne s’est pas occupé simultanément d’un autre Jean François Deniau, qui semble faire autre chose et qui, justement, en étant ailleurs, est au cœur du sujet. Écrit-il un roman ? Trente ans plus tôt, ce qu’il raconte c’était sa vie. Mais pas la vraie : vécue bien sûr, mais débordée par l’imagination. Parcourt-il le Cambodge ou l’Afghanistan ? C’était déjà écrit dans un livre. Fait-il à vingt ans de l’ethnologie dans le Sud marocain ? Quarante ans plus tard, mêlée aux récits d’un conteur qui ne sait trop où il est, ce sera dans La Lune et le miroir une histoire qui n’est pas plus vraie que si elle était l’œuvre d’un romancier qui n’aurait jamais quitté sa table.

Les sept vies de Jean François Deniau ne se succèdent pas comme la jeunesse à l’enfance, et la vieillesse à l’âge mûr. Ses livres ne se séparent pas de ces sept vies au temps sans cesse décalé. Tout se mêle, s’enchevêtre et semble parfois se contredire : mais lorsque l’imaginaire se mêle à la réalité, comment prétendre qu’il pourrait y avoir contradiction ? Les déserts de l’Érythrée et de l’Afghanistan face à la mer, elle-même plus douce et immobile à l’horizon que n’est jamais la terre, ou bien capricieuse et légère, tempétueuse et angoissante ; et la politique, les ministères, l’Europe naissante, et le traité de Rome, et les ambassades, aussi différentes les unes des autres que la Mauritanie et les palais madrilènes ; et l’hôpital, les chirurgiens, et la souffrance, et l’angoisse, et les livres : toutes sortes de livres, des romans, des essais, des Mémoires, qui parlent de l’hôpital, de la mer, de la politique, de l’enfance, des déserts – ce serait trop facile si tout était en ordre comme sur une étagère et que les sept vies se succédaient comme les jours de la semaine.

C’est précisément le contraire qu’il convient de faire, si l’on veut tenter de cerner qui était Jean François Deniau et ce qu’il a fait. Il a pris soin, tout au long de sa vie, de soigneusement entremêler le rêve, l’action, l’écriture. Et dans l’action, les missions les plus officielles et les plus manifestes (rédiger le Préambule du traité de Rome…) et les plus secrètes (marcher dans les montagnes d’Afghanistan au milieu des maquisards et sous le feu des Soviétiques). Et lorsqu’il écrivait, faire en sorte de ne jamais distinguer clairement ce qui relève du roman, ce qui est un souvenir, ce qui est un souvenir transfiguré en roman, ce qui est une histoire vraie qui se déguise en souvenir imaginaire, pour mieux se transmuer en page romancée subrepticement glissée au milieu d’un ouvrage documentaire ou didactique.

Non seulement je ne ferai pas sept discours, mais je vais continuer à parler dans un apparent désordre, puisque Jean François Deniau le veut ainsi. Il faut sans cesse entremêler comme il l’a fait sa vie, ses livres, la politique, les missions secrètes, la maladie, la souffrance, la mer, et son courage. Et par-dessus tout, le double jeu permanent de ses deux passions : écrire et agir.

Ce n’est pas moi qui l’affirme, c’est lui. Il a écrit sur ce sujet un étonnant petit ouvrage où tout est dit dans le titre lui-même : La Double Passion, et dans le sous-titre : écrire et agir. De ce qu’il y expose, on connaît des bribes. On sait bien qu’il y a eu des hommes d’État qui se rêvaient artistes, et des gens de lettres qui se seraient bien vus souverains ou Grand Moghol. Certains l’ont fait, en musique comme en littérature. Des hommes d’État qui jouent du piano ou de l’orgue, il y en a. Frédéric II durant tout son règne, jamais un ministre ou un ambassadeur n’a pu lui adresser la parole à cinq heures du soir. Il ne connaissait alors que sa flûte, la mesure de son propre souffle et l’agilité de ses doigts. Il a composé cent vingt sonates, ce qui est un bon chiffre pour un roi, et quelques concertos, tous pour sa flûte et donc pour lui-même en soliste. Il n’y a pas si longtemps, le roi de Danemark dirigeait de sa baguette l’Orchestre symphonique de Copenhague. Mais a-t-on assez mesuré les liens de la littérature et de l’action, de la plume et de l’épée ? (La plume et l’épée… nous les connaissons bien toutes deux, Mesdames et Messieurs de l’Académie, puisque nous ne cessons de manier l’une et de porter l’autre…)

