Réponse au discours de réception de M. Angelo Rinaldi

Le 21 novembre 2002

Jean François DENIAU

Réponse de M. Jean François Deniau
au discours de M. Angelo Renaldi

DISCOURS PRONONCÉ DANS LA SÉANCE PUBLIQUE
le jeudi 21 novembre 2002

PARIS PALAIS DE L’INSTITUT

     Monsieur,

     On n’entre jamais seul, nulle part. Les roulements de tambour de la garde vous ont accueilli. Vos parrains vous entouraient. Vos confrères vous ont salué et parmi les plus chaleureux, certains qui n’ont peut être pas été toujours vos amis : ainsi est le bon usage dont nous sommes gardiens. D’autres que vous ont pénétré sous cette coupole précédés d’un nom illustre ou d’une carrière éclatante. Votre vie est vouée à la littérature française. Il est normal qu’elle soit aujourd’hui à vos côtés.

     Souvent vous avez pris position, avec la rigueur qu’on vous connaît, pour le métier d’écrire se suffisant à lui-même, contre ceux qui n’hésitent pas à confondre les genres. Nous souhaitions parmi nous un littéraire. Vous êtes un littéraire pur. L’Académie a voulu que vous soyez reçu par un de ses membres dont les activités ont été si disparates qu’il est difficile aux autres de s’y retrouver et pour lui-même assez facile de s’y perdre. Autrement dit, le plus impur de nous tous. Mais peut être en me désignant a-t-elle voulu rappeler seulement notre respectable diversité.

     Il est un peu tard pour vous en prévenir, Monsieur, mais l’Académie française est si j’ose dire, un milieu très mélangé. Les romanciers y côtoient les avocats, les médecins, les historiens, les essayistes les grands commis de l’État. Dans l’éloge remarquable et émouvant de notre ami Cabanis, auteur très pur entre tous, vous avez cité quelques uns de vos prédécesseurs au vingtième fauteuil qui n’ont pas tous laissé dans les lettres ce qu’il est convenu d’appeler un nom impérissable. Et si je regarde la liste de tous qui m’ont précédé au fauteuil que modestement j’occupe (mais le trente-sixième fauteuil, cela peut-il être vraiment sérieux ?) je constate que plusieurs titulaires n’ont jamais rien écrit — Rien.

     Le premier de tous, promotion 1635, était Marin Cureau de la Chambre, médecin du roi. Il maniait lancette et clystère tout en entendant parfaitement toutes les langues savantes, le latin, le grec et l’hébreux : un des hommes les plus cultivés de son temps. On raconte à mi-voix qu’il s’adonnait aussi aux sciences occultes. Non, pas vraiment un pur littéraire. Son fils, l’abbé Cureau de la Chambre, fut élu à sa suite. Le père avait été si respecté, et le fils était si bon compagnon. De toute sa vie, il n’écrivit qu’un vers. Un, un seul. Très fier de son œuvre, il la présenta à Boileau, autorité incontestable des lettres, en quelque sorte le Rinaldi de l’époque. Son commentaire fut : « La rime est belle ».

     La diversité des membres est la tradition de l’Académie, notamment pour garantir que la langue française ne soit pas la propriété de seulement quelques grammairiens malgré leurs éminentes qualités. On me pardonnera j’espère cette parenthèse arithmétique : j’ai dénombré au cours des siècles plus de vingt hauts fonctionnaires et magistrats, plus de vingt savants et scientifiques, plus de vingt maréchaux, amiraux et autres militaires. Plus de trente hommes politiques dont cinq chefs d’État et seize premiers ministres ou présidents du Conseil, sous tous les régimes, monarchie, empire, république, et quel que soit le numéro de la R épublique. Les anciens ministres, je ne les compte pas, ils sont légion. Un milieu très mélangé, vous disais-je.

     La présence constante et en force des ecclésiastiques, Dieu merci, a maintenu le niveau élevé de l’esprit. J’en ai compté plus de cent quinze. Nous leur devons le nom du siège que nous occupons : un fauteuil. Certains, élus alors qu’ils étaient évêques, poursuivirent leur carrière et devinrent cardinaux. Les cardinaux, princes de l’Église, avaient droit à un fauteuil alors que les duchesses seulement à un tabouret. Mais l’égalité de tous les membres étant une règle absolue de l’Académie, Louis XIV lui-même dut trancher cette difficile question de protocole. Il le fit par le haut, bien sûr : comme les cardinaux, tous les académiciens auraient droit à un fauteuil. Vous voici prince, Monsieur. Prince de la république des lettres.

     D’ailleurs l’état ecclésiastique vous aurait peut-être assez bien convenu. On peut vous imaginer, tel votre maître Paul de Gondi, cardinal de Retz, portant sous la longue robe de soie rouge les bottes à éperons et dans la large ceinture deux pistolets de cavalerie. Vous pratiquez déjà un sport de combat. Je ne parle pas de la critique littéraire, mais du judo à très haut niveau. Les bons combats ne vous manqueront pas.

