Réponse au discours de réception du cardinal Grente

Le 25 novembre 1937

Auguste-Armand de LA FORCE

Réponse au discours de M. Grente

 

 

Monsieur,

Il est un de nos confrères qui se fût estimé heureux de vous recevoir aujourd’hui. Je l’aperçois derrière vous, non pas tel qu’il excitait l’enthousiasme de ses contemporains dans l’église des religieuses de Sainte-Marie-de-Chaillot, à Notre-Dame et à Saint-Denis, mais tel que le ciseau de Pajou l’a fixé dans le marbre pour l’éternité : « Monsieur, vous dirait l’Aigle de Meaux, vous paraissez en cette Compagnie comme à la tête de votre diocèse. Que vous lisiez votre remerciement ou bien que, du haut de la chaire, vous laissiez tomber la parole de Dieu et que vous fortifiiez notre foi ; que vous marchiez à travers les siècles et ressuscitiez les grands hommes ou que vous écriviez quelque lettre pastorale pour vos prêtres et vos fidèles, dans le silence de votre évêché du Mans, vieux logis de la Renaissance qui reçut la visite du roi Louis XIII, c’est toujours le même homme et votre éloquence vous suit partout. » Si Bossuet vous eût loué de la sorte, ce n’eût été que justice.

Je ne prétends pas que vous fussiez éloquent dès l’âge le plus tendre, à Percy, chez votre père M. Émile Grente, conseiller général de la Manche, ou sur les genoux de votre mère, qui vous enseignait cette charité dont son cœur était plein. Mais au collège de Saint-Lô, — vous étiez alors dans votre seizième année, — vos maîtres eurent bien vite discerné votre mérite. Élève du grand séminaire de Coutances, vous êtes ordonné prêtre en 1895, vous nouez, à l’Institut catholique, une amitié solide avec un futur cardinal, qui est aujourd’hui votre parrain.

À la Sorbonne, vous devenez le disciple et l’ami de notre regretté Émile Faguet. Notre confrère ne donnait son estime qu’à bon escient. Lui aussi, il sut vous distinguer. Quand il gravissait l’escalier qui menait à sa chambre de la rue Monge, il trouvait, assis sur les dernières marches ou debout contre sa porte, les étudiants qui l’attendaient. S’il vous apercevait parmi eux, il ne manquait pas de vous accorder un tour de faveur : « Venez, l’Abbé », disait-il et, joyeusement, il entraînait l’élu. Votre curiosité intelligente et docile l’enchantait. Et vous goûtiez l’entretien de cet esprit si vaste et si ingénieux, qui prenait plaisir à guider votre jeunesse, pressentait peut-être votre avenir et, en vous servant, servait les lettres françaises, qu’il aimait avec passion.

Vingt ans plus tard, il n’avait point oublié les doctes et cordiaux entretiens de la rue Monge. Il vous écrivait en 1914 : « Mon cher ami, je suis très souffrant. Je suis profondément touché de la persistance de votre amitié. Je vous remercie de vos prières et vous prie instamment de les continuer. Je vous serre la main bien affectueusement. » Lettre plus affectueuse encore en 1915 : « Je vous remercie de vos bons souhaits et de vos excellents conseils. Ma santé est bien mauvaise et j’ai grand besoin de consolation. Mes sentiments chrétiens se réveillent aux approches de la mort et je suis très près de me jeter dans les bras de la religion consolante et réconfortante. Une lettre comme la vôtre ne sera pas pour peu dans mon retour. Je vous remercie encore. Vous parlez le langage de votre bon cœur et il va au mien. J’espère que Dieu me pardonnera mes fautes, qui sont très nombreuses et bien graves. Je me confie en lui. Je vous serre sur mon cœur sous son regard, mon cher et bienfaisant ami. » Quoi de plus émouvant, la profonde humilité du maître ou le long dévouement du disciple ?

C’est devant Émile Faguet que vous aviez soutenu en Sorbonne, le 30 mai 1903, votre thèse de doctorat. Votre maître et juge avait constaté « l’étendue, la sûreté de vos investigations scientifiques », il avait loué « le portrait si vrai et si ressemblant que vous présentiez en pleine lumière, l’agrément et la vie de votre style ».

Ce vivant portrait, c’est celui d’un fils de la Normandie, le poète Jean Bertaut : « Les cadets de Gascogne, dites-vous au seuil de votre thèse, sont passés maîtres dans l’éloge de leurs gloires locales ; comment résister à la tentation d’imiter leur exemple ? » Ce n’est pas moi, Monsieur, qui vous reprocherai de prendre les Gascons pour modèles : j’ai trop de raisons d’estimer et d’aimer la Gascogne, d’où tous les miens sont sortis. J’observerai seulement que Bertaut peut se féliciter de vous avoir eu pour historien. Vous l’avez séparé du poète Desportes, dont un vers fameux de Boileau l’avait fait le frère siamois. Vous avez su choisir et citer des strophes ravissantes de ce Bertaut qui fit quinze ou seize mille vers, dont quatre seulement, — apparent rari nantes, — surnagent dans nos mémoires :

Félicité passée
Qui ne peut revenir,
Tourment de ma pensée,
Que n’ai-je, en te perdant, perdu le souvenir !