La Double Passion écrire et agir, nous sentons bien que c’est de la part de Jean François Deniau une déclaration de principe. Un manuel de « littérature appliquée » consacré au mélange des genres. Nous savons bien que Chateaubriand, Lamartine, Stendhal, Victor Hugo, Beaumarchais, et bien d’autres, les ont eues toutes deux. Saint-Simon n’a si bien écrit que par rancœur de n’avoir pu gouverner. Ce qui étonne, c’est de les voir rassemblés côte à côte dans ce livre et franchissant sans cesse le Rubicon du partage des disciplines. Et puis d’autres, qu’on ignore : qui se souvient que Georges Clemenceau écrivait des livrets d’opéra ? Et à l’inverse, que Cervantès fut blessé à la bataille de Lépante ? Et que Napoléon, avant le pont d’Arcole, se voyait écrivain et non pas général. Qu’il a écrit des romans sentimentaux, Clisson et Eugénie et Le Souper de Beaucaire, et des nouvelles, des contes ?

Bien entendu, le plus étonnant de tous est Richelieu, à qui nous devons d’être réunis ce soir et qui disait : « À quoi pensez-vous que je prenne le plus de plaisir ? », on lui répondait : « À faire le bonheur de la France », et lui : « Point du tout, c’est à faire des vers ». De qui sont ses tragédies ? L’Académie française se devait d’être utile… Mais Mirame fut un triomphe.

La littérature, comme la flûte de Frédéric II et les opérettes de Clemenceau, peut n’être qu’un divertissement. Cela peut être aussi une chose grave et, lorsqu’il s’agit de Jean François Deniau, il est clair que le lien entre écrire et agir est indissociable. C’est précisément cela qu’il voulait nous dire et c’est même plus douloureux qu’on ne le pensait, lorsqu’il écrit :
Vouloir à la fois écrire et agir, courant l’ombre et la proie, sans pouvoir choisir le bonheur. Écrire ou agir, quel est celui qui est le deuil éclatant de l’autre ?

Choisir, pour Jean François Deniau, c’était donc un deuil.
L’homme de pouvoir se dit : j’ai perdu ma vie dans l’agitation des jours. L’écrivain pense : des mots, je ne laisse que des mots. Il faut au moins deux vies pour espérer en laisser une
Deux vies ? Ou sept ?

Se succédant l’une à l’autre, en bon ordre, ou si soigneusement entremêlées que mon discours est contraint d’aller et venir en tous sens ? Je vais poursuivre, puisque Jean François Deniau le veut ainsi, au gré des vagues dont il nous dit qu’il faut surtout redouter celles que provoque un trop fort vent arrière.

Je n’ai jamais rencontré Jean François Deniau. Je ne lui ai jamais parlé. Je l’ai croisé une fois, ici même, dans la salle Comtesse de Caen, après l’une de vos séances à laquelle j’avais eu le privilège d’assister. Il s’avançait seul, appuyé sur sa canne, le regard sévère et le cou raidi par sa minerve. Nos yeux se sont croisés une seconde. Je ne lui avais pas été présenté, il ne me connaissait pas. Nous ne nous sommes pas parlé : cette rencontre à distance est marquée dans ma mémoire, mais je n’ai rien pu connaître de son charme, lorsqu’il racontait des aventures dont personne ne savait si elles étaient ou non imaginaires, ni de sa prodigieuse mémoire.

C’est peu à peu, à mesure que je lisais et relisais ses livres, durant ces derniers mois, que j’ai cru entrevoir, à travers ses mots, un personnage infiniment complexe qui se refusait, justement, à choisir. Le plus étonnant, c’est bien qu’il le fasse dire par l’un de ses personnages, Claude Velle, le héros de L’Empire nocturne, qui semble parler à sa place et avec ses propres mots :
« À vingt ans, j’avais une peur maladive de m’enfermer dans un rôle, une seule voie, une carrière. Rester disponible me paraissait beau et nécessaire. »

De qui s’agit-il ? De Claude Velle ou de Jean François Deniau ?