     Un jour vous aviez répondu à la question de savoir si vous brigueriez éventuellement l’Académie française, je cite : « Je suis corse. Jamais je ne me présenterai à une élection pour laquelle je ne maîtrise pas les listes électorales et les feuilles d’émargement. » C’était de l’esquive habile, et déjà de l’escrime. Mais, pour la défense du français, vous avez montré, dans un débat récent, votre courage. Il nous le faut. Notre langue est partout menacée, y compris en France et au cœur de nos administrations. Sait-on que certaines directives du ministère des finances, bastion de toutes nos puissances, sont directement écrites en anglais ? Parce qu’elles seront, à Bruxelles, dans le cadre européen, discutées et défendues en anglais et seulement en anglais. Sait-on que pour un congrès médical, en France, un médecin français soucieux de sa carrière a l’obligation de faire sa communication en anglais ? Les confrères étrangers, formés par nous, en pleurent. Des grands patrons s’adressent à leurs collaborateurs en anglais pensant ainsi séduire les fonds de pension américains. Le jargon dominant dans la communication est trop souvent une sorte de sabir franco-anglais, d’autres plus illustres l’on dénoncé bien avant moi. La faute de français est trop souvent un élément majeur de promotion publicitaire. Nous avons dû nous battre pour tenter de sauver l’épreuve de dissertation qu’on appelait autrefois la composition française...

     Certes, le règne de la quantité, dont s’alarmait déjà René Guenon, a été de toutes les époques. Certes, celui de la mode a toujours existé, en tous temps et toutes sociétés. Mais que dire s’il n’y a plus que la mode ? Si l’excès n’est pas celui de la médiatisation, mais de l’immédiatisation : refus du temps, de l’avenir et donc du souci de « laisser un nom » que nos parents appelaient la gloire, mot oublié et quasiment interdit. Le personnage plutôt que l’œuvre, c’est plus rapide. Voir va plus vite que lire. L’effet d’annonce, comme on dit, ce qui veut dire tout de suite, et peu importe la réalité de la suite. La France est le seul pays ou en littérature comme en politique, l’écrit se juge à l’oral. Nos ennemis sont nombreux. Vérifiez vos amorces, ajustez votre tir, la poudre se fait rare. En selle, Monseigneur.

     Il n’est pas de bon cavalier ni tireur sans apprentissage. Le votre est une sorte de parcours du combattant dont la plume est la seule arme. Elle n’est pas mouchetée. Qu’elle le reste.

     Vous êtes né à Bastia dans une famille pauvre qu’on aurait dit naguère très modeste. Je ne crois pas que votre père ait été très modeste. Sans fortune aucune, certes. Sans relations, sans privilèges, oui. Mais fier, oui fier, j’en suis sûr. Parmi les emplois qui furent les siens, vous citez berger et garçon de café, votre mère étant employée de commerce. Mais vous aimez à citer aussi son passé de courageux militant anti-fasciste qui lui vaudra d’être arrêté, interné, torturé par l’occupant italien. Il devait mourir des suites de son engagement alors que vous n’aviez pas dix ans. Ce père, trop absent et si présent, jamais vous ne l’oublierez, jamais vous ne quitterez sa main comme si elle tenait encore la vôtre. Vous retrouverez ici, Monsieur, quelques uns des membres de cette discrète confrérie des orphelins de père très jeunes que l’on reconnaît peut être à une sorte de feu intérieur voilé de noir. Mais jamais vous ne pardonnerez à votre enfance de vous être trouvé si seul et si différent. Très loin des castes et des habitudes, des notables et des idées reçues. L’adolescence ne fera qu’agrandir la distance. Pourquoi écrit-on ? Pour convaincre ou pour se libérer ? Écrire est à la fois un combat et une fuite.

     Votre père un jour vous a fait un cadeau, sans doute pour vous récompenser d’une bonne note, que vous n’oublierez pas non plus. Il vous offre un dictionnaire, un « petit » Larousse. Vous devez avoir huit ans. Vous ne serez plus jamais tout à fait seul. Vous avez trouvé des milliers et des milliers de compagnons fidèles : les mots. Aujourd’hui, le dictionnaire, c’est vous qui le ferez.

     Mais avant de vous consacrer à votre seule passion, lire et écrire, quelques épreuves vous sont encore réservées. Vous ratez votre baccalauréat pour l’épreuve de composition française. Ce n’est pas un cas unique dans la littérature et ce n’est que partie remise. Vous serez pion pour gagner votre vie, il y a d’autres précédents, et ce n’est qu’une autre école. Puis journaliste épisodique en Corse, localier comme on dit, enfin rédacteur permanent à Nice au grand quotidien régional, d’abord chargé de la très vaste rubrique qu’il est convenu d’appeler celle des chiens écrasés, puis de la chronique judiciaire, enfin d’un bulletin quotidien d’humeur où votre talent puisse s’exprimer plus librement. Telle est la promotion semble-t-il dans le journalisme. On commence par vous donner la responsabilité de trois colonnes dans un domaine fondamental. On finit par confier quinze lignes à votre bon plaisir.