 

Quatre vers sur seize mille ! C’est la bonne fortune de l’abbé Prévost, dont un seul petit livre survit au désastre d’une œuvre immense. Mais je me garderai de comparer au pieux évêque de Séez l’auteur de Manon Lescaut, l’abbé trop spirituel qui, voulant persuader au prince de Conti de le prendre pour aumônier et s’étant attiré cette objection : « Je ne vais jamais à la messe », riposta : « Précisément, Monseigneur, moi je ne la dis jamais. »

Vous avez su rendre la vie à Bertaut. Le voici brillant précepteur du comte de Torigni, puis du comte d’Auvergne ; le voici bibliothécaire de Henri III ; le voici recevant de la main de Henri IV l’abbaye d’Aunay près de Bayeux, l’abbaye de Bourgueil près de Chinon. Le voici enfin recevant les ordres sacrés. Il est ordonné prêtre en 1607 et presque aussitôt élevé à l’évêché de Séez, — un siège que certain dicton latin rangeait au nombre des siège rangeait évêchés crottés, qui ressemblaient moins à des villes qu’à de gros villages :

Beati qui habitant urbges
Exceptis Luçon, Séez et Maillezais.

Quand MM. de Luçon, de Séez et de Maillezais étaient présents, on recourait à une variante :

Beati qui habitant urbes
Exceptis Saint-Papoul, Alet et Lombez.

Bertaut se contenta de la belle place où Dieu l’avait mis. Il se montra moins difficile que, cent ans plus tard, le cardinal de Fleury, qui signait parfois Hercule, évêque de Fréjus par l’indignation divine. Selon l’usage du temps, Bertaut était entré dans sa ville avec un costume qui n’avait rien d’ecclésiastique. Botté, éperonné, ceint de l’épée, vêtu comme un gentilhomme, il n’avait pris la soutane, le camail et le rochet qu’au moment de « recevoir les hommages de ses chanoines et de ses prêtres ». Vous le félicitez de son zèle à prêcher « dans les diverses églises de son diocèse et surtout en sa cathédrale ». Il « y parlait simplement et naïvement, — ce sont ses propres expressions, — et sans aucun fard d’éloquence, interprétant les saintes paroles qui nous ont été proposées en l’Évangile ». Ce qui ne l’empêchait point d’user de tous les artifices de l’éloquence, s’il composait une oraison funèbre. Dans celle de Henri IV, il interpelle ainsi le meurtrier qui vient de conduire la France « sur le bord du précipice » : « Ceux qui pensaient voir comme toi sa gloire à jamais dans le tombeau, ne la verront pour cette heure qu’un peu de temps au lit, comme malade de douleur après la mort de son père. Mais, après ce deuil, elle reprendra sa beauté première et sa force, et régnera comme devant, ou triomphante en guerre ou fleuve en paix, et semblable à ces triangles solides qui, de quelque part qu’on les bouleverse, toujours se trouvent debout avec leurs faces droites et leur pointe en haut. »

À cette éloquence, vous préférez de beaucoup, Monsieur, les vers de l’orateur. Il en est dont la mélancolie ne vous paraît pas fort différente de celle de Lamartine. Bertaut gémit :

Mes plaisirs se sont envolés,
Cédant au malheur qui m’outrage
Mes beaux jours se sont écoulés
Comme l’eau qu’enfante un orage.

Et Lamartine chante d’un ton plaintif :

Sur cette terre infortunée,
Où tous les yeux versent des pleurs,
Toujours de cyprès couronnée,
La lyre ne nous fut donnée
Que pour endormir nos douleurs.

Lamartine s’est-il souvenu de Bertaut ? Vous écartez cette pensée coupable. Il n’en est pas moins vrai, comme me le faisait remarquer naguère un de nos plus délicats poètes, que c’est dans les œuvres de notre confrère Thomas que Lamartine trouva l’immortelle apostrophe : « O temps, suspends ton vol ! » Car à toutes les époques et sous tous les régimes, le génie a pris son bien où il le trouvait :

... Vous leur fîtes, Seigneur,

En les volant, beaucoup d’honneur.

