Rapport sur les concours de poésie et d'éloquence de l’année 1821

Le 25 août 1821

François-Juste-Marie RAYNOUARD

RAPPORT

DE M. RAYNOUARD,

SECRÉTAIRE PERPÉTUEL DE L’ACADÉMIE FRANÇAISE,

SUR LES CONCOURS DE POÉSIE ET D’ÉLOQUENCE
DE L’ANNÉE 1821.

 

L’Académie avait à décerner un prix ordinaire de poésie, et deux prix extraordinaires, l’un de poésie, l’autre d’éloquence.

Le sujet du prix ordinaire de poésie était : La restauration des lettres et des arts sous François Ier.

Vingt-trois pièces ont été envoyées au concours ; mais dans aucune ce sujet intéressant et national n’a paru traité assez heureusement pour obtenir le prix. En général, les concurrents ont célébré dans François Ier son amour et son zèle pour les lettres et les arts, ses exploits guerriers, son courage dans les revers, etc., tandis que le programme restreint le sujet à la restauration des lettres et des arts sous le règne de ce prince que l’histoire a justement nommé LE PÈRE DES LETTRES, et même le RESTAURATEUR DES SCIENCES ET DES ARTS ; qui non-seulement protégea les arts et la littérature, les artistes et les gens de lettres, mais encore composa des vers français, et, entre autres ouvrages de prose, un traité sur la discipline militaire.

L’Académie a cependant distingué trois pièces, et a décidé qu’elles seraient nommées dans l’ordre de leurs numéros d’enregistrement. Ce sont :

Le n° 9, qui a pour épigraphe : Charlemagne, François Ier, Louis XIV ;

Le n° 11, dont l’épigraphe est : Enfin François naquit ;

Et le n° 15, portant pour épigraphe : Je dirai les exploits de son règne paisible.

Elle propose de nouveau ce sujet.

Les autres concours ont été plus heureux. Les amis des lettres qui ont fourni à l’Académie les moyens d’ouvrir ces deux concours extraordinaires seront sans doute satisfaits d’apprendre que deux jeunes écrivains devront à cette honorable circonstance l’avantage de se montrer plus tôt et avec distinction dans la carrière littéraire.

Le sujet du Dévouement de Malesherbes, proposé pour la seconde fois, avait excité une juste et touchante émulation ; mais le mérite des ouvrages n’a pas été en proportion de leur nombre ; l’Académie a vu du moins avec intérêt quarante-six concurrents s’exercer sur un sujet aussi digne d’inspirer les Muses françaises.

Dans les quarante-six pièces, une seule a fixé spécialement l’attention de l’Académie ; c’est le n° 19, portant pour épigraphe le passage d’Horace : Justum et tenacem propositi virum, etc. L’auteur est M. A. Gaulmier, professeur de rhétorique au collége de Nevers.

Il a traité le sujet en ode. Le genre lyrique exige moins de développements que les poèmes, les épîtres et autres ouvrages dont les formes sont plus ordinairement préférées dans nos concours poétiques.

Le plan est sagement tracé : des idées nobles, des sentiments élevés ont souvent inspiré l’auteur ; il y a de belles strophes. Dans un concours dont l’Académie n’était que juge, et qui était ouvert pour la seconde fois, elle a cédé avec plaisir au juste empressement qu’éprouvent les Français, de retrouver et d’applaudir dans un ouvrage poétique, leurs propres sentiments de vénération pour la mémoire de Malesherbes.

Le sujet du prix extraordinaire d’éloquence consistait à déterminer ce que c’est que le génie poétique, et comment il se fait reconnaître, indépendamment de la diversité des langues et des formes de la versification, et dans tous les genres, depuis l’épopée jusqu’à l’apologue.

Vingt-quatre discours ont été soumis au jugement de l’Académie.

Le sujet proposé présentait de grandes difficultés : on pouvait craindre que les concurrents ne se perdissent dans les recherches et les abstractions philosophiques ; et que, se soumettant à des formes trop didactiques, ils n’offrissent pas dans leurs compositions ces mouvements oratoires, cette élégance et cette noblesse de style qu’on est en droit d’exiger, ou du moins qu’on aime à trouver dans les discours académiques.

Quelques-uns n’ont pas évité cet écueil, sans qu’ils aient racheté, par des résultats satisfaisants, leur manière aride et scolastique.

La plupart ont reconnu que le caractère du génie poétique est de sentir vivement, et de peindre avec des formes particulières et des expressions capables de communiquer l’enthousiasme à l’âme des auditeurs.

Dès lors il est évident que le génie poétique puise aux sources les plus pures et les plus élevées ; qu’il est mis en mouvement par les plus hautes pensées, par les plus beaux sentiments du cœur humain, soit que le poète traduise et exprime les sublimes élans de la vertu, les brillants prestiges de l’imagination, soit qu’il offre les aperçus les plus piquants de l’esprit, selon les genres par lesquels ce génie se manifeste.