     De nouveau quelle école pour y forger votre caractère et tailler votre plume. Vos articles ne sont pas les brouillons de votre œuvre à venir. Ils ont leurs vertus propres qui sont de savoir annoncer une assemblée générale d’anciens combattants ou présenter le compte rendu d’un banquet de boulistes, sans omettre la collecte quotidienne des « mains courantes » dans les commissariats de quartier. De nouveau vous apprenez les faits, le monde, les hommes. Votre style devient le votre et pas seulement celui du secrétaire de rédaction chargé d’« harmoniser » le ton du journal. Mais déjà, votre qualification professionnelle tranchait sur l’ordinaire et la résignation. Votre culture fondamentale perçait sous la chronique. Vous étiez bien le seul à citer Paul Léautaud à propos d’un gala de variétés à Bastia ou éreinter une chanteuse célèbre en regrettant que ses caprices « ne lui aient pas attiré un bombardement de solanacées bien mures ». Tout vous sert de cible : les propos d’un touriste étranger naïf qui veut découvrir une Corse de carte postale, les gloires locales historiques et gastronomiques, sans respecter ni Paoli ni le vin de Patrimonio ; ni la population d’une ville où règnent notables et parrains, un système à la fois de classe et de castes. Rendez-vous est pris avec vos futurs livres.

     À Nice-Matin, pendant dix ans, vous vous permettez de citer le général de Gaulle à propos des perruques de Gaby Morlay, de dénoncer les truands de l’affaire Ben Barka dans un pastiche de Voltaire, de raconter une histoire de « testeurs de matelas » (il faut croire que l’activité professionnelle existe) sous le haut patronage de Pascal et de Calderon. Vous n’hésitez pas à écrire « Les pauvres d’hier avaient au moins l’avantage de cette élégante maigreur que les riches d’aujourd’hui ont tant de mal à préserver des atteintes du bien-être. » Votre collègue Charles Guérin note : « Au sommet de la hiérarchie du journal, où ne manquait ni les bien-pensants, ni les bien-pansus, des dentiers grincèrent ». Provocation ? Désinvolture ? Non. D’abord le plaisir, celui de mettre en scène. M. de Norpois et avec lui Proust, mais aussi Michaux, André Gide, Valery Larbaud... De faire défiler cette sarabande de personnages illustres inventés par des écrivains donnant la main aux écrivains eux-mêmes. Lesquels sont les plus vivants ?

     Oui, déjà le bonheur du romancier qui est de dire, penser, agir, par des êtres de son invention assez proches de lui pour être une nouvelle famille. Le bonheur et votre courage. Yvan Audouard témoigne : on ne tient pas la chronique judiciaire sans risque. Certain pensent que tout n’est pas à relater dans les procès et que souvent la discrétion doit être la règle. Ce n’est pas votre règle. Vous n’hésitez pas à mettre en cause les professionnels de la délinquance, sans pour autant épargner les autorités établies, publiques ou privées. Ce n’est pas seulement votre style qui surprend. C’est le fond qui déplaît. Vous n’êtes pas à votre place. Vous montez à Paris.

     Un autre journal, mais toujours le même métier. La différence est que le monde parisien peut sembler plus large de vues. Disons, qu’entre les humains, il y a plus de distance à Paris qu’en province ou qu’on y a moins de voisins. Votre activité la plus payante a les charmes de l’anonymat. Vous exercez les fonctions, notamment dans un grand hebdomadaire, de ce que certains appellent en anglais re-writing et pour lesquelles vous trouvez la très heureuse formulation française de « réparateur de style ». Puis-je, avec quelques années de retard, au nom de l’Académie dont vous faites désormais partie, vous en remercier ? Raymond Cartier est un journaliste fameux dont les trouvailles verbales sont maintenant passées à l’Histoire : « La Corrèze avant le Zambèze » ou « Pinay, le seul ministre qui ait une tête d’électeur ». La syntaxe n’est pas toujours sa préoccupation première. Vous réparez. On vous demande ici et là. On raconte qu’en corrigeant une chronique, financière cette fois, vous avez en redressant le texte changé son sens pour les initiés et provoqué involontairement un mini-krach boursier sur un titre très respectable. Le respect n’est pas toujours votre fort.

     Sauf pour la littérature. Cela commence à se savoir. On cherche pour un papier sur Moravia un commentateur parlant l’italien. Philippe Grumbach, patron de l’Express, a repéré dans vos chroniques non signées de Paris-Match un style qu’il juge intéressant : il vous propose la rubrique télévision. Vous dites non. Vous ne voulez que la critique littéraire. Il dit oui. Le monde, qui sera le votre, s’entrouvre. À vingt-six ans, vous adressez votre premier roman, La Loge du gouverneur, à une demi-douzaine d’éditeurs. Tous refusent, sauf un, Maurice Nadeau, très grand découvreur de talents, qui vous appelle. Ce sera le premier volume de votre œuvre romanesque qui à ce jour compte onze titres. Vous êtes d’abord un romancier. La critique salue quasi unanimement un style original et vous apparente à Musil et à Proust. On pourrait trouver pire cousinage.