Et il ajoute : « Curieux monde : si vous n’êtes pas esclave, vous êtes jugé léger. Étranges bêtes, les hommes. Ils ont besoin du poids de leur chaîne et de leur boulet, pesés avec eux, pour être sûrs de leur propre poids. »

Pas de chaîne, pas de boulet…

La Gloire à vingt ans, je suppose que c’est ce qu’il voulait pour lui-même trente ans plus tôt, lorsqu’il était au lycée. Mais déjà avec une manière bien particulière de se mettre en relief : faire toujours, et brillamment, le contraire de ce qu’on attendait de lui. Avait-il fait des études classiques, dissertations, thèmes latins, et versions grecques ? Il passerait donc remarquablement son baccalauréat de lettres classiques. Eh bien, non : mathématiques. L’anglais, qui était sa seconde langue, si je puis dire, maternelle, avec même (il l’a écrit) un peu d’accent australien transmis par Madame mère ? Il allait donc se présenter à l’épreuve d’allemand : l’anglais, c’était trop facile. Une licence de sociologie ? Pourquoi pas ? Et pourquoi pas un travail d’ethnologie dans le Sud marocain, où il étudierait un sujet inédit, le rituel de l’eau, qui étonnerait ses maîtres. Se présenter à l’École nationale d’administration ? Bien sûr, puisque c’est la voie royale de la République. Mais il part aussitôt pour le Vietnam et rejoint son frère Xavier pour son temps de coopération. Il disparaît alors dans les maquis au milieu des peuplades Moï. Puis vient le moment du concours, et il dérange toute l’administration en le passant tout seul, à Saïgon, de 9 h du soir à 3 h du matin, car il faut respecter l’inévitable horaire des épreuves écrites bousculé par le décalage. Il vise les Affaires étrangères, qui est un bon chemin : mais aux Affaires étrangères, justement, le chemin est un peu trop lent à son goût. Il préfère donc l’inspection des Finances, ce qui lui permettra d’être ambassadeur en Mauritanie à 35 ans, dix ans avant les autres, après trois années d’ennui passées à inspecter. La tradition, à l’ENA, est-elle de faire deux stages successifs, dont un obligatoirement en province ? Ce sera donc d’un seul tenant une année entière en Allemagne, parce que, dira-t-il, il faut un an pour être efficace.

Jamais de chaîne, point de boulet.

Permettez-moi de parler un moment à la première personne. Pas du tout pour parler de moi, mais pour vous retracer quelques-unes des feintes et des ruses que le hasard a élaborées pour qu’il me fût possible, presque en secret, de m’approcher de Jean François Deniau à mesure que je lisais et relisais ses livres, ces derniers mois alors que, je vous l’ai dit, je n’ai croisé qu’une fois son regard. Cela me donnera en même temps l’occasion de mélanger, moi aussi, les genres.

Jean François Deniau a été élève du lycée Pasteur, à Neuilly. Moi aussi. J’ai donc rêvé que, peut-être, il avait pu m’arriver de le croiser, il y a soixante ans, tandis que tintait la sonnerie des fins de classe et que les élèves se précipitaient dans les couloirs. Je sais maintenant que le calendrier me l’interdit et que mes trois ans de moins ont fait en sorte qu’il venait de quitter le lycée Pasteur lorsque j’y ai suivi les classes de première, de philo et d’hypokhâgne. Mon rêve aussitôt a rebondi et je voudrais que, sous cette seconde forme, il soit vrai et que vous le partagiez un instant. Serait-il possible qu’à trois ans d’intervalle, nous ayons eu le même professeur ? Je le crois : car Jean François Deniau a écrit : « Ce professeur respecté nous disait : gardez du temps pour mettre au propre. » J’ai entendu exactement les mêmes mots…

Monsieur Andrieu, vous m’aviez enseigné la littérature française et la littérature grecque. Vous m’avez fait aimer Racine et Sophocle. Je vous vénérais.

J’affirme, et il est important que je le proclame maintenant, à la place où je me trouve, j’affirme que c’est vous qui avez chevillé en moi, quand j’avais dix-sept ans, la certitude que ma vie était destinée à écrire des livres. Je composais pour vous, Monsieur Andrieu, mes petites dissertations, en les soignant comme de minuscules chapitres. Trois ans plus tôt, avez-vous été le professeur de Jean François Deniau ? Est-ce vous qui avez incrusté dans son esprit, comme vous l’avait fait pour moi, le désir d’écrire ? Car Jean François Deniau composait déjà ses petites pièces de théâtre et, quelques années plus tard, il écrivait son premier roman, Le bord des larmes.