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*   *

Après votre thèse si brillamment soutenue en Sorbonne, quelle joie dans le collège de Mortain ! Les élèves de rhétorique appréciaient fort leur professeur, la manière si claire, si vivante dont vous leur enseigniez l’art de la composition et du style. Nous pouvons la goûter à notre tour : de vos leçons, vous avez fait un livre, sur lequel se sont penchés plus de cinquante mille écoliers. Quand vous définissiez l’éloquence académique, vos élèves soupçonnaient-ils que vous auriez un jour à mettre en pratique vos théories ? « L’éloquence académique, leur disiez-vous, est la plus solennelle. Elle exige une tenue de composition et de style étudiée. Son but unique est de plaire, mais si elle charme les esprits délicats, elle a, d’ordinaire, moins de succès auprès de la foule. L’apparat lui donne facilement un air froid et guindé. » Peut-être commentiez-vous pour vos rhétoriciens la lettre si plaisante où Voltaire met dans la bouche d’un « bel esprit d’Angleterre » cette critique des discours que lisaient les académiciens de son temps : « Le récipiendaire ayant assuré que son prédécesseur était un grand homme, que le cardinal de Richelieu était un très grand homme, le chancelier Séguier un assez grand homme, le directeur lui répond la même chose, et ajoute que le récipiendaire pourrait bien aussi être une espèce de grand homme, et que pour lui, directeur, il n’en quitte pas sa part. » Heureusement depuis plus d’un siècle, nous avons changé tout cela et vous venez, Monsieur, d’éviter tous les écueils du genre.

Vous ne deviez pas rester longtemps à Mortain. Dès 1903, vous étiez nommé directeur du collège diocésain de Saint-Lô, dont vous aviez été l’élève en 1887. Puis l’Institut catholique et l’Université de Lille vous réclament : « Nous n’avions, vous confiera plus tard l’éminentissime recteur assis aujourd’hui à votre droite, d’autre désir que de vous voir devenir le premier de nos collaborateurs. Par votre passage au collège de Saint-Lô, nous savions ce que vous valiez comme prêtre et comme éducateur. » Mais le Ciel ne veut pas que vous quittiez encore un poste où vous accomplissez des merveilles.

C’est au collège des Oratoriens de Saint-Lô que vous écrivez la vie de Michel Ghisilieri., plus connu sous le nom de Pie V. J’en ai contemplé longuement les grandes fresques éclatantes, j’ai lu et relu ces pages où vous dépeignez l’état de l’Europe en 1569,

Admirable matière à mettre en vers... d’Hugo.

Quel monologue historique et grandiose en eût tiré l’auteur de Ray Blas ! Sans doute eût-il déclaré comme dans les Burgraves :

Et pas de chef, grand Dieu ! devant un tel destin !

Puis, se ravisant, il se fût répondu : « Un seul, Ghisilieri. » Un seul et celui-là était un saint :

Deux mains jointes font plus d’ouvrage sur la terre
Que tout le roulement des machines de guerre.

L’histoire de saint Pie V avait à peine vu le jour et déjà vous publiiez la vie d’une sainte de Normandie, Marie-Madeleine Postel, « une religieuse fondatrice de congrégation », qui fut soutenue jadis, au milieu de difficultés presque insurmontables, par un de nos confrères normands de l’Académie des Inscriptions et Belles-Lettres, le prince Le Brun, duc de Plaisance. Votre récit plein d’élégance et de grâce atteste la souplesse de votre plume.

Lorsque parut la biographie de la sainte, vous ne dirigiez plus le collège de Saint-Lô, mais celui de Cherbourg. C’est à Cherbourg que la main du pape Benoît XV vint vous prendre pour vous placer sur le siège épiscopal du Mans et, le jour de votre sacre, la grande voix de Mgr Baudrillart retentit à Cherbourg sous les voûtes de Notre-Dame du Vœu : « Qu’elle est éclatante de beauté, s’écriait l’orateur, la devise du nouveau pontife ! Dux, utinam exemplar ! leur chef, Dieu le veuille, leur exemple ! » Depuis vingt années, Monsieur, vos diocésains estiment que vous êtes l’un et l’autre.

Il y a vingt ans, vos conférences, vos sermons, vos panégyriques suffisaient pour remplir tout un volume. Depuis lors cinq autres volumes sont venus s’ajouter au premier. Si j’avais à dire ceux de vos discours qui m’ont le plus ému ou charmé, je nommerais le panégyrique de sainte Jeanne d’Arc, où vous apostrophez ainsi la ville de Reims : « Cité du baptême, cité du sacre, terre sacrée où la France contracta une alliance solennelle avec Dieu, déploie, ô Reims, sur tes murailles, des tapisseries fastueuses, orne tes balcons et auvents, jonche tes rues de fleurs, annonce, par les trompettes d’argent de tes hérauts d’armes, la féerie du triomphe et sans attendre la venue du cortège, gravis tes remparts, pour apercevoir, dans l’étincellement des armures et la neige des panaches, claquer au vent de la victoire l’étendard de la Pucelle. »