     Le thème, qui sera présent dans tant de vos livres, est celui de l’enfermement. Bastia pour vous, est une sorte de prison. Vous avez choisi l’évasion par les lettres. Très rapidement, vous êtes classé comme auteur « social » et accessoirement  « anti-corse » dans la mesure où vous vous attaquez aux notables et à leurs rites autant qu’à leurs vices. Une note d’un périodique vous condamne : « Lecture difficile, atmosphère malsaine, amoralité totale ». Tant d’autres ont souligné au contraire un ton et un art nouveau. Une façon de faire entrer et sortir des êtres humains qui composent la trame bien à vous du tissu de nos jours. Une prose parfois jugée un peu embrouillée ? Les plus nombreux, et de loin, affirment : un auteur est né. Le prix Fénéon 1970, distinction à l’époque très remarquée, est votre première récompense officielle. Il y en aura d’autres.

     Ce n’est mon propos d’analyser ici chacun de vos livres. Les meilleurs commentaires, ils viennent sans doute de vous. En citant Borges : « J’écris pour moi, pour quelques amis, et pour adoucir la fuite du temps. » À la recherche de l’enfance perdue, pourrait s’appeler votre œuvre. Proust n’est pas seulement l’un de vos maîtres par votre goût de la longue phrase aux incidentes multiples mais aussi celui des personnages multiples, des seconds rôles dirait-on au théâtre qui donnent à l’œuvre sa dimension et sa vie. Mais votre refus commun de l’alinéa ne concourt pas à faciliter la tâche du lecteur.

     Dès le second roman, une nouvelle distinction. Oui, un auteur est né. La Maison des Atlantes reçoit le Fémina. Votre nom est partout. La presse est considérable et très élogieuse. Même la revue de La Mercerie-Nouveautés (bonneterie, lingerie, confection) vous accorde un long papier. On ne s’étonnera pas qu’il finisse quand même sur quelques coups d’épingle. Cette année 1971 est un cru : le Grand prix de l’Académie française va à Jean d’Ormesson, le Goncourt à Jacques Laurent, le Renaudot à Pierre-Jean Rémy tous trois membres de la compagnie. Vous êtes le quatrième, le d’Artagnan de l’équipe. Il est écrit que vous ne les abandonnerez pas seuls au quai Conti. La critique, de nouveau, vous tresse des couronnes. Proust, entend-t-on encore et Henry James. Chacun salue votre talent et votre originalité. Même si de nouveau certains regrettent la complexité du récit. « Le roman est un art lent », répondez-vous. Les dessins dans le tapis ne sont pas tissés pour être trop évidents. Tuer son enfance exige quelques ombres et détours. Je dois vous le dire, Monsieur, et c’est un grand compliment, pour moi elle résiste encore. Quand, je vous cite : « on sacrifie sa vie pour raconter celle des autres », vous êtes comme tout bon auteur, à la fois vous-même et les autres. Dans La Maison des Atlantes, un vieil arriviste raconte. Il se retourne et passe en revue une vie qui est comme un régiment de fantômes. Les thèmes que l’on va retrouver bien souvent, l’angoisse et la solitude, présentent les armes. Avec vous elles ne les ont jamais rendues.

     Pourrais-je mentionner un de vos livres qui pour beaucoup de vos lecteurs dont votre ami Jean-François Revel, est le meilleur ? La Dernière Fête de l’Empire aura le prix Marcel Proust. La technique du récit est toujours celle de votre théâtre personnel. Dans le décors d’un café bastiais qui va fermer, entrent et sortent notables, tenancières, artisans. Un peuple prisonnier de sa naissance se croise dans la soirée et se cherche dans la nuit. Vous aimez la nuit, vous n’avez pas changé. Vous avez d’ailleurs noté que les grands écrivains, Beckett, et Ionesco, et René Char, et Aragon, et Malraux, et Montherlant... se sont tous arrangés pour que leur mort soit connue à minuit. Pourquoi ? Pour le plaisir de donner au monde littéraire une nuit blanche de réflexion. Comme la nuit et le temps reviennent sous votre plume, et d’abord dans vos titres au charme discret : Les jours ne s’en vont pas longtemps, Dernières nouvelles de la nuit... Oui, pourquoi écrit-on ? Si ce n’est pour un combat nocturne qui est celui de la survie, pour naître encore quand on doute de sa première naissance ? Pour renaître ? Les enfants nouveau-nés crient en sortant du ventre de leur mère. De douleur, de surprise, d’effroi. Les auteurs ne cessent pas toute leur existence, doutant de leur existence, de crier.