Il était plus vif que moi.

Est-ce très important ? Je ne sais, mais laissez-moi rêver. Mesdames et Messieurs de l’Académie, rêvez aussi un instant, s’il vous plaît. Je suis ici, soixante ans plus tard. Je vous parle de Jean François Deniau, qui occupait ce 36e fauteuil. Se pourrait-il que nous devions l’un et l’autre à cet admirable vieux professeur ce qui fait notre vie et qui me fait aujourd’hui vous parler de lui, avec émotion ?

J’ai habité l’Australie du Sud durant cinq ans, et précisément à Adélaïde.

Quelle surprise d’apprendre en lisant les Mémoires de sept vies qu’en 1848, c’est à Adélaïde, la seule ville d’Australie où il n’y ait pas eu de bannis ni de bagnards, que débarqua M. Charles Simmons, l’arrière-arrière-grand-père irlandais de Jean François Deniau…

Mon premier mouvement a été, bien entendu, de rechercher dans les images de ma mémoire ces petites maisons de la vieille ville, minuscules avec leur petit jardin, construites à la fin du XIXe siècle, comme si elles étaient irlandaises. J’ai habité l’une d’elles pendant les premiers mois de mon séjour australien. Détail sans importance, encore ? Pas du tout : ces Australiens que j’ai connus et fréquentés pendant cinq ans, que j’ai toujours trouvés si fidèles – comme leurs maisons – à leurs racines écossaises, anglaises parfois mais surtout irlandaises – avec ce mélange de raideur et de spontanéité, de rigueur et de fantaisie, et rendus chaleureux par le climat presque provençal de cette Australie du Sud – tous. Je les ai reconnus chaque fois que je lisais une page où Jean François Deniau parlait de Madame mère, sa mère, la petite-fille de M. Charles Simmons, née elle-même à Melbourne et qui vint en France à l’âge de seize ans. Même les jeux de mots de Madame mère, je les reconnaissais, quand elle nommait trépassés ceux qui dépassaient les limites : j’avais tant ri moi-même avec mes enfants quand nous lisions à l’entrée d’une propriété : « The Trespassers will be prosecuted » – et que nous traduisions en pouffant « les trépassés seront persécutés ».

Mais l’Australie m’a permis de comprendre quelque chose du personnage de Madame mère et, à travers elle, de Jean François Deniau : et même son accent. Quand on débarque à Adélaïde, attention à celui qui vous demande : Did you arrive today, à qui vous devez répondre que vous êtes arrivé en effet aujourd’hui, mais pour vivre, pas pour mourir.

Jean François Deniau me paraît incompréhensible sans Madame mère, sa rigueur et sa douceur, et tous les principes de sa vie. If you can’t be good, disait-elle, be careful. Il écrit : J’aurai très souvent dans la vie l’occasion de me demander dans une situation difficile ce que ma mère aurait recommandé de faire. La réponse est : le plus difficile, avec cette réserve que tout ce qui est spectaculaire est plus facile.

Et quand nous nous remémorons ce que Jean François Deniau a fait dans sa vie, ses voyages dans tous les pays du monde où un peuple était asservi et se révoltait, en Afghanistan, en Bosnie, au Cambodge, au Nicaragua, et en Érythrée lorsqu’on est venu lui dire : « Nous sommes persécutés et personne ne dit rien dans le monde », et qu’il a répondu « J’y vais », on entend Madame mère. Elle disait : quand deux chiens se battent, prend parti pour celui du dessous. Elle appelait cela l’underdog.

Madame mère avait une dévotion particulière pour saint François Xavier. Elle faisait régulièrement le pèlerinage à Goà, sur sa tombe. À soixante-dix ans, comme il n’y avait de place sur aucun paquebot, elle s’engagea comme lingère sur un cargo.

Jean François Deniau affirme, à plusieurs reprises, qu’elle ne donnait jamais d’ordre. C’est le meilleur moyen de faire naître le sens de la responsabilité.

