Réponse au discours de réception de Jean-Jacques Barthélemy

Le 25 août 1789

Stanislas de BOUFFLERS

Réponse de M. le chevalier de Boufflers
au discours de M. l’abbé Barthélemy

DISCOURS PRONONCÉ DANS LA SÉANCE PUBLIQUE
LE MARDI 25 AOÛT 1789

PARIS LE LOUVRE

     Monsieur,

     Dans ce mélange continuel, et souvent trop inégal, des biens et des maux qui sont le partage du genre humain, l’Académie éprouve quelquefois des joies vives ; mais elle est condamnée à n’en point connoître de pures ; sa destinée est de n’acquérir qu’en perdant ; aussi commence-t-elle par jeter un regard de tristesse sur le vide de la place qu’elle donne ; et même en y admettant un homme que de tout temps elle avoit désiré d’y voir, elle y cherche encore un homme qu’elle auroit voulu toujours y conserver.

     L’utile Académicien que vous remplacez, Monsieur, n’a plus besoin d’éloges ; le premier juge, en fait de monumens, vient de lui en élever un immortel. Tout ce que j’oserois dire après vous seroit à peine entendu, et, quand vous avez fini de parler, c’est encore vous que l’on écoute. Ce n’est donc point pour rien ajouter à l’honneur de M. Beauzée, mais pour satisfaire à mon devoir, que j’essayerai de fixer encore un moment l’attention sur cet homme estimable, qui le méritoit si bien, qui l’ambitionnoit si peu.

     S’il est, comme dit Horace, une récompense assurée à la vertu discrète, comment la refuser, et sur-tout dans des temps où cette vertu devient si rare, comment la refuser, dis-je, à un homme simple, droit et toujours semblable à lui-même ; qui, dans la guerre éternelle des passions, des opinions, des cabales, des intrigues, a su conserver sa franchise et sa neutralité ; qui, libre de soins, insensible à l’éclat, indifférent pour la richesse, préféroit à tout l’étude, la paix, l’amitié, la vertu, et s’occupoit, en silence, non du bien qu’il pouvoit acquérir, mais du bien qu’il pouvoit faire ?

     Tel fut le caractère de M. Beauzée. La fortune lui avoit tout refusé : mais il ne lui demanda rien ; et pendant qu’il se contentoit du modique fruit de ses travaux littéraires, il vit au moins que ses amis ne partageoient point pour lui sa résignation. Beaucoup de secours lui furent offerts ; presque tous ont été refusés. En vain essayoit-on d’exiger son secret, pour obtenir son aveu. S’il accepta quelquefois le service, il refusa toujours la condition. Il voulut honorer ceux qu’il avoit choisis pour ses bienfaiteurs, et s’honorant de leurs bienfaits ; et dans sa manière de leur devoir, il leur disputa le prix de la générosité. Du reste, plaçant tous ses plaisirs dans la satisfaction intérieure, et sa gloire dans l’estime de ses amis, on l’a, dans tous les temps, vu tranquille au milieu du tumulte qu’il fuyoit, isolé au milieu du monde qu’il aimoit, étendre ses idées, borner ses vœux, trouver le bonheur en lui-même, et joindre à chaque instant son consentement à sa destinée.

     La jeunesse de M. Beauzée fut consacrée à l’étude des sciences exactes ; il y puisa le mépris de tout ce qui n’est pas vrai, et leur dut peut-être cette justesse de conception, cette rectitude de jugement, qui nous ont été souvent d’un grand secours dans nos travaux académiques. Il fut porté depuis vers l’étude de la grammaire, par cet attrait particulier qu’on peut regarder comme l’instinct de l’esprit ; et malgré le désavantage d’écrire après tous les hommes éclairés qui ont réfléchi sur cette matière abstraite, il y répandit des lumières, et la soumit à des principes inconnus avant lui ; également judicieux, soit qu’il suive ses devanciers ou qu’il les abandonne, il ne paroît point s’égarer lorsqu’il s’écarte de leurs traces ; et lorsqu’il raisonne comme eux, on voit encore qu’il parle d’après lui.

