Hommage prononcé à l’occasion du décès de M. Jacques de Bourbon Busset

Le 10 mai 2001

Jean-François REVEL

Hommage à M. Jacques de Bourbon Busset*

prononcé par M. Jean-François Revel
Directeur en exercice

Séance du jeudi 10 mai 2001

     Le confrère qui vient de nous être enlevé en succombant aux suites d’un incroyable accident était illustre à plus d’un titre. Jacques de Bourbon Busset était illustre d’abord, bien entendu, en raison de son talent d’écrivain. Et c’est ce qui prime sans aucun doute sur tout le reste dans cette Compagnie dont la raison d’être est l’activité de l’esprit. Son œuvre riche et abondante va du roman (il obtint d’ailleurs le Grand Prix du Roman de l’Académie en 1957, bien des années avant d’y être élu) jusqu’à des essais philosophiques ou critiques et à un Journal qui ne compte pas moins de dix volumes. Jacques de Bourbon Busset était illustre ensuite par sa ligne généalogique, qui remonte jusqu’au plus respecté de nos rois, celui qui, par son caractère exemplaire, sut se rendre digne de la canonisation. Illustre enfin par les responsabilités qu’il exerça dans l’État. D’abord, comme directeur du cabinet de Robert Schuman de 1948 à 1952. Il fut donc de ceux qui contribuèrent à la naissance et à l’entrée dans un début de réalité de la grande idée du dernier demi-siècle : ce qui devait devenir l’Union européenne. Puis, en 1952, il est nommé directeur des Relations culturelles avec l’étranger, poste essentiel pour le soutien et le renforcement des lycées, Instituts et Alliances, alors beaucoup plus nombreux qu’aujourd’hui, qui dispensent dans le monde entier notre langue, notre littérature et la connaissance de tous les autres aspects de notre civilisation.

     Il renouait ainsi en quelque sorte avec une première vocation universitaire. C’est en partie cette première vocation, sans aucun doute, qui donnait à cet ancien élève d’Alain un souci et un sens aigus de l’exactitude de la langue, des termes, des tournures, donc des idées qu’ont pu admirer ici même tous les jeudis les membres qui ont siégé avec lui à la Commission du Dictionnaire, et j’ai eu l’honneur de ce plaisir.

     Car, Jacques de Bourbon Busset, ancien élève de l’École normale supérieure, licencié et diplômé d’Études supérieures d’Histoire, ce qui n’est pas indifférent pour comprendre certaines facettes de son œuvre, opte, en 1939, pour la carrière diplomatique. Il est reçu au Grand Concours du Quai d’Orsay. Mobilisé peu après comme lieutenant d’infanterie, il montre un courage qui lui vaudra la croix de guerre avec palme, après plusieurs années de captivité et plusieurs tentatives d’évasion.

     On se demande souvent si un désir d’écriture est authentique ou non, si c’est une forme d’ambition ou un aveu d’échec. Dans le cas de Jacques de Bourbon Busset, le choix a été clair. Il était dicté par cette morale du désintéressement qu’enseignait notre grand prédécesseur Henri Bergson, quand Jacques de Bourbon Busset était lui-même étudiant. En effet notre regretté confrère démissionna de la fonction publique alors qu’il venait d’être nommé ministre plénipotentiaire et qu’il pouvait donc légitimement aspirer aux postes les plus importants et aux ambassades les plus prestigieuses. Il y renonça ayant pris la décision de se consacrer à la seule création littéraire.

     Outre un amour conjugal qui parcourt et nourrit en filigrane toute son œuvre, la spiritualité religieuse tenait une place considérable chez cet homme de lettres doublé d’un homme d’action. Sa foi profonde ne se grevait cependant d’aucun sectarisme. Il était la discrétion et la tolérance mêmes. Le recevant dans cette Compagnie le 28 janvier 1982, notre confrère Michel Déon citait dans sa réponse cette phrase du nouvel académicien : « L’hésitation, l’indulgence, le manque de sectarisme que je me reprochais m’apparurent comme l’essence même de mon esprit et tout devint facile, un peu trop. » Fort bien dit. Mais Jacques de Bourbon Busset, recevant lui-même neuf ans plus tard José Cabanis, commentait ainsi un aphorisme d’André Gide : « Choisir, c’est renoncer. » Il en disait : « Si on ne renonce à rien, on ne préfère rien, on ne fait rien, on n’est rien. À quoi sert d’être libre pour rien ? Nos choix nous créent et nous libèrent. » Par le rapprochement de ces deux pensées, nous comprenons, grâce à lui, que la tolérance n’est pas incompatible avec la conviction ni la conviction avec la tolérance. Tout au contraire, elles n’existent l’une que par l’autre, l’une que grâce à l’autre. Elles s’impliquent réciproquement. La tolérance sans conviction est sans objet. La conviction sans tolérance est sans avenir.

     C’est là l’une des leçons principales de l’œuvre de Jacques de Bourbon Busset. Elle nous le rend, et elle nous le fera demeurer à jamais, très cher dans notre souvenir.

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* décédé le 7 mai 2001.