Je nommerais aussi vos Dix siècles de Cotentin normand, où l’on trouve cette magnifique période à la gloire de votre pays : « Nous en connaissons les alertes et les contrastes : plages, dont les sables ou les galets panachent la frange ; falaises et criques, qui voient la mer déferler sur les rocs, près de futaies séculaires, bruyantes à l’unisson sous les rafales de l’ouragan, ou qui l’entendent alterner, avec les moissons proches, les frelons nuancés de la brise ; Hague, sévère et rude comme les côtes du Finistère, et parfois hélas ! réplique douloureuse de la Baie des Trépassés, lande de Lessay mélancolique ; fertilité du Val de Saire et des pâturages de Carentan ; magnificence des pommiers et des récoltes ; abondance de ruisselets et de rivières paisibles, parmi les herbes drues ; amples panoramas, qui succèdent aux vallées où la vie s’écoule obscurément facile ; promontoires de Granville et, d’Avranches, hauteurs boisées et cascades de Mortain... bref, sous les combinaisons du soleil et de l’ombre, tous les reflets de l’or et de l’émeraude, et pour terme, symbole des rayonnements d’une chape de brocart multicolore, la merveille du Mont au péril des flots. »

Je nommerais encore votre Bossuet à Metz, où vous dites si justement : « On subit la fougue de sa dialectique, et l’on craindrait même quelque éblouissement de tant d’images et de périodes, si Bossuet ne montrait vite aux auditeurs qu’il avait pris du large pour mieux s’élancer sur leurs défauts, ou enfoncer plus avant la vérité. »

Un autre de vos discours, Monsieur, m’a d’autant plus charmé, que je l’ai entendu avant de le lire ; c’est celui que vous avez prononcé, il y a quelques années, dans l’église de Richelieu, — Richelieu, le Versailles du grand ministre de Louis XIII. Vous y avez célébré l’homme d’État, homme d’Église. Parmi toutes les louanges, — si méritées, — que lui prodigue votre éloquence, il en est une qui lui eût été particulièrement sensible : « Sa crosse, dites-vous, est bien en main. » Le cardinal eût goûté cette phrase brève, lui qui, voulant contraindre Anne de Murviel, évêque de Montauban, à accepter un coadjuteur, lui mandait avec une verdeur hautaine : « Ainsi qu’une mitre ne peut suffire pour deux têtes, aussi a-t-elle nécessairement besoin d’en avoir une. »

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*   *

Richelieu aimait à employer évêques et religieux à des fins politiques ou militaires. De son temps l’on fredonnait :

Un archevêque est amiral ;
Un gros évêque est caporal ;
Un prélat préside aux frontières ;
Un autre a des troupes guerrières ;
Un capucin pense aux combats ;
Un cardinal a des soldats.

Et au siècle dernier, Michelet, montrant le cardinal en habit de guerre, devant La Rochelle, glissait dans sa prose rythmée cet alexandrin quelque peu cavalier, mais si évocateur : « Sur la ligne à cheval voltigeaient les évêques. » Richelieu vous eût confié quelque mission utile au prestige de la France dans les pays étrangers. C’est ce que fit, en 1919, le gouvernement de M. Clemenceau. Voulant envoyer un ambassadeur religieux aux chrétiens du Levant, il ne pouvait choisir qu’un prince de l’Église. Le cardinal Dubois, alors archevêque de Rouen, fut désigné, mais vous fûtes invité à vous embarquer avec lui.

Vous avez écrit un Fléchier à la fois plaisant et sévère, où vous nous instruisez en souriant, car vous savez bien qu’à cette question : « Vous connaissez Fléchier ? » nous aurions tous, — ou presque tous, — répondu : « Oui, mais faites comme si je ne le connaissais pas. » Lorsque vous ranimez Fléchier et démontez pour vos lecteurs les ressorts de son éloquence, vous constatez les différences profondes qui séparent ses sermons et ses oraisons funèbres de ses Mémoires sur les Grands jours d’Auvergne. Il y a loin de ce que l’abbé Bremond appelait « une admirable musique d’église » au rire amusé des Grands jours, — si loin, que certains critiques refusent de voir en l’évêque de Nîmes l’auteur de ces Mémoires persifleurs. Il y a loin aussi de vos discours au récit que vous avez publié de votre Mission dans le Levant, mais si l’on disait que ce livre n’est point de vous, l’on ne convaincrait personne : vos lecteurs y reconnaîtraient vite votre don d’observation, votre fine ironie, votre sourire souvent malicieux. À Jérusalem, vous goûtez auprès des notabilités le plaisir de la comédie humaine et vous nous assurez que « l’insignifiance des propos se relevait par la cérémonie du ton ». Vous traversez le quartier musulman et vous constatez qu’« affluent, en des ruelles exiguës et sombres, toute sorte de gens et d’odeurs ». Et vous songez : « S’il lui avait fallu engager malaisément sa voiture parmi cette foule, Chateaubriand n’eût pas écrit d’un ton tragique : Pour tout bruit dans la cité déicide, on entend par intervalles le galop de la cavale du désert ; c’est le janissaire qui apporte la tête du bédouin, ou qui va piller le fellah. Ni les grelots de nos cavales, ni les claquements de fouet et les aménités professionnelles de nos conducteurs ne parvenaient à émouvoir la nonchalance des groupes qui obstruaient le passage : les embarras de Paris, sans le bâton des agents et la vivacité des Parisiens. » Quel plaisir de constater que Victor Hugo a commis une bévue en écrivant dans la Légende des siècles :

Or, de Jérusalem, où Salomon mit l’arche,
Pour gagner Béthanie il faut trois jours de marche !