     En effet, dans l’histoire du monde, rien n’est plus obscur, mais en même temps rien n’est plus intéressant que la formation des langues. L’esprit, toujours impatient de son ignorance, voudroit s’élever à toutes les origines, et descendre dans toutes les profondeurs. Il aime quelquefois à se transporter vers ces temps inconnus à l’histoire, perdus pour la tradition, et presque inaccessibles à la pensée, où les hommes, jusques-là condamnés à tous les ennuis, et à tous les dangers, excédés du pénible soin d’une subsistance toujours mal assurée, las d’être seuls quand ils pouvoient être plusieurs, honteux d’être foibles quand ils pouvoient accroître leurs forces, et tristes de ne voir que des rivaux sous des traits qui sembloient leur annoncer des amis, essayèrent, dit-on, de s’unir pour se défendre, et de s’entendre pour se réunir.

     Dans ces rencontres, d’abord inquiétantes, on devint, par degrés, plus hardi ; la ressemblance des traits, l’analogie des organes, produisirent bientôt la confiance, ensuite la familiarité, ensuite l’imitation. Les premiers cris, suggérés par la nature, entendus au loin, diversement modifiés et fidèlement répétés, servirent aux premières conventions ; et après beaucoup d’essais, un signe sonore, facile à produire en tout-temps, à renouveler au besoin, à varier dans l’occasion, à reconnoître jusques dans l’éloignement et dans l’obscurité, fut jugé propre à l’indication et à l’échange des affections et des pensées ; cette découverte fut décisive pour le genre humain ; les suites en étoient et en sont encore incalculables; Dès ce premier pas, l’esprit entrevit confusément l’immensité de son inculte domaine ; alors seulement, et pour jamais, notre espèce fut distinguée du reste des hôtes de champs et des bois, et nos ancêtres furent des hommes.

     Mais qui put exposer à des êtres si bornés un aussi vaste projet ? De quels signes se sont-ils servis pour en établir d’autres ? Quel génie supérieur a pu leur offrir le tableau rapide des suppositions, des convenances, des relations, des particularités que la théorie de tous ces idiomes, depuis celui de l’Attique jusqu’à ceux de la Guinée, embrasse également ? En un mot, qui leur a tracé le plan de toutes les opérations de l’esprit, auxquelles un système grammatical doit se rapporter, comme la contexture des nerfs à tous les mouvemens du corps ? Et quand la discussion des moindres questions de la grammaire exige les connoissances les plus rares et la métaphysique la plus subtile, comment la conception du système général et raisonné de tout ce qui tient au langage, appartiendroit-elle à des hommes qui ne savoient pas encore parler ?

     Ces recherches, peut-être utiles, peut-être frivoles, et qui nous ramèneroient jusqu’à la première limite, s’il en est une entre l’état de nature et l’état social, auroient exigé l’application infatigable de l’Académicien que nous regrettons ; mais elles peuvent aussi être soumises aux lumières et à la sagesse du savant écrivain qui le remplace.

