Revirement

Le 7 février 2013

Marc FUMAROLI

Bloc-notes de février 2013

 

Il ne faut être dogmatique en rien, sauf en grammaire. Mais lorsqu’il s’agit du choix des mots et des modes d’expression, chacun peut et doit se faire une doctrine. J’ai tendance pour mon compte personnel à limiter autant que possible l’emploi des substantifs français à suffixe en -ment, en -isme, voire en -tion et en -té, qui prolifèrent dans le discours d’aujourd’hui du fait de leur apparence pseudo-savante et de leur allure sévère et abstraite. Pour vous épater, on vous parlera sur le poste ou à l’écran, avec l’autorité du sociologue chevronné, de « positionnement », pour dire attitude, et d’« autoritarisme » pour dire tyrannie. Comment se dérober à ce parasitage de la langue de tous par ce vocabulaire pédantesque ? Comment ne pas s’en laisser accroire ?

On peut recourir aux synonymes moins prétentieux, comme je viens de le faire. On peut aussi et surtout faire appel aux expressions figurées pour remplacer le concept pesant qui veut impressionner par de vives images qui amusent ou qui émeuvent.

Supposons que nous ayons à parler de « revirement », mot contre lequel je n’ai aucune objection, qui est loin de compter parmi les pires de sa famille, mais dont le sens très général ignore la nuance exacte de virage ou de volte-face dont il est question dans chaque cas précis.

S’il s’agit de stigmatiser un changement très intéressé de parti ou d’opinion, il vaudra mieux parler de tourner casaque ou de retourner sa veste. S’il est question d’un recours à une autre tactique, la première n’ayant pas donné les fruits escomptés, on pourra parler avec une certaine ironie de changer son fusil d’épaule. Si l’on veut faire le portrait d’un instable, ou à plus forte raison d’une girouette, on dira qu’il (ou elle) change d’avis comme de chemise.

Si l’on veut faire allusion à un changement d’orientation sexuelle, on dira pudiquement mais clairement qu’il (ou elle) a viré sa cuti ou, pour un homme, qu’il est passé du côté de la jaquette flottante. L’exotisme subtil du mot « casaque », importé du turc au xve siècle, et entré depuis dans le vocabulaire du vêtement militaire, ou l’élégance cérémonieuse du mot « jaquette », qui vient de la haute mode masculine, ajoutent tout leur piquant à des virages qui ne sont jamais de simples revirements.

C’est un jeu très amusant que de prendre un par un ces substantifs qui pèsent et qui posent et de leur trouver des substituts verbaux et imagés qui précisent le sens recherché en même temps qu’ils amusent l’interlocuteur. Je vous invite à ce divertissement de société, qui peut conduire aussi à aiguiser le sens des niveaux de style. Il est évident par exemple que « faire volte-face », qui vient du langage de l’équitation, est plus respectueux, et de style plus soutenu, que « tourner casaque », qui vient du langage de la désertion militaire et qui implique une intention méprisante. On ne s’instruit jamais autant qu’à se retourner sur la langue que nous parlons et à scruter ses ressources inaperçues.

 

Marc Fumaroli
de l’Académie française