Et vous triomphez, car le trajet a duré pour vous dix minutes... en automobile.

Ce n’est pas dans la barque de Simon-Pierre, mais dans un bateau à pétrole que vous fendez les eaux du lac de Tibériade. Vous songez à la tempête qui épouvanta les apôtres, et tandis que vous revivez cette scène de l’Évangile, le curé de Nazareth vous raconte qu’un jour, au milieu d’une bourrasque subite, une dame affolée, ne sachant plus que promettre, s’écria : « Je fais vœu de quitter mon mari. » Alors, dit-il, l’ouragan redoubla.

On vous avait appris le proverbe : « La reine des puces habite Tibériade. » Vous aviez oublié ce détail le soir, tandis qu’avec vos compagnons vous « longiez les bords du lac, sur la route de Magdala ». Mais quelle nuit cruelle, lorsque vous fûtes rentré au couvent des Franciscains de Tibériade ! « Dans nos cellules monastiques, avez-vous écrit, où la plupart se reposèrent habillés, par peur, sans doute, de la reine et de sa cour, à peine la chandelle de suif éteinte, le susurrement musical des moustiques commença la sérénade. » Connaissiez-vous déjà, Monsieur, les vers trop suggestifs où l’auteur des Familiers interprète suggestifs le chant de ces insupportables visiteurs :

Hommes, quand dans vos lits vous vous êtes couchés,
Et que déjà sur vous le repos pend ses grappes,
Ce que vous appelez draps, nous l’appelons nappes,
Et nous nous attablons au dormeur ? ...

Vous avez, au cours de votre mission, recueilli bien des témoignages de l’amour des chrétiens du Levant pour la France. C’est l’adresse du Comité catholique de Jérusalem : « Ah ! la France, notre seconde patrie après la Syrie, que Dieu la rende aussi puissante que l’âme et le sacrifice de ses enfants a été sublime ! » Ce sont les petites élèves des Sœurs franciscaines de Marie, à qui le cardinal Dubois demande : « Que faut-il dire en France ?» et qui répondent : « Dites merci. » C’est un séminariste de la maison des Bénédictins français, au mont Saint-Benoît, qui lit cette harangue : « La France ! plus que jamais vers elle se portent les vœux ardents de nos cœurs. Son pain nous fait vivre, sa langue, nous la parlons et nous l’enseignerons, son amour, nous l’inspirerons autour de nous, à l’exemple de nos aînés, déjà prêtres et maîtres d’école dans nos paroisses de Syrie et de Mésopotamie. » Vous citez enfin, Monsieur, ce passage d’un discours lu devant la mission par un élève de l’école  de Caïffa : « Cette école et bien d’autres, répandues dans le diocèse de Galilée, ne sont-elles pas l’œuvre de la piété et de la charité française ? Ici, dès le bas-âge, on nous enseigne à balbutier le doux nom de la France... Nous sommes fiers de parler la langue de Racine et de Boileau. »

Durant ce pèlerinage à travers la Palestine, la mission du cardinal Dubois put s’enorgueillir de vous compter parmi ses membres et se féliciter du choix qui vous avait désigné, car votre éloquence y fut ce qu’elle est toujours. On peut vous décerner la louange que Turenne décernait à Condé : « Monsieur le Prince fit à son ordinaire. » Il n’est personne qui n’éprouvât la tentation de vous applaudir, — mais on n’applaudit pas la parole de Dieu, — lorsque l’on vous entendit, le 26 décembre 1919, dans la basilique des Dominicains à Jérusalem, célébrer les religieuses, « en qui la France est apparue aux populations du Levant, non seulement puissante et respectable, mais bienfaisante et digne d’être aimée », ces religieuses saintes et douces qui « ont imposé à des musulmans le respect de la femme et mérité qu’en 1910, les pauvres de Jérusalem envoyassent près de quatre mille francs aux pauvres de Paris, victimes de l’inondation ».

En Égypte vous rencontrez partout la culture française. Invité à une séance de l’Académie de Sainte-Catherine au Caire, vous êtes salué en vers français par un académicien de ce collège.