     Eh ! Qui en effet auroit plus de droit à notre foi sur de tels mystères que celui qui, d’un vaste monceau de ruines a su tirer les premiers élémens de l’écriture et du langage d’un peuple depuis long-temps oublié, que celui pour qui l’histoire n’a rien d’obscur, même dans ses lacunes, qui semble évoquer les hommes de tous les pays et de tous les siècles, les interroger dans leurs langues, et les entendre à demi-mot ! Tels sont, Monsieur, les utiles et surprenans travaux auxquels, depuis long-temps, vous vous êtes dévoué. Également fait pour avancer à pas de géant dans toutes les carrières, vous avez préféré celle qui vous ramenoit vers la sage antiquité ; et, moins occupé de vous faire le grand nom que vous méritez, que de rappeler tous les hommes des anciens âges à la mémoire et à l’attention de celui-ci, vous vous êtes sur-tout consacré à l’étude de la science numismatique, à la recherche et à la discussion des monumens de cet art inventé par le désir de nous survivre, de cet art que les foibles mortels, peu contens de la renommée présente, et se défiant, à juste titre, d’une condition toujours variable, ont invoqué, pour donner à la pensée la solidité de l’airain, pour fixer au moins l’empreinte de la beauté fugitive, pour éterniser le souvenir, trop prompt à effacer, des hommes illustres, en confiant leurs traits et leurs noms à des pièces de métal, qu’on espéroit opposer comme autant d’égides aux coups de la destruction. Mais les médailles elles-mêmes n’ont point échappé aux ravages des années ; la plupart dispersées, enfouies, mutilées, désespèrent l’observateur le plus attentif ; et celles qu’un destin plus heureux avoit soustraites à ces désastres, défigurées à la longue, par leur propre vieillesse, semblent attester que rien n’est pur sur la terre ; que, jusques dans les choses inanimées, il y a toujours un combat intérieur, une fermentation secrète, un ennemi caché de tout ce qui existe, et que les matières même que nous regardons comme l’emblême de la solidité, enferment, ainsi que nous, le principe de leur dissolution.

     Enchaîner l’action, toujours imprévue, mais toujours certaine, du hasard qui se plaît à bouleverser tout ce que le travail des hommes avoit entrepris d’assurer ; lire à travers la rouille des siècles et la confusion des choses ; interroger jusqu’aux moindres traces ; rapprocher des débris informes ; suppléer des traits effacés ; remettre en lumière ce qu’une nuit sans lendemain étoit sur le point d’ensevelir ; arracher à l’oubli ses plus regrettables conquêtes, et présenter les hommes d’autrefois aux regards de la postérité ; c’est ce que vous avez fait, Monsieur, et c’est ainsi que, bienfaiteur à la fois du passé, du présent et de l’avenir, vous avez en effet rendu à l’art numismatique les services que cet art osoit promettre à l’humanité.

     C’en étoit assez pour votre gloire sans doute ; mais il arrive à la gloire elle-même, comme à d’autres objets de nos poursuites, de se refuser souvent à ceux qui brûlent pour elle, et de trouver quelquefois des indifférens dans ceux à qui elle s’attache. Mais, encore une fois, ce n’étoit point la gloire qui vous charmoit ; c’étoit toujours cette auguste antiquité, ces restes précieux d’hommes plus grands, d’êtres meilleurs, dont les moindres vestiges nous inspirent un secret mépris pour nos plus hardis travaux, et qui nous ont laissé leurs mesures dans des chef-d’œuvres en tous genres, qui découragent nos talens, et dans les monumens de génie qui effraient notre raison. Tels furent en effet ces maîtres de tous ceux qui les ont suivis, ces Grecs, si chers à la pensée de l’homme instruit ; ces Grecs, dont vous semblez n’avoir si bien étudié l’idiome que pour vivre plus intimement avec eux, et leur consacrer tant d’heures précieuses que vos compatriotes leur ont plus d’une fois enviées.

     S’il s’agissoit de prouver à l’homme combien sa main est foible contre la main du temps, il suffiroit de promener ses regards sur chacune de ces contrées autrefois libres, où maintenant un esclave règne en despote ; sur cette partie des arts, où l’algue et la mousse couvrent aujourd’hui les marbres qui jadis avoient reçu la vie des mains de Leucippe et de Phidias. Que sont devenus ces ruisseaux et ces fontaines dont les noms sont encore aussi doux à l’oreille que les murmures de leurs flots argentés, quand ils couloient entre les arbustes et les fleurs ? Maintenant leur cours est arrêté par d’informes amas de voûtes écroulées, de dômes abattus, de fondemens arrachés, de socles et de chapiteaux roulés pêle-mêle, avec les urnes, les trépieds, les autels et les membres mutilés des Dieux. Et qui le croiroit ? L’Ilissus, le Céphise, le Pénée, et tant d’autres fleuves, inutilement cherchés, ne promènent plus qu’un limon infect dans les vallons de l’Attique et de Tempé. Ces riantes prairies, ces campagnes fertiles, cette terre favorisée du Ciel, où les arts trouvoient à peine de la place pour leurs chef-d’œuvres toujours renaissans, depuis long-temps privées de l’ame qui respiroit en elles, ressemblent au cadavre qui, après avoir perdu la vie, perd successivement jusqu’aux traits et aux formes qui l’avoient autrefois distingué. La Grèce est le pays qui atteste le moins que ce fut autrefois la Grèce ; le voyageur qu’une curiosité audacieuse a conduit loin de sa patrie vers ces rivages désolés, n’y retrouve pas même la nature ; et pour unique fruit de tant de fatigues et de dangers ; il ne remporte qu’une grande leçon, c’est que, pour les pays comme pour les peuples, la liberté est un principe de vie, et le despotisme un principe de mort.