Je suis allé plusieurs fois au Cambodge, dans les années soixante, avant la terrible guerre et l’abominable tyrannie qu’ont connues ce pays si attachant et ce peuple si aimable. Je n’ai pas seulement été admirer Angkor Vat. Norodom Sihanouk avait su garder son royaume à l’écart de la guerre et, dans ces années-là, on pouvait encore se promener partout, et même seul comme je l’ai fait. Il suffisait, en entrant dans un village au milieu des rizières ou perdu au fond des forêts immenses, de prononcer une petite phrase : Men Men Mericain, Kniom barang, je ne suis pas Américain, je suis Français ; aussitôt, les visages s’éclairaient, tout le monde souriait.

Soixante ans plus tard j’ai retrouvé tout cela, si proche, si vrai, dans les Mémoires de sept vies, dans Deux heures après minuit, dans les pages où Jean François Deniau raconte son expédition au milieu des peuplades Moï, dans les maquis de la guerre du Vietnam. Je l’ai retrouvé, et de manière encore plus forte, transfiguré cette fois par l’imagination du romancier, dans L’Empire nocturne, ce livre qui me paraît l’un des révélateurs les plus fidèles et les plus précis de la personnalité complexe, multiforme, contradictoire de Jean François Deniau. J’ai tout reconnu, dans les détails : les gens, leur mode de vie, leur manière d’être, les moustiques, les éléphants. Un éléphant de fonction, c’est plus glorieux qu’un carrosse.

Lire et relire L’Empire nocturne après avoir connu le fond de la forêt cambodgienne, ce n’est pas, je l’affirme, lire le livre d’un autre. Ce n’est même pas vraiment lire un livre : c’est entrer dans le rêve de celui qui a rêvé d’être roi dans la forêt, comme disait Kipling, l’un des auteurs favoris de Jean François Deniau enfant.

Et justement : le lire ainsi, c’est pénétrer encore plus avant dans ce qu’était Jean François Deniau. Car roi dans la forêt, il ne l’a pas seulement rêvé, il ne l’a pas seulement raconté dans un roman : ne l’a-t-il pas été, à dix-neuf ans, à l’âge où on voudrait reconstruire le monde, ce qui est très précisément le sujet de L’Empire nocturne, écrit quarante ans plus tard.

Revenons un instant, s’il vous plaît, sur cet Empire nocturne, dont le héros, Claude Velle, déclarait qu’il n’avait jamais pu choisir.

Bien entendu, c’est un roman : mais un roman à la Deniau, c’est-à-dire que l’on ne peut jamais déterminer ce qui est du domaine du rêve adolescent, du réel, du réel imaginaire. À peine consent-il à décaler la topographie : cela ne se passe pas dans les forêts du pays Moï qu’il a connues à dix-neuf ans, mais juste un peu plus loin, au nord de la Birmanie. Les Moï sont devenus des Katchens : simple camouflage… Le reste est transparent.

On y voit une petite ville artificiellement créée dans ce pays sauvage. On y entend parler entre eux, avec un humour assez rude dans la parodie, le langage de notre civilisation quand son arrogance est transcrite par des médiocres : convertir des natives tout nus en leur distribuant des chemises pour qu’ils deviennent civilisés. Écoutez parler le pasteur : « Tout indigène qui en a porté une ne se sent plus déjà le frère de celui qui vit encore nu dans la brousse. Et quand il sera habillé comme nous, il voudra vivre comme nous, puis il pensera comme nous. » Ce chapitre de L’Empire nocturne est d’une férocité terrible. « Un indigène qui a reçu vingt ou cinquante roupies apprend la valeur de l’argent. Il les dépensera. Il aura envie d’en avoir cinquante autres. Il quittera la brousse. Il deviendra quelqu’un. Un homme normal. » C’est alors qu’apparaît, lorsque tout est en place pour le contraste, Claude Velle, celui qui s’est voulu et s’est fait prince au fond de la forêt. Il construit un royaume Katchen où toutes les valeurs de ce que nous appelons civilisation se trouvent inversées. Il édicte des lois qui sont le contraire de nos lois. Un royaume, un monde imaginaire, où tout est construit sur la simplicité de la nudité.