Française également de culture et d’affection, la Syrie. À Beyrouth, vous êtes reçu par le général Gouraud, ce grand serviteur de la France, à qui Clemenceau a dit : « Il y a deux catégories d’hommes : ceux qui pensent à eux avant de penser à la patrie et puis les autres. Je sais que vous êtes de ces derniers. Allez. »

À Constantinople, vous montez dans la chaire de l’église du Saint-Esprit. Vous évoquez avec splendeur les gloires de la ville aux sept collines et vous rappelez ce que l’univers entier reconnaît : « La France loyale n’abandonne jamais ses amis ; la France obligeante ne cherche ni à les contraindre ni à en profiter ; la France civilisatrice et affable met sa gloire à instruire et à plaire. »

À Bucarest, dans la chaire de la cathédrale latine, vous proclamez les merveilleuses affinités de la France et de la Roumanie.

À Belgrade, vous vous recueillez dans le souvenir de ce que le roi Pierre fit pour la France durant la guerre de 1914 ; vous écoutez le cardinal Dubois commenter, devant un auditoire frémissant, les paroles du souverain qui, un jour dans la tranchée, « prit le fusil des mains défaillantes d’un soldat, en prononçant avec douceur : Repose-toi, mon petit. Ton roi va se battre à ta place pour la patrie. » Paroles dignes de Plutarque, non moins émouvantes que cette déclaration faite par le prince Alexandre au représentant de la France : « Prévenez votre gouvernement que je suis prêt à retirer mes troupes du front serbe et à passer avec elles en France pour y mourir avec vos armées. » Pareille grandeur d’âme évoque celle du roi Albert : l’héroïsme de la Belgique se retrouvait aux extrémités de l’Europe.

Sept années s’écoulent et vous voici de nouveau sur la mer, sur l’Océan cette fois. Avec deux évêques, vous accompagnez le cardinal Dubois. Le président de la République vient de lui remettre, à l’Élysée, la cravate de commandeur de la Légion d’honneur. Selon l’expression dont il s’est servi, c’est une « ambassade morale » qui se rend au Congrès eucharistique de Chicago et voyage sur le même navire que le cardinal Bonzano, légat du Pape, et plusieurs autres princes de l’Église. Vous nous avez donné une fort agréable et curieuse relation de votre voyage. Certes vous ne prétendez pas « vous appliquer ou vous amuser à découvrir l’Amérique », mais, comme le répète l’archevêque de Paris, vous découvrez tous deux l’Amérique religieuse. Quel accueil royal à New-York : cinq cent mille spectateurs massés le long des avenues, acclamant le cardinal légat et les huit princes de l’Église qui lui font cortège ! À Chicago les habitants, sans distinction de croyance, ont préparé, durant des mois, le Congrès eucharistique. Vous y arrivez, Monsieur, dans le fameux train écarlate, dont les wagons, du toit jusqu’aux roues, sont aussi éclatants que les robes cardinalices. Chaque voiture porte un nom et quel nom : Pape Pie XI, Cardinal Bonzano, Cardinal Hayes, Père Marquette ! Cependant à l’extrémité de son appartement élégant et confortable, le cardinal légat, debout sur la plate-forme de la dernière voiture, peut bénir la foule, double haie vivante qui, de chaque côté de la voie et, depuis quinze cents kilomètres, s’étend à perte de vue.

C’est au Stade qu’il officia le 21 juin 1927. Vous avez décrit cette « vaste arène longue d’un kilomètre et encadrée de hauts amphithéâtres » près de la rive méridionale du Michigan ; « les fières colonnades aux allures de temple » qui « couronnent les gradins, où cent cinquante mille personnes s’assoient aisément » ; d’un côté le « péristyle grec du musée d’histoire naturelle » et de l’autre de gracieux portiques ; enfin à l’extrémité du quadrilatère, les quarante-cinq marches au-dessus desquelles s’élève à près de cinquante mètres « un baldaquin doré, aux colonnes corinthiennes, à la coupole flanquée d’anges ». Pas un spectateur qui n’aperçoive l’ostensoir sur l’autel que l’on a dressé sous le dôme. Ce fut des marches de cet autel que, le 24 juin à minuit, le cardinal Mundelein, archevêque de Chicago, donna la bénédiction du Saint-Sacrement. Deux cent mille fidèles, portant à la main un cierge allumé, remplissaient le stade, qui semblait un lac de feu d’où montait le chant du Tantum ergo.

Après cet acte de foi splendide, la réponse que fit M. Taschereau, ministre de la province de Québec, aux journalistes avides de noter ses impressions, ne vous étonna point : « Si j’avais cru ce que vous écrivez de Chicago, je l’aurais prise pour une ville de crimes, c’est une merveille de piété. » M. Taschereau alla au-devant du plus cher désir de la mission. Il vous pria « de vous arrêter dans sa province de Québec pour y sentir vibrer l’âme française » : « Vous trouverez, disait-il, une chaîne ininterrompue de paroisses, un peuple qui s’applique à perpétuer, au sein de familles comptant de dix à quinze enfants, l’amour de l’ancienne mère patrie, sa langue, sa foi, ses traditions et ses espoirs. » Rien de plus exact. Vous rapportez ce trait admirable. Vers 1650, plusieurs membres de la famille Mercier, — que devaient illustrer au XIXe siècle deux ministres canadiens, — quittent pour le Canada leur village de Tourouvre, situé un peu en marge de la route de Paris à Brest, entre Verneuil et Mortagne. Leur aïeul, au moment de la séparation, leur dit : « Gardez la foi ! Gardez la langue ! » En 1891, le premier ministre Mercier vient passer quelques jours en France. Il se rend à Tourouvre. Sur sa demande, un vitrail est posé dans une des baies de l’église. On y peut voir deux scènes : d’un côté, le départ au XVIe siècle, l’aïeul faisant la noble et touchante recommandation ; de l’autre le retour au XIXe, l’arrière-petit-fils déclarant : « Nous n’avons oublié ni Dieu, ni la France. »