     Mais quel autre Orphée, quelle voix harmonieuse a rappelé sur ces côteaux dépouillés les arbres majestueux que les couronnoient, et rendu à ces lieux incultes l’ornement de leurs bocages frais, de leurs vertes prairies et de leurs ondoyantes moissons ? Quels puissans accords ont de nouveau rassemblé les pierres éparses de ces murs autrefois bâtis par les Dieux ? Tous les édifices sont relevés sur leurs fondemens, toutes les colonnes sur leurs bases, toutes les statues sur leurs piédestaux ; chaque chose a repris sa forme, son lustre et sa place ; et dans cette création récente, le plus aimable des peuples a retrouvé ses cités, ses demeures, ses lois, ses usages, ses intérêts, ses travaux, ses occupations et ses fêtes. C’est vous, Monsieur, qui opérez tous ces prodiges : vous parlez, aussitôt la nuit de vingt siècles fait place à une lumière soudaine, et laisse éclore à nos yeux le magnifique spectacle de la Grèce entière au plus haut degré de son antique splendeur. Argos, Corinthe, Sparte, Athènes, et mille autres villes disparues sont repeuplées. Vous nous montrez, vous nous ouvrez les temples, les théâtres, les gymnases, les Académies, les édifices publics, les maisons particulières, les réduits les plus intérieurs. Admis, sous vos auspices dans leurs assemblées, dans leurs camps, à leurs écoles, à leurs cercles, à leurs repas, nous voilà mêlés dans tous les jeux, spectateurs de toutes les cérémonies, témoins de toutes les délibérations, associés à tous les intérêts, initiés à tous les mystères, confidens de toutes les pensées ; et jamais les Grecs n’ont aussi bien connu la Grèce, jamais ils ne se sont aussi bien connus entre eux, que votre Anacharsis vous les a fait connoître.

     Dans ces tableaux nouveaux, parlans et vivans, tous les objets s’offrent à nous sous tous les aspects. Les hommes et les peuples, toujours en rapport, toujours aux prises les uns avec les autres, nous découvrent, à l’envi, leurs vices et leurs vertus. L’enthousiasme, la haine et l’impartialité tracent alternativement le portrait de Philippe. Les tristes hymnes des Messéniens accusent l’orgueil de Lacédémone. Les Athéniens laissent entrevoir leur corruption au travers de leurs agrémens. Le suffrage ou le blâme distribué tour-à-tour par des partisans ou par des rivaux, tous les témoignages favorables ou contraires, soigneusement recueillis, fidèlement cités, sagement appréciés, suspendent et sollicitent des jugemens que vous laissez modestement prononcer à votre lecteur ; il tient la balance, mais vous y mettez les poids.