Ce sera, bien entendu, un échec : et le roman de Jean François Deniau va être la description tragique de cette anticulture lentement contaminée, de l’intérieur, par ce qu’elle prétendait nier.
La Désirade, que Jean François Deniau avait écrit deux ans plus tôt, c’est encore un roman, et même un roman d’aventure. Un roman historique aussi, puisque Nicolas-Jean Lafitte a vraiment existé au XIXe siècle et qu’il a été vraiment corsaire. Mais on sait suffisamment peu de choses sur lui pour que Jean François Deniau puisse inventer ce qu’il veut, que son corsaire fasse fortune sur les mers, défende la Louisiane contre les Anglais, change d’état civil (comme le personnage de cet autre roman, Un héros très discret), rencontre Lamartine et Victor Hugo et fasse cadeau à Karl Marx de toute sa fortune pour l’aider à publier son livre, avant de disparaître à nouveau dans les forêts d’Amazonie.

Mais c’est là justement que Lafitte avait rencontré un étrange personnage qui, exactement comme Claude Velle, tentait de construire avec des hommes tout nus une civilisation qui serait le contraire de la nôtre. Voyez comment il rendait la justice : « Le coupable n’est pas tué, mais tous les autres Indiens font comme s’il n’avait jamais existé. On ne lui parle pas, on ne le touche pas, on ne le voit pas. Si on le regarde, c’est comme s’il était transparent. Les yeux passent à travers lui. Nous appelons ce châtiment la mort blanche… »

Les romans de Jean François Deniau ne sont pas seulement des romans. Bien entendu, on y retrouve tout ce qu’il a aimé quand il avait dix ans, et qu’il lisait avec passion. L’Île mystérieuse, L’Île au trésor (qu’il disait savoir par cœur – et pourquoi toujours des îles ?), Le Livre de la jungle (pourquoi toujours la jungle ?), Lord Jim… Les rêves imaginaires, il les porte en lui, comme nous tous. Mais voilà : l’île au trésor, il ne se contente pas d’en rêver comme nous faisions en lisant Jules Verne et Stevenson. Chez lui, cela se transforme en actes. Le romancier Deniau ne peut être détaché du Deniau homme d’action. Aimer la mer, ce n’est pas seulement se transfigurer soi-même en Surcouf de douze ans, en La Pérouse adolescent, ou en Lafitte : c’est monter en bateau et affronter les vagues pour faire de la mer rêvée une mer vécue. Puis cela se retourne sur soi et le rêve devenu vrai devient un nouveau roman qui, par-dessus les vagues, remonte vers l’enfance. Long John Silver, avec sa jambe de bois, devient le héros de La Désirade. Et puis cela repart dans l’autre sens pour recueillir des boat people perdus en mer de Chine.

Et cela se retourne à nouveau et devient Ce que je crois et Deux heures après minuit, l’un de ses livres, me semble-t-il, les plus importants.

Deux heures après minuit, c’était, disait Napoléon, le moment où il faut avoir du courage. « Ceux qu’il met au plus haut ne sont pas les plus célèbres, Ney, Murat ou Lannes. Le courage est plus facile dans l’excitation du combat et la chaleur de l’action. Le grand courage est autre. C’est pour Napoléon celui des heures qui précèdent l’aube, quand le jour passé est oublié et que celui qui doit venir tarde tant à paraître qu’on commence à douter de lui. Au cœur du fond de la nuit, quand il fait froid dehors, qu’on a froid au-dedans et qu’on est seul. Napoléon se souvient de ceux qui, réveillés deux heures après minuit, étaient capables de courage : Mouton, Sérurier, Macdonald, des noms moins connus pour des combats obscurs… »

Jean François Deniau avait été six fois ministre, ambassadeur en Mauritanie, puis auprès du roi d’Espagne Juan Carlos ; il avait travaillé à la négociation du traité de Rome, à sa ratification, il avait été député du Cher ; il devient alors ce qu’Alain Peyrefitte appelle « le paladin des causes étouffées », en Érythrée, en Afghanistan, au Liban, en Amazonie, en Bosnie, au Cambodge…
C’est l’application, au pied de la lettre, du précepte de Madame mère : prendre parti pour le chien qui a le dessous, l’underdog.

« La seule réponse à l’interdiction d’aller, c’est d’aller. »

À nouveau, ce que Jean François Deniau avait écrit devient vécu.