Vos lecteurs, Monsieur, peuvent vous être reconnaissants de leur avoir rapporté tant de précieux détails. Vous nous avez conté l’émouvant accueil de Montréal et de Québec. Partout un double sentiment : le loyalisme envers l’Angleterre et l’amour de la France. En 1628, le cardinal de Richelieu stipulait que les Français qui « s’habitueraient à la nouvelle France » et les sauvages qui se convertiraient à la religion catholique seraient « censés et réputés naturels Français et n’auraient pas besoin de lettres de naturalité ». N’avait-il pas raison de croire que rien jamais ne pourrait leur faire perdre le caractère de Français, puisque, devenus, vers la fin du XVIIIe siècle, sujets du roi d’Angleterre, ils n’ont jamais varié dans leurs sentiments pour la France ? Juste récompense de la politique coloniale suivie par notre pays. Vous avez cité, Monsieur, le témoignage de l’un des principaux chroniqueurs canadiens : « Si nous voulons marquer en peu de mots les motifs qui ont amené les Européens en Amérique, nous dirons que les Espagnols y vinrent pour chercher de l’or ; les Anglais la liberté politique et religieuse et les Français pour y répandre les lumières de l’Évangile. Pendant longtemps, la voix de la religion domina toutes les autres voix au Canada et à Paris, quand il s’agissait du nouveau monde. » Aujourd’hui deux cent cinquante mille Acadiens, parlant français et révérant en la France le royaume de la Vierge Marie, ont pour hymne national l’Ave maris stella.

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Le dernier en date de vos ouvrages, Monsieur, est le brillant raccourci de la vie et des œuvres de M. de Nolhac. Nous venons d’en avoir la primeur. En ce temps où la culture gréco-latine est de plus en plus menacée, c’est une joie de vous entendre louer en notre confrère un humaniste. Nul n’était plus digne que vous de faire cet éloge : n’avez-vous pas soutenu en Sorbonne, sur le cardinal Duperron, une thèse latine, où vous expliquez avec une limpide élégance quid in academica eloquentia Perronius valuerit ? Si M. de Nolhac eût été ambassadeur du Roi en Pologne vers 1680, il ne se fût pas trouvé embarrassé dans un pays « où tout le monde parlait latin jusqu’aux domestiques ». Il était familier avec les Colloques d’Érasme, et le Convivium profanum n’avait pas de secret pour lui. À la question du butler murmurant, ses deux bouteilles de vin de Champagne à la main : « Sweet or dry, your Excellency ? » certain ambassadeur de France à Londres répondait : « Un peu des deux », afin de ne pas se tromper. Quand le buticularius polonais, pour demander à M. de Nolhac s’il préférait une aile de poulet ou une cuisse, lui eût susurré à l’oreille : « Utrum mavult Excellentia tua de ala, an de poplitibus ? » notre confrère n’en eût pas été réduit à répondre : « Utrumque ». Et continuant in petto le quatrain dont vous nous avez cité tout à l’heure le premier vers, il eût remercié le vieux maître Érasme :

Je me plais aux leçons que ton bon sens distille
Et je goûte, évoquant ta sagesse subtile,
Ton latin généreux sur la page endormi.

Que cet, artiste de la Renaissance, — c’est M. de Nolhac que je veux dire, — se soit passionné soudain pour Louis XIV, Louis XV et Marie-Antoinette, voilà de quoi nous surprendre. Une pareille évolution confondit tous ceux qui en furent les témoins. Attaché des Musées nationaux et envoyé à Versailles dès 1888, M. de Nolhac fut nommé conservateur du musée en 1892. Entré en maître dans le château, il se sentait l’état d’âme de certain personnage de Victor Hugo :

J’entre, et remets debout les colonnes brisées,
Je rallume le feu, je rouvre les croisées,
Je fais arracher l’herbe au pavé de la cour.

Le nouveau conservateur passa la revue de tous les anciens hôtes de la maison royale. Les courtisans de trois règnes comparurent devant lui dans leurs cadres dorés. Rien n’échappait à son regard scrutateur. Je sais un membre de la maison de Noailles qui, ayant fait copier le portrait du deuxième maréchal de ce nom, se rendit un jour à Versailles pour revoir l’original : il fut tout surpris de constater que son ancêtre était devenu le comte de Toulouse. Par bonheur le comte de Toulouse avait épousé Marie-Sophie de Noailles. L’aïeul se muait en oncle ; la copie l’avait échappé belle !

