Hommage prononcé à l’occasion du décès de M. Michel Debré

Le 26 septembre 1996

Jean BERNARD

HOMMAGE
à

M. Michel DEBRÉ[1]

PRONONCÉ PAR

M. Jean BERNARD
Directeur de l’Académie

séance du 26 septembre 1996

 

Messieurs,

Permettez-moi d’évoquer ma dernière rencontre avec Michel Debré. En juin. Je le trouvais dans le jardin de sa maison rue Jacob, entouré par les grandes ombres de ceux qui l’avaient précédé dans ce jardin : Eugène Delacroix, Remy de Gourmont. La maladie altérait ses mouvements, sa parole. Mais l’intelligence demeurait intacte, vive, comme en témoignait son sourire quand je rappelais tel de nos souvenirs communs.

En m’éloignant, un peu plus tard, de la rue Jacob, je songeais à l’alliance de vertus exceptionnelles qui le définissait.

D’abord l’amour de la patrie. « C’est une force, a-t-il écrit, que d’aimer les terres où vivent les âmes que l’on a charge d’administrer. » Cet amour de la patrie, cet amour sacré de la patrie qui inspire toute son œuvre, toute son action, trouve sa première raison, sa première force dans cette vallée de la Loire qu’il a si souvent célébrée dans ses livres. D’Amboise jusqu’à la Pointe Saint-Gildas, du vignoble rectiligne de Vouvray aux rives sauvages des étangs de Brière, cette vallée de la Loire où il a tant vécu et qu’il a quittée en nous quittant sur le plateau rocheux de Montlouis.

Ensuite, le courage, illustré par cette héroïque épopée cycliste qui, dans la France occupée, déchirée de 1944, le conduisit, voyageur sans bagage, affrontant sans cesse de grands dangers, de Tonneins dans le Lot-et-Garonne à Angers où il va prendre les fonctions de commissaire de la République.

La rigueur, la loyauté ont inspiré toute son action aux côtés du général de Gaulle. Comme lui, Michel Debré a su ne jamais s’identifier à autre chose qu’à l’intérêt de la France. Avec lui, il a fait en sorte que la voix de la France redevienne celle de la liberté.

Le lien entre la pensée et l’action se traduisait par une aspiration à précéder l’événement et, si possible, à le créer. Ainsi Michel Debré n’a cessé d’incarner le courage et l’espoir, l’honneur et la grandeur. Sa culture littéraire, historique était très forte : tel conseil, telle réflexion, tel discours venus du passé ont souvent confirmé ses craintes, fortifié son action. Des philosophes grecs à Montesquieu, de Montesquieu à Chateaubriand, Chateaubriand que l’on trouve si souvent près de Michel Debré.

Son œuvre d’écrivain est définie par la diversité de son expression, par son unité fondamentale. Diversité ! Sa pensée, son expression ont revêtu des formes très variées, du pamphlet aux mémoires. Unité de la pensée, du style très personnel, alliant le grandiose et le familier, la haute montagne et les douces vallées, son côté Eschyle, son côté Alceste et Philinte.

Michel Debré est certes un grand écrivain, mais il est avant tout un homme d’État. L’Académie, créée par un grand homme d’État, a accueilli au long des siècles des hommes d’État de haut rang. Michel Debré prend place parmi eux. Tantôt, écrivant la constitution de la Ve République, il donne à l’État son appareil, ses appareils, sa stabilité. Il a su à la fois sublimer la querelle de l’homme et accepter initialement le pragmatisme tant que l’essentiel n’est pas en jeu. Tantôt il agit, il gouverne. Sa volonté de commander est constamment accompagnée par une vue du destin, constamment animée par un double objet, l’honneur de la France, la diminution du malheur des hommes. Elle est constamment inspirée par Richelieu « comme le zèle que j’ai toujours eu pour l’avantage de la France a fait mes plus solides contentements ». C’est ainsi que Michel Debré est entré dans l’Histoire, l’Histoire « affaire, écrivait-il, de clairvoyance et de persévérance ».

 

 

[1] Mort le 2 août 1996 à Montlouis-sur-Loire.