Le Bord des larmes est le titre qu’il avait donné à son premier livre, un court roman qu’il publia lorsqu’il avait vingt-cinq ans sous le pseudonyme de Thomas Sercq, emprunté à une petite île près de Guernesey : déjà la mer… Et relire ce livre de jeunesse après qu’on a tenté de le suivre dans le chemin de sa vie, après qu’on s’est efforcé de dénouer les fils de sa pensée et de la manière dont il en fait une action, cela a quelque chose de bouleversant. Car dans les dernières lignes de ce roman de vingt-cinq ans, il mêle déjà les rêves d’adolescent, et la réalité qui n’existe pas encore. C’est comme un programme de vie, qu’il aurait suivi à la lettre. Comme une prémonition.

Je cite ces lignes de ce premier livre. Ce n’est pas Deniau qui parle, c’est son personnage, Julius. Mais on croirait l’entendre :
« Ce que l’on fera, un jour, de grand, de beau, de surprenant, parce qu’à dix-huit ans on avait eu des rêves, on s’était fait des idées, les larmes vous étaient montées aux yeux et l’on avait dû lutter pour ne pas pleurer.

Julius quitte la rambarde, remonte le col de sa veste, enfonce son chapeau. Avant de redescendre vers Paris les marches de la passerelle, il hoche la tête et puis remue les épaules. Il est au bord des larmes… »

Pourquoi la mer ?
Ni
Le marin, ni
Le poisson qu’un autre poisson à manger
Entraîne, mais la chose même et tout le tonneau et la veine vive,
Et l’eau même, et l’élément même, je joue, je resplendis !...

La mer, telle que l’aime Jean François Deniau, ce n’est pas tout à fait celle de Paul Claudel, encore qu’elles soient, si j’ose dire, de la même eau.

Mais pourquoi, chez Jean François Deniau, cette passion de la mer ? Elle l’a poursuivi durant toute sa vie, depuis ses quinze ans lorsqu’il embarquait sur un bateau de pêche, à Granville, La Gloire de Dieu (quel beau nom pour un bateau…) jusqu’à son voyage fou à la sortie de l’hôpital. Ce n’est pas le jeu. Ce n’est pas le sport. Ce n’est pas le tourisme. Ce n’est pas non plus la splendeur de l’horizon : même si cette passion est faite d’un peu de tout cela, elle va beaucoup plus loin ; et je crois qu’on peut commencer à en approcher les raisons en lisant et relisant ses livres – mais cette fois dans l’ordre. Si fort qu’on aime ceux où il parle directement ou ouvertement de la mer (La mer est ronde, L’Atlantique est mon désert, et le délicieux Dictionnaire amoureux de la mer dans lequel j’ai réappris le vieux vocabulaire que j’aimais tant, moi aussi : le hunier, le perroquet de fougue, et le petit cacatois, à hurler de rire quand on a dix ans…), ce n’est pas tant dans les livres où la mer est nommée, désignée, qu’on peut approcher le cœur de la passion de Jean François Deniau. J’ai commencé à l’entrevoir dans ceux où il ne s’occupe que de problèmes concernant l’homme, la civilisation, la morale et l’action : Ce que je crois, Histoires de courage, Deux heures après minuit

Il n’y parle pas de la mer, mais elle est là et on la découvre peu à peu, comme la marée qui monte ; elle devient à la fin une évidence.

La mer, c’est l’élément où l’homme est totalement responsable de ce qu’il fait. Bien entendu, il y a les vagues, les courants et le vent, et parfois la tempête, et la nuit, les interminables heures à la barre. Mais voilà : en mer, sur mer, c’est toujours l’homme qui décide. La terre, qu’il le veuille ou non, lui impose des lois, fleuves, montagnes, marais. En mer, pas de routes, pas de sentiers, pas de cartes Michelin. Personne pour vous dire : « C’est par là, Monsieur. » La mer est ronde. 360 degrés. Vive la liberté !