Notre confrère mit trente ans à ressusciter Versailles. Il n’aurait pu réaliser ce miracle, s’il n’avait été un érudit et un poète. J’ai fort admiré, Monsieur, ce passage de votre discours où vous évoquez dans les appartements de Versailles les grands hommes qui vécurent autour du Grand Roi et le Grand Roi lui-même. Louis XIV approuverait l’œuvre accomplie par l’intelligent conservateur. Il reconnaîtrait d’un coup d’œil, les meubles, les tableaux, les tapisseries, remis à leurs places. Il lirait avec un sourire satisfait l’Histoire du Château de Versailles, et il ne dirait pas de notre confrère ce qu’il avait coutume de dire de l’un de ses invités : « Il est étrange que Villiers ait choisi ma maison pour venir s’y moquer de tout ce que je fais. » M. de Nolhac ne se moquait point, il reconstituait : « De tant d’œuvres de Louis XIV, a-t-il écrit, la plus durablement féconde est Versailles, qui reste l’expression complète et puissante de cette magnifique impulsion donnée aux arts nationaux. Nous n’y cherchons plus sans doute tout ce qui séduisait nos pères, mais nous y trouvons, avec les modèles d’une esthétique rigoureuse et disciplinée, le témoignage d’une race fortement douée et d’un génie justement destiné à s’imposer au monde. » Comme l’a chanté M. de Nolhac en l’un de ses sonnets d’une si rare perfection :

La volonté d’un seul ordonna ces splendeurs
Et le Royaume entier se mire en son ouvrage.

J’ai toujours su gré à notre confrère d’avoir jugé sans partialité Louis XV et Mme Pompadour. M. de Nolhac ne dissimule ni leurs qualités ni leurs erreurs. La mémoire de Louis le Bien-Aimé et de sa maîtresse a souffert des diatribes de maintes gens qu’animait bien moins l’amour de la vertu que les plus viles passions politiques. Indulgents à leur propre inconduite et à celles des souverains étrangers, ces détracteurs ne se scandalisaient que devant l’inconduite du roi de France. La pensée ne leur serait pas venue de blâmer la débauche et les excès des petites cours allemandes. Pour rien au monde ils n’eussent censuré les mignons de Frédéric ou les amants de Catherine.

L’on a souvent reproché à Louis XV d’avoir exilé M. de Maurepas dans ses terres vingt-cinq années durant, pour avoir chansonné Mme de Pompadour. Mais plût à Dieu qu’il y fût toujours resté ! Il n’eût point, sous Louis XVI, rappelé les Parlements, que Louis XV et Maupeou avaient eu la sagesse de renvoyer, — les Parlements opposés à toutes les réformes, les Parlements, l’une des causes de la Révolution.

La Reine Marie-Antoinette me semble être le plus vivant, le plus émouvant, le plus artistique des livres d’histoire que nous a laissés M. de Nolhac. Toute sa vie il retoucha cet admirable portrait. Il a proclamé son impartialité en un poème où il s’adresse à la Reine :

Aux chemins que le temps efface,
Comme en un jardin déserté.
D’une image de vérité,
J’ai voulu découvrir la trace.

Un historien si laborieux, si soigneux, si plein de conscience avait en horreur les vies plus ou moins romancées, bâclées sur des documents imprimés plus ou moins suspects. Feuilletant avec moi, chez un libraire, un ouvrage de ce genre qui venait de paraître, il s’écria : « Ce n’est pas malin de faire en peu de temps un tel livre ; voilà un auteur qui de sa vie n’a jeté les yeux sur un document manuscrit. »

L’érudition n’avait pas desséché l’âme de ce fils de Pétrarque. À chaque tournant de son chemin, sa muse familière le guettait. Un jour, à l’issue d’un repas où il avait montré toute sa science, de l’histoire et conté de sa voix chantante mainte anecdote savoureuse, les enfants d’un de nos confrères lui ayant tendu un livre à signer, il improvisa pour eux les strophes d’une grâce ailée que je vais vous lire :

Les fleurs semblaient sans pareilles
Dans le jardin provençal
Où j’ai vu le grand Mistral,
Et l’air était plein d’abeilles.

Et tandis que m’enchantait
La parole du poète,
L’essaim des filles d’Hymette
Autour de lui voletait.

En balançant une tige
La main du maître clément
Les écartait doucement :
« Mais, ô mon maître, lui dis-je,

Sans doute elles ont appris
Qu’un même dessein t’anime,
Toi qui fais ton miel sublime
Des beaux mots de ton pays ! »

M. de Nolhac souriait en écrivant cette dernière strophe, car c’est à lui-même qu’il songeait.