Les concurrents avaient à indiquer les causes qui excitent l’enthousiasme poétique : il est à regretter qu’ils n’aient pas assez expliqué combien les sentiments nobles et vertueux que produisent les rapports de l’homme avec la divinité, la patrie, la société et la famille, fournissent encore plus à l’imagination et à l’inspiration que la contemplation de la nature physique.

En approfondissant le sujet sous ce rapport vraiment philosophique, ils auraient sans doute prouvé que les grandes vertus, les nobles émotions, comptent parmi les premiers et les plus beaux éléments du génie poétique, et surtout que le génie de la poésie peut beaucoup moins s’en passer que le génie des autres arts.

N’est-il pas évident qu’il est tel genre de vertu qui est le beau idéal dans la morale, comme le sublime est le beau idéal dans les arts ? et pour citer un exempté que fournit le concours de cette année, oserait-on nier que le dévouement de Malesherbes n’appartienne au beau idéal de la vertu ?

L’Académie a décerné le prix au n° 6, qui a pour épigraphe :

È tra dio questi e l’anime migliori
Interprete fedel, nunzio giocondo.

GERUSAL. cant.

L’auteur est M. A. Théry, professeur de seconde au collége de Versailles.

Des mentions honorables ont été accordées

Au n° 14, portant pour épigraphe ce vers de Boileau :

Tout ce qu’il a touché se convertit en or.

Au n° 15, portant pour épigraphe :

Ut pictura poesis. HORAT.

Et au n° 22, dont l’épigraphe est :

O quam te memorem, virgo ? namque haud tipi vultus
Mortalis, nec vox hominem sonat, o dea certe.
VIRG.

L’auteur de ce dernier discours est M. Bert. Il a soutenu qu’on ne peut connaître le génie poétique ; qu’on peut seulement étudier les signes qui le révèlent ; cependant il a défini la poésie, le don de créer et de rendre sensibles par le charme d’un langage consacré, les fictions propres à émouvoir et à exalter en nous le sentiment du beau.

Des questions accessoires du programme il a fait les points principaux de ses deux divisions : dans la première il a présenté l’histoire de la poésie, sous prétexte de faire l’histoire de la langue poétique chez les divers peuples ; dans la seconde il a tracé l’analyse des modèles dans les divers genres, plutôt qu’il n’a caractérisé les genres mêmes.

L’Académie a distingué dans ce discours quelques passages remarquables par les pensées et par le style.

L’auteur du n° 15 a dit que le génie poétique n’est autre que le génie commun des arts ; que son but est de peindre la nature dans tous les genres ; qu’il doit triompher de la sécheresse et même de la pauvreté des langues ; que d’ailleurs chaque peuple trouvant sa propre langue suffisamment riche pour lui-même, le poète, homme de génie, trouvera dans cet idiome une expression suffisante de ses pensées. L’auteur décrit les genres de poésie ; mais, affectant de ne pas distinguer, dans ces genres, ce qui est le matériel de l’art, il prétend que la versification n’est nullement nécessaire à la poésie, qu’elle lui est même nuisible, ou que du moins la sorte de perfection qu’elle ajouterait est si difficile à atteindre, qu’il vaut mieux renoncer à l’harmonie des vers.

En ne s’arrêtant pas à quelques erreurs littéraires qu’il est inutile de réfuter ici, on trouve dans ce discours des vues philosophiques, des parties bien traitées, et parfois un style élevé. Le défaut principal de l’ouvrage est qu’il n’a pas les proportions convenables : l’auteur accorde seulement quelques pages à l’explication des caractères du génie poétique, et ensuite il s’occupe très-longtemps de l’énumération des genres, du mécanisme des langues, des formes de la versification.

Selon l’auteur du n° 14, l’objet de la poésie, c’est l’illusion; son caractère essentiel, le merveilleux ; et ce caractère doit se retrouver dans l’invention, dans la composition, dans le langage. Cet auteur fait l’histoire comparée de la poésie et de la civilisation; la divise en trois époques, âge poétique, âge oratoire, âge descriptif, et prétend que dans cette dernière époque, qui lui paraît être la nôtre, il ne peut plus exister d’illusion ni conséquemment de poésie; ensuite caractérisant successivement les divers genres et les poëtes qui les ont illustrés, il essaye de montrer jusqu’à quel point le mérite de l’illusion se retrouve dans leurs ouvrages.

Il ne traite point spécialement les deux questions accessoires du programme.

Par ces principes absolus, par ces divisions tranchées, railleur est presque toujours resté hors de la question. Ce discours contient des détails spirituels, des aperçus neufs : le style en est souvent noble ou hardi; mais il n’est pas exempt de néologisme et de prétention.

Enfin le n° 6, auquel le prix a été adjugé, offre un cadre très-ingénieux, une conception brillante, un style animé, pur, et quelquefois éloquent

Mais je m’arrête : indiquer les motifs qui ont déterminé l’Académie, divulguer des formes habiles dont l’originalité fait le mérite, montrer les ressorts à la faveur desquels l’auteur excite et maintient une heureuse illusion, ce serait nuire à l’illusion même ; l’ouvrage seul doit expliquer les causes qui ont pu lui mériter la palme académique.