Discours prononcé à l’occasion de la mort de M. Louis Pasteur Vallery-Radot

Le 15 octobre 1970

Maurice DRUON

DISCOURS

PRONONCÉ PAR

M. MAURICE DRUON
Directeur de l’Académie

à l’occasion de la mort de
M. LE PROFESSEUR

LOUIS PASTEUR VALLERY-RADOT[1]
de l’Académie française

Séance du 15 octobre 1970

 

Messieurs,

Voici notre Compagnie de nouveau et très précipitamment endeuillée.

Que Louis Pasteur Vallery-Radot, ce grand homme de science et de cœur qui était l’ardeur, la vivacité, l’élan, l’impulsivité mêmes, soit désormais immobile est une réalité qui parvient mal à s’imposer à notre pensée.

Pour ma part, je n’imaginais pas, lorsqu’il me fit l’honneur et l’amitié de me recevoir parmi vous, qu’un amer retour du sort m’amènerait à être celui qui doit donner voix, aujourd’hui, aux sentiments qui nous habitent tous.

Nous n’allons pas, entre nous qui le connaissions si bien, retracer sa vie, étrangement riche d’actions, d’œuvres et d’aventures, une vie qui commence sur les genoux de son grand-père Louis Pasteur, s’affirme au chevet de Claude Debussy, traverse avec courage et même témérité les champs de batailles de deux guerres, pousse ses rapides errances dans tous les secteurs de la planète et ses curiosités dans tous les domaines de l’art, partout attire les amitiés éclatantes : Oscar de Milosz, d’Annunzio, Henri de Régnier, Valéry, se partage entre vingt fonctions, recueille, mais toujours comme au pas de charge, les responsabilités et les honneurs, et vient se terminer, peut-on dire, parmi nous, devant le buste, ici, de son illustre aïeul.

Nous n’allons pas non plus décrire chaque sommet de l’étonnante carrière qui le conduisit de la salle d’hôpital au laboratoire, et de l’amphithéâtre de faculté au banc parlementaire, et de la mission d’ambassade à la magistrature garante de la Constitution. Disons seulement de ce grand médecin, de ce consultant universellement réputé, qui forma, qui marqua plusieurs générations de praticiens, dont tant d’éminents, disons seulement de lui que le temps que lui laissait le soulagement des souffrances humaines, il le consacra à la mémoire de son grand-père qui était son modèle, au service de la France qui était sa passion, à la musique qui était sa délectation, et à l’amitié qui était son art.

Cher Sioul, comme il lui plaisait que nous l’appelions... Il avait intitulé ses souvenirs « Mémoires d’un non-conformiste », et le mot surprenait, d’un homme qui appartenait à tant de jurys et de savantes sociétés, qui avait été fait docteur honoris causa de six universités étrangères, portait la grand-croix de la Légion d’Honneur et siégeait au Conseil de l’Ordre.

Et pourtant le terme était juste. Pasteur Vallery-Radot ne fut jamais conforme qu’à lui-même. Tout autre, obéissant aux mêmes impulsions immédiates, agissant sous le coup des mêmes enthousiasmes et des mêmes indignations se fût brisé dix fois en chemin. Rappelez-vous quand il disait : « C’est bon : je fonce !... » Voilà une expression qu’on n’entend pas fréquemment dans nos assemblées.

Si ces démarches emportées lui valurent quelques revers et quelques amertumes, toujours elles accrurent, car elles étaient toujours généreuses, l’estime que ses amis avaient pour lui.

Il avait été élu dans cette Compagnie il y a vingt-six ans, presque jour pour jour, et tenait l’honneur d’y avoir été admis, ce sont ses propres paroles, « pour le plus insigne que l’on puisse décerner à un fils de France ».

En notre nom personnel et au vôtre, M. René Clair et moi-même sommes allés accompagner notre ami jusqu’à Arbois, où il a fait halte dans la maison de Pasteur avant de reposer dans sa terre ancestrale, sa terre vraiment maternelle puisque toutes ses aïeules y dorment, sa terre fraternelle aussi puisque sa tombe est au milieu de celles de ses camarades de combat fusillés pendant la dernière guerre pour la liberté de leur patrie.

Il n’avait pas voulu de discours à son service funèbre, seulement les musiques qu’il préférait, comme si seule la musique, après tant de tumulte, pouvait préluder au silence.

 

[1] Mort le 9 octobre 1970, à Paris.