Mais, comme disait Madame mère, que l’on retrouve toujours, « c’est la responsabilité ». Non, je ne joue pas sur les mots. Le message de la mer est le même que celui de Madame mère. La mer, c’est « le maximum de responsabilité dans la liberté ». Ou l’inverse. Tu vas où tu veux. Un degré sur 360. Mais c’est ton choix. Ne demande pas à ton voisin d’assumer à ta place. En mer, on n’a pas de voisin. Elle est le seul horizon où l’on ne puisse pas se défiler en prononçant les mots que Jean François Deniau haïssait le plus : « Ce n’est pas mon problème. »

La mer, l’océan, l’horizon, la liberté, ce n’est pas un jeu, ni un sport, ni du tourisme : c’est une force morale et c’est bien pourquoi elle est présente partout dans les livres de Jean François Deniau, même quand il ne parle pas d’elle. Lorsque sans Survivre, son livre peut-être le plus profond et le plus grave, Jean François Deniau écrit cette phrase terrible : « Sarajevo, quand l’Europe a perdu son âme », c’est de la mer qu’il parle, de la morale de la mer. On avait la liberté, la démocratie, les droits de l’homme, et on a oublié la responsabilité.

Et tout s’enchaîne.

On commence à comprendre pourquoi Jean François Deniau détestait l’hôpital, où il est si souvent allé, où il a si souvent souffert, et si souvent écrit, en demandant aux infirmières de fixer ses perfusions dans le bras gauche pour qu’il puisse continuer à tenir sa plume. La chambre d’hôpital, ce n’est pas seulement son caractère impersonnel qui est détestable : c’est l’infantilisation du malade. Le malade n’est pas un malade : c’est un patient. Le vocabulaire de l’hôpital dit les choses comme elles sont. Patience. Patience. Ne bougez pas. Ne décidez rien. Ce n’est pas à vous de décider. Vous êtes irresponsable, au vrai sens de ce mot : non responsable. Interdit de réponse…

Et la suite vient d’elle-même, Jean François Deniau étant celui qu’il est. Puisque les médecins, à sa sortie d’hôpital, lui ordonnent de poursuivre tout seul le travail d’infantilisation, surtout de ne pas bouger, de ne pas se fatiguer, d’éviter les décisions graves, eh bien ! c’est entendu, Deniau fera le contraire comme à quinze ans : la mer. Traverser l’Atlantique et si possible en solitaire. Je le cite : « Retrouver avec la barre, et les voiles, et le vent, et la mer, la liberté avec ses risques et ses contraintes choisis. Je ne cherchais pas à mourir, mais à survivre. »

Que faut-il faire, que peut-on faire, alors qu’on s’était juré à vingt ans d’être le meilleur, parce qu’on le croyait. Je me trompe : on ne s’était pas promis de l’être, on l’était. On ne peut pas s’imaginer à la première place quand on aura cinquante ans, si à vingt ans on ne croit pas y être déjà. On est le meilleur. La vie n’a d’autre fonction que d’en apporter des preuves, de fournir des occasions. La vie, c’est le plateau ; le destin, c’est le valet de chambre qui porte le plateau. Alors, que fait-on si le valet a la main qui tremble ? Si le destin est un traître ? Et si, par le truchement de la maladie imbécile, il vous réduit, vous le premier, vous le meilleur, à n’être plus qu’un corps souffrant dont on ôte des bouts de poumon, des morceaux de cœur, une fois, deux fois, dix fois ; que faire si l’on ne peut plus se mouvoir sans s’accrocher au bras de quelqu’un et si chaque minute vécue entre deux pontages n’est plus qu’un sursis ?

Marcher dans les montagnes d’Afghanistan ? Dans les forêts d’Amazonie ? Dans les déserts de l’Érythrée ? Cela, c’était bon quand on avait encore un peu plus d’un demi-poumon. Quand le destin aura fait clairement comprendre, par le truchement de la maladie imbécile, qu’il n’y a plus de place dans ce monde pour y être le premier, que faire sinon provoquer la mer, le vent, les vagues, la tempête, l’Atlantique, et leur crier : je vais quand même être le premier à vous provoquer de cette manière. Personne ne vous a affrontés avec la moitié d’un poumon et un morceau de cœur. Personne. Je suis le premier. Je suis le premier à être assez fou pour le faire et si vous m’attaquez, vous les vents, la tempête, si vous coulez, mon bateau, si vous me faites mourir, je serai encore le premier car on parlera de moi dans le monde, comme du premier qui ait osé se mesurer à la mer, la provoquer. On parlera de moi comme du plus courageux, du plus intrépide et du plus fou. Et ce sera vrai.

On dit cela, bien sûr, au bord des larmes…