     À L’Express où Grumbach vous a fait venir, Françoise Giroud et Jean-François Revel vous accueillent. D’elle, vous direz avec tendresse et admiration qu’elle est « la patronne irremplaçable ». De lui, qu’il est votre maître et votre ami fidèle. Quand on vous demandera « pour qui écrivez-vous », vous répondrez : « On écrit pour les premiers qui vont vous lire. Jean-François et Françoise ». Vingt-six ans vous resterez à L’Express, avant de rejoindre Jean Daniel et Le Nouvel Observateur. Vingt-six ans de combat (non pas avec la rédaction qui vous soutient entièrement, y compris contre le propriétaire) mais contre une littérature que vous jugez de fausse valeur ou l’expression seulement de clans dominants. Oserais-je dire : Bastia est partout...

     Elles sont loin vos ferraillades du « petit air du matin », votre chronique à Nice. 9 février 1976. Pour votre premier article votre première cible n’est pas n’importe qui : Alain Robbe-Grillet, considéré comme le pape du nouveau roman, l’auteur français qui est le sujet de thèse préféré des universités américaines et japonaises. « Scènes à la dérive, phrases en débandades, fantômes de personnage... » Vous pourfendez ce qu’on a appelé l’avant-garde (que vous qualifiez de « métaphore d’adjudant ») qui a supprimé le style, les histoires, l’homme, l’amour. L’adversaire bouge encore dans l’arène ? C’est l’estocade finale. Je cite : « Ce n’est pas par hasard si, dans l’Espagne de Franco on a traduit Robbe-Grillet et interdit Jean Genet. A-t-on jamais vu un jeune homme sortir de la lecture des Gommes avec au cœur l’envie de changer le monde ou de s’interroger sur lui-même. »

     Après le pape, la papesse. Je cite : « Madame Duras — au premier rang de nos écrivains mineurs — avait réussi le tour de force d’être emphatique dans le laconisme, sentimentale dans la sécheresse et précieuse dans le rien, inventant le bavardage dans le télégramme et le falbala dans la nudité. » On crie au sacrilège. Il ne faudra pas s’en étonner. Les écrivains peuvent peut être supporter un éreintement général. Après tout on parle d’eux. Mais l’incidente mortelle, la pointe assassine « au premier rang de nos écrivains mineurs », non. Le cardinal de Retz, encore lui, grand bretteur de vos modèles, avait ainsi écrit, comme au passage, dans son portrait de Richelieu : « Il avait assez de religion pour ce monde ». Entre deux cardinaux, cela ne peut pas se pardonner. Le roman est lent, vous aviez dit ? Le bon journalisme est bref.

     Votre plume s’en prend aux célébrités trop reconnues. Aragon n’est pas épargné. « Poète officiel d’un État dans l’État, dandy vieillissant, révolutionnaire mondain ». Ses engagements politiques peuvent vous le faire juger odieux ou pitoyable, mais vous savez reconnaître à ses romans des vertus de premier ordre. Au passage encore, vous habillez Garcia Marquès : Un Barrès en poncho. Au passage toujours, Chateaubriand à propos du Génie du christianisme. « On voulait de la piété, il s’est mis aux grandes orgues. En d’autres temps il eut donné avec la même sincérité un Génie du marxisme ». Vous êtes, Monsieur, en littérature non pas un athée, certes non, mais un anticlérical militant. Le clergé des belles lettres trouve parfois que vous allez trop loin, c’est normal. Que vous notiez « que Malraux a manqué à Malraux : seul ce grand rhéteur aurait été capable de faire son éloge funèbre ». Soit. Que vous doutiez de la valeur littéraire de certain de ses romans ? Pourquoi pas. Que vous regrettiez que le colonel l’ait trop souvent emporté sur l’auteur ? Peut être. Que vous constatiez que ses personnages confrontés tous à une actualité dramatique perdent de leur chaleur quand celle-ci s’éloigne ? C’est plus sévère. Je cite : « Aucun d’eux n’a le rayonnement qui assure l’éternité au moindre moujik de Dostoïevski, au plus modeste boutiquier de Balzac ».

     Aucune institution littéraire ne vous échappe. Vous appelez Les Goncourt, « la belle machine à sous ». Quant aux deux frères fondateurs, Jules et Edmond, auteurs selon vous du « journal de deux femmes de chambre », ce sont des voyeurs de trous de serrures, des antisémites larvés, des bourgeois rancis. Vous ne respectez rien ? En tout cas, pas les juges établis de notre littérature, pas nos modes littéraires. Mais, il faut le savoir, moins la justice est certaine, plus elle exige de respect. Et plus la mode est fragile, moins elle supporte l’ironie.

     Jean-François Revel vous cite à propos d’un auteur à grand succès : « En raison de la liberté des mœurs il faut aujourd’hui encore plus de style qu’hier pour troubler quiconque par le tableau de la sexualité. Combien de triomphes médiatiques fondés sur le lourd inventaire de morceaux de viande aux modes d’emploi limités ». Naguère les éditeurs parisiens semblaient courir après les jeunes filles de bonne famille qui écriraient des récits particulièrement salaces de leurs nombreuses expériences érotiques. Le grand air du catalogue, mais sans la musique de Mozart. Il est de plus en plus difficile de choquer. Il faut ajouter au sexe le sexe trop précoce, il faut la pédophilie, il faut la violence. Il faut le nombre, les cris, le sang.