     Il vous appartient, Monsieur, plus qu’à personne, de converser avec ces hommes étonnans, de leur législation, de leur religion, de leurs sciences, de leur morale, de leur histoire, de leur politique. S’agit-il de leurs arts ? Quel pinceau pourroit mieux retracer l’élégance de leurs chef-d’œuvres ? Quand vous faites parler leurs orateurs et leurs poètes, votre style rappelle toute l’harmonie de leur langue. Exposez-vous les dogmes faux ou vrais de leurs philosophes ? C’est en donnant à la vérité les caractères qui la font triompher ; c’est en prêtant à l’erreur tous les prestiges qui excusent ses partisans. Enfin, est-il question de la première et de la plus noble passion des Grecs, de leur patriotisme ? En nous les offrant pour modèles vous nous rendez leurs émules. Mais que dis-je ? En fait de patriotisme, les exemples des Grecs nous seroient-ils nécessaires ? Non, non, ce feu sacré, trop long-temps couvert, mais jamais éteint, n’attendoit ici que le souffle d’un roi citoyen pour tout embraser ; déjà un même esprit nous vivifie, un même sentiment nous élève, une même raison nous dirige, un même titre nous enorgueillit ; et ce titre, c’est celui de François. Nous savons, comme les Grecs, qu’il n’est de véritable existence qu’avec la liberté, sans laquelle on n’est point homme, et qu’avec la loi, sans laquelle on n’est point libre. Nous savons, comme eux, qu’au milieu des inégalités nécessaires des dons de la nature et de la fortune, tous les citoyens sont du moins égaux aux yeux de la loi, et que nulle préférence ne vaut cette précieuse égalité, qui seule peut sauver du malheur de haïr ou d’être haï. Nous avons, comme eux, qu’avant d’être à soi-même, on étoit à sa patrie, et que tout citoyen lui doit le tribut de son bien, de son courage, de ses talens, de ses veilles, comme l’arbre doit le tribut de son ombre et de ses fruits aux lieux où il a pris racine.

     Au reste, Monsieur, la peinture naïve des Grecs ne fait point tout le mérite de votre ouvrage, et celle de l’auteur qui se voile et se trahit sans cesse, y répand un intérêt encore plus attachant. On est toujours tenté de substituer votre nom à celui de ces sages si aimables auxquels vous donnez vos traits sans vous en apercevoir. On sent, en vous lisant, que leurs maximes sont vos principes, que leurs lumières sont dans votre esprit, que leurs vertus sont dans votre cœur, et que vous vivez avec eux, pour ainsi dire, en communauté de biens, également riche de ce que vous leur empruntez et de ce que vous leur prêtez. C’est vous que l’on retrouve encore mieux que les Grecs dans cet hommage pur qu’à chaque instant vous vous plaisez à rendre à l’amitié. Nulle part on ne reconnoît mieux sa divine inspiration, ses doux accens, son influence pénétrante ; c’est l’amitié qui, de sa main fidèle, traça l’image de Phédime avec délicatesse, avec la pureté de l’ame de Phédime elle-même ; c’est elle qui fait reparoître un instant cet Arsame, si justement, si généralement pleuré ! On voit avec attendrissement le grand homme qui n’est plus, survivre encore mieux à lui-même par l’amitié que par la renommée, et trouver dans le cœur d’un ami vertueux, non un mausolée, mais un temple.

     C’est ainsi, Monsieur, qu’en réunissant l’exercice et la récompense de vos vertus, vous avez passé pendant long-temps et vous passez encore la vie la plus douce et la plus utile, entre la noble élite des premiers personnages dans anciens temps, et de ceux de votre siècle. En vain cependant, content d’un sort aussi désirable, auriez-vous tenté de vous dérober entièrement aux regards du public : la société avoit aussi ses droits à réclamer, et l’obscurité à laquelle on vous a vu toujours inutilement aspirer, auroit fait trop de tort à vos contemporains ; ils connoîtroient moins ce caractère simple comme l’enfance, sage comme l’antiquité ; cet art précieux et sublime de mêler toujours la grâce à la vérité, l’indulgence à la censure, la bienveillance au conseil, et l’amusement à la leçon ; de prêter son esprit au lieu de le montrer ; de se servir de sa raison pour féconder celle des autres ; d’instruire les plus instruits, et de s’instruire encore avec les plus ignorans ; de plaire à tous, et de se plaire avec tous ; enfin, nous ne saurions pas que Platon, Aristote, et sur-tout Socrate vivent encore, et qu’en ce moment l’Académie françoise ne peut porter aucune envie à celle d’Athènes.