     L’inceste est une très vieille recette littéraire. Mais n’est pas Sophocle qui veut. Ni Pierre Choderlos de Laclos, général d’artillerie, ni Donatien Alphonse comte de Sade dit le marquis. Si vous le rappelez, on vous accuse d’esprit jaloux ou pire, réactionnaire. Vous seriez contre tout ce qui est moderne. Non. Vous êtes contre toutes les formes de censure. La liberté de la pensée commence par celle d’écrire sur la pensée. La sanction d’un mauvais livre n’est pas de le détruire, mais d’écrire un autre livre meilleur. Les opinions partisanes sont aussi des opinions. La prise à partie est une façon de prendre parti. Vous avez le droit de dire d’un de nos contemporains qu’il est « l’écrivain français le plus ennuyeux et artificiel depuis Casimir Delavigne ». Même si cela ne plaît pas à tous et d’abord à l’intéressé. Vous avez le droit d’écrire du Nobel de Claude Simon que « c’est avec Green Peace le coup le plus grave au prestige de la France », même si vous n’êtes pas nombreux à partager une condamnation, de Green Peace, aussi sévère. Chaque fois vous vous faites de nouveaux ennemis. Il est vrai qu’il est difficile de ne se faire que des amis quand on écrit à propos des journalistes d’un grand quotidien de gauche, je cite : « Parce qu’ils sont mal payés, ils croient qu’ils ont toujours vingt ans ».

     Attention. Jamais vous ne vous en êtes pris à des débutants ou des auteurs à petit tirage. Comme vous le dites : c’est retirer le fauteuil d’un important qui va s’asseoir qui est plaisant et sans doute salutaire. Vos critiques, plus souvent qu’être des attaques, sont des défenses d’auteurs injustement oubliés, d’étrangers qui ne sont pas mis à leur vrai niveau, ou simplement de grand noms qui sont tombés dans ce vide littéraire qui suit une disparition. La liste de vos « coups de cœur » est bien plus longue que celle de vos coups d’épée. Vialatte, bien sûr, mais aussi Anatole France. Cioran, forcément, mais aussi Jean-Paul Sartre. Borges, c’est évident, mais aussi un irlandais méconnu, des auteurs de la série noire qu’on range abusivement dans une sorte de sous-littérature alors qu’ils valent dix fois le dernier roman parisien...

     Vous n’aimez peut être pas plus que le mélange des activités, la référence à un art pour parler d’un autre. Pour vous, ce serait facilité de plume que d’évoquer la palette tonale d’un roman ou de parler de bavardage à propos d’un tableau. Non, la littérature n’emprunte pas. Ni à la peinture, ni à la musique. Et ne prête pas non plus. Je ne ferai donc pas l’erreur de chercher ailleurs que dans les lettres le commentaire de vos lettres. Mais je dois quand même noter que plus loin que la chronique hebdomadaire, plus profondément que l’ironie jubilatoire, plus fortement que ce qui peut paraître parfois caricature, vous appartenez à un grand genre littéraire qui est l’une de nos traditions : le portrait. D’ailleurs, vous avez vous même à plusieurs reprises utilisé des références qui relèvent de la galerie de tableaux autant que des anthologies. Pour évoquer la comtesse de Boigne, l’une de vos admirations « qui tous les jours de sa vie sortit à cinq heures » pour décrire « la fin d’un monde mieux expliquée par le potin que par la prophétie » et dont les portraits de grands de cette terre, rois et empereurs, sont d’une ironie féroce, Louis XVI par le jeu des mariages en sous-off bavarois bonasse ou son frère Charles X vieux libertin vérolé une main sur un sein, l’autre sur un crucifix, vous dites « c’est du Goya. Du Goya à l’aquarelle, mais du Goya quand même ». on a le droit de penser que la technique de l’eau forte vous est plus familière que celle du lavis. Mais pour en revenir tout de suite aux mots, rappelons que le mot style, le style est de la même famille et du même radical que stylet, poignard très effilé.

     L’art du portrait, sans exclure un trait accusé, suppose une capacité de se mettre à la place de l’autre qu’on peut aussi appeler une tendresse immense. Un homme qui cherche à fixer l’image d’un homme, dans son décor, son vêtement, ses gestes, ses objets familiers, ses attitudes et peut être ses pensées, ne peut être l’ennemi des hommes. Il n’y a pas que les modèles qui posent, les écrivains aussi, peut être encore plus que les autres. L’art du portrait est d’aller au delà de la pose, en quelque sorte derrière la toile. En vous lisant, que vous parliez de Retz, de Saint-Simon, de Michel Leiris, de Proust, d’Audiberti, de Marcel Aymé, de Raymond Chandler, d’Oscar Wilde, de Nathalie Sarraute, tous ceux que vous aimez, ce sont les portraits que vous signez qu’il faut admirer. La chance incroyable de toucher juste, parfois miraculeuse. Dire que « Drieu la Rochelle n’a embrassé les passions politiques comme une femme, que du bout des lèvres » n’est pas du premier crayon venu. Ou décrire Paulhan en chouette parce que l’ombre lui convient comme à l’oiseau de Minerve. Dire de Cocteau, et c’est un éloge « sa minceur lui a permis de sauter dans tous les trains en marche et de voyager partout en surnombre ». ce croquis « de chic » disaient autrefois les rapins, d’une plume au trait si sûr, peut être admettrez vous qu’il vaut bien un dessin de Cocteau ?

     Pour Stephan Zweig, que vous remettez à sa juste place « avec cette merveilleuse bourgeoisie juive d’Europe centrale dont on ne finit pas de compter ce qu’elle a donné au siècle dans tous les domaines de l’art », le titre de votre chronique est « la sourde rumeur de la passion ». C’est si j’ose dire l’oreille qui parle. Pour Cioran, encore l’oreille : « comme dans le mouvement d’horlogerie que les spécialistes appellent de Paris, un son imputable à une proportion indéterminée d’airain dans le timbre, une matité où se distingue un aigu ». Pour Flaubert « si riche est le festin », c’est le goût. Pour Sartre que vous voulez lui aussi remettre à sa juste place, non pas en politique mais en littérature, parmi les premiers, « il a mis son génie dans les tourments de l’intellectuel incapable de devenir un artiste ». C’est le cœur. Et pour tant d’autres.

     Vous contestez le rôle au devant de la scène que prennent les auteurs par rapport à leurs œuvres, vous avez raison. Ne rien savoir sur Shakespeare ne retire rien à Roméo et Juliette ou à La Tempête. La carrière de courtisan appointé de Racine n’ajoute rien à Andromaque ou Phèdre. Vous aimez les créations littéraires, vous en faites profession. Mais des mystères de l’écriture, vous glissez quand même volontiers à ceux des écrivains. Commenter un roman, c’est toujours découvrir un romancier. L’Amérique en littérature, c’est les autres, c’est vous, c’est nous. Découvrir est aimer.

     Dans vos appréciations qu’elles soient sévères ou flatteuses revient souvent une question de fond qui touche comme tout art à la vie. À propos du général de Gaulle, dont vous dites très justement qu’il faut le comprendre d’abord comme un écrivain, mais aussi de Malraux et de tant d’autres. Cette question, qui est véritablement propre à la France m’a longtemps poursuivi et je me permets de la formuler à ma façon puisque vous l’évoquez. Pourquoi nos plus grands écrivains rêvent-ils de rester comme des hommes d’action et de pouvoir : en un mot d’être ministres ? Et pourquoi nos grands hommes d’action, politiques ou autres, rêvent-ils de rester comme des écrivains ?

     Monluc nous est connu par le récit de sa vie plus que par sa vie et le siège de Sienne. Retz rate tous ses complots mais écrit un chef-d’œuvre, ses Mémoires. Saint-Simon qui avait de grands espoirs de carrière, de même. La catégorie socio-professionnelle des officiers qui s’ennuient en garnison est l’une des plus fournies de notre littérature : Descartes, Vauvenargues, Laclos, et jusqu’à Chateaubriand qui fut sous-lieutenant. Mais le premier et le plus célèbre, c’est Napoléon lui-même qui n’écrivit pas seulement Le Souper de Beaucaire, pièce politique de circonstance, et un roman larmoyant Clisson et Eugénie, mais aussi des nouvelles impressionnantes dont Le Masque prophète, portrait d’un grand chef de guerre dont le regard d’aigle saisissait la victoire et l’avenir, qui porte un masque pour cacher à ses troupes qu’il devient aveugle... Oui, auteur : Napoléon Bonaparte. À vingt-cinq ans.

     Comme Jean-Jacques Rousseau, il a commencé par concourir pour un prix d’Académie, celle de Lyon, qui a donné pour sujet de dissertation « Quelles vérités et quels sentiments importe-t-il le plus d’inculquer aux hommes pour leur bonheur ? ». Sans succès. Mais il a dicté ensuite tant de bulletins de victoire, tant de messages au peuple, tant d’adresse à ses soldats. Napoléon est sans doute l’écrivain de théâtre dont le plus de formules, face au public, sont passées à l’histoire comme de véritables mots d’auteur : « À la guerre comme en amour il faut se voir de près ».

     À Sainte Hélène, quand on lui demande où il place sa gloire, il ne cite aucune bataille ou conquête, mais un texte qu’il a inspiré et même écrit en partie : le code civil. Quel est le grand auteur français qui s’est écrié : « être Napoléon ou rien ? ». Tout le XIXe siècle, et jusqu’à aujourd’hui, répèteront « être Napoléon ou Chateaubriand, ou rien ». Écrire ou agir. Le culte de l’empereur a fait de nos grands hommes des princes de Danemark ; et du Paris littéraire, une sorte d’Elseneur sur Seine.

     Qui se souvient que Clemenceau, « le père la Victoire », n’a pas seulement écrit des lettres d’amour bouleversantes « Je vous tiendrai la main pour vous aider à vivre. Vous me tiendrez la main pour m’aider à mourir », mais aussi un opéra, Le Voile du rêve ? Quand de Gaulle, qui a signé trois livres avant le texte de l’appel du 18 juin, monument littéraire, a quitté le pouvoir et rédige ses mémoires, il veut, il l’a dit à ses proches « laisser une œuvre ». Stendhal, oui notre Stendhal, se fera graver des cartes de visite :

     Monsieur de Stendhal
     Ancien officier de cavalerie

     et notera en substance que « Waterloo, c’est trop dommage. Six mois de plus et j’aurais été nommé au Mans préfet de la Sarthe ». Le poète le plus emblématique du romantisme, l’auteur du Lac, Lamartine est un candidat malheureux à la Présidence de la république au suffrage universel direct avec 11 235 voix quand le prince Louis Napoléon en a 5 658 755 et le général Cavaignac 1 448 007. Quant à Victor Hugo, avant que la barbe blanche et l’exil en fasse la haute figure tutélaire de la République et du peuple, il n’aura pas cessé depuis Louis-Philippe d’intriguer pour participer au pouvoir. Après la Commune, il rêve encore d’être élu par acclamation Président à la place de Thiers. Malraux, qui se veut le personnage de ses romans, souhaitait être Premier Ministre ou, au minimum, ministre de l’intérieur. Napoléon, vous dis-je. Cette fois, ce n’est pas la faute à Bastia, c’est la faute à Ajaccio.

     Qu’est ce qui pousse à écrire et qui pousse à agir, deux manifestations si différentes de la volonté d’être, l’une si personnelle, et intemporelle, l’autre si collective et engagée dans le siècle ? Qui choisir : les lecteurs ou les électeurs ? Je ne vais pas me permettre de paraphraser ni Saint Jean l’évangéliste ni Goethe. Au commencement était le verbe. Au commencement était l’action. Puis-je ajouter seulement, et tout bas, au commencement était la peur ? Peur de sortir du noir de la caverne pour affronter ce monde. Peur d’être né en doutant de son existence. Peur de ne rien laisser, d’être à court de preuves de sa propre vie. Et les auteurs s’inquiètent : que valent pour ce témoignage essentiel les seules créations de l’esprit que sont la littérature ? Et les hommes d’action s’inquiètent : que restera-t-il de l’agitation des jours que constitue le pouvoir ? Il faut deux vies, deux vies au moins, pour essayer de croire qu’on en a une. La plume et l’épée. Écrire et agir.

     Ce débat, Monsieur, si je l’ai évoqué ici, c’est que vous y faites incidemment souvent référence. Votre opinion est qu’il faut choisir : l’un après l’autre, soit, mais pas les deux en même temps. Oui aux grands mémorialistes et grands chroniqueurs. Oui à de Gaulle et oui aux grands romanciers. Vous, vous avez choisi la littérature qui vous a fait ce que vous êtes. C’est la littérature qui vous a conduit ici. On vous a dit sévère avec les autres ? Votre œuvre est parfois bien sévère avec vous même. De Cioran que vous aimez tant, vous dites dans une phrase admirable : « Il est un tireur qui nous atteint parce qu’il ne se rate jamais. »

     La création littéraire est une œuvre de vie en soi. Ce n’est pas de votre faute si plusieurs des écrivains que vous aimez ne sont plus de ce monde. Grâce à vous, ils survivent, ils sont avec vous, ils sont présents ici. Ils ont vaincu le temps. Vous aimez la nuit, la solitude, le bruit de la pluie sur les toits de Paris, tout ce qui est intemporel. Vous aimez tout ce qui n’a pas d’âge, dont les chats. Vous n’êtes pas le seul en ce monde littéraire. Malraux, encore lui, en réponse à une interview assez banale sur les conditions de l’écriture, crayon ou encre, musique ou silence, avec café ou sans, Malraux expliquait : « Dès que je suis prêt à travailler, le chat saute du bureau et s’installe sur ma feuille blanche. Vous me demandez comment j’écris ? En fait, j’écris autour du chat. » Personne ne dérangera vos chats.

     Vous aimez vous battre ? Je vous l’ai dit en commençant, d’autres combats vous attendent. La plume et l’épée. Nous les mènerons ensemble. Vous savez que nous sommes un corps recruté par le cardinal de Richelieu il y a 367 ans, pour défendre notre langue et dirait-on aujourd’hui notre culture et notre civilisation. Un pour tous, tous pour un, est une belle devise qui est désormais la votre. Bienvenue, Monsieur le mousquetaire. Vous êtes ici en bonne compagnie.