Réponse au discours de réception de Louis-Georges de Bréquigny

Le 6 juillet 1772

Charles-Just de BEAUVAU

Réponse de M. le prince de Beauvau
au discours de M. de Bréquigny

DISCOURS PRONONCÉ DANS LA SÉANCE PUBLIQUE
le lundi 6 juillet 1772

PARIS PALAIS DU LOUVRE

  Messieurs,

L’Académie rendoit depuis long-temps justice à vos lumières, à vos Ouvrages, & à vos mœurs : les Gens de Lettres qui la composent s’étonnoient que votre modestie ne vous permît pas de montrer le désir d’être leur Confrère ; ils espéroient que l’occasion se présenteroit de vous adopter un jour, & lorsqu’il ne leur a pas été libre de recevoir le mérite qui avoit demandé leurs suffrages, ils ont pensé d’abord à en faire jouir le mérite qui s’oublioit lui-même.

Vous nous apportez, Monsieur, une Philosophie sage, une érudition variée, le goût de l’Antiquité, le talent d’écrire avec élégance & une connoissance particulière des Orateurs de la Grèce ; ils ont été l’objet de vos veilles, & vous les avez fait connoître dans un Ouvrage estimé de tous ceux qui aiment les anciens modèles.

Dans votre Dissertation sur Mahomet ; vous vous êtes élevé au-dessus des idées populaires que les Savans mêmes avoient données de ce fameux Législateur de l’Orient : dans cet Ouvrage simple, élégant & lumineux, vous instruisez & vous plaisez également : mais vous avez particulièrement mérité de tous les Ordres de votre Nation, par vos soins infatigables à découvrir, à rassembler ces titres précieux pour l’État, intéressans pour tant de Particuliers, que l’Angleterre renferme dans ses Archives, & dont les dépôts, ouverts d’abord à votre curiosité, l’ont été bientôt après à votre mérite.

Ces trésors destinés à la Bibliothèque du Roi, rappellent naturellement le souvenir de celui qui devoit les recevoir ; M. Bignon, dont vous étiez déjà le Confrère dans une autre Académie, & que vous remplacez dans celle-ci, étoit fait pour sentir le prix de tant de richesses : né d’une famille illustre dans la Robe , les exemples de vertu & d’amour des Lettres qu’il y trouva, lui avoient fait connoître de bonne heure toutes les obligations des places auxquelles il devoit parvenir : un cœur droit, un esprit juste, un caractère doux, ne lui permirent jamais de s’en écarter ; & sa modestie, qui alloit souvent jusqu’à la timidité pouvoit seule nuire à l’effet que son mérite devoit produire.

Son application & son assiduité à ses devoirs, furent reconnues & distinguées, dès les premiers pas qu’il fit dans la Magistrature ; elle étoit encore animée de l’esprit de ce célèbre Jérôme Bignon, qui l’avoit honorée dans le siècle passé, & qui fut un des plus illustres de ces Magistrats si respectés par l’intégrité de leurs mœurs, par la profondeur de leur savoir, & par un attachement invariable pour le Roi, pour l’État & pour le maintien des Loix.

Choisi pour être à la tête du Corps Municipal de la Ville de Paris, M. Bignon porta dans cette place l’amour du bien, de grandes vues d’utilité publique, un zèle pour les droits & les intérêts de la Ville qui ne se ralentit jamais.

Ses projets pour l’embellissement de la Capitale, avoient obtenu les éloges de tous les gens de goût, & l’approbation du Roi ; mais bien moins sensible à la gloire qui pourroit lui revenir de l’exécution, qu’attaché à l’économie trop souvent négligée dans les grandes places, M. Bignon sut préférer à ce qui lui étoit personnel, le plus sacré de tous les objets, celui de ne pas augmenter les charges du peuple & de parvenir à la liquidation des dettes de la Ville.

Par un désintéressement qui sera plus admiré qu’imité, le premier des droits de Prévôts des Marchands qu’il exerça, fut de retrancher la moitié de ses appointemens, & ce ne fut pas la seule occasion où il voulut supporter le premier la suppression des dépenses qu’il ne croyoit pas indispensables.

Tant de droiture & de sagesse ne pouvoient manquer de faire de M. Bignon un Académicien digne de l’estime de cette Compagnie. La Charge si noble & si importante d’Intendant & de Garde de la Bibliothèque du Roi, lui donna de fréquentes occasions d’obliger les Gens de Lettres ; il leur faisoit part avec les attentions les plus recherchées du trésor qui lui étoit confié : les places dont il disposoit furent toujours données avec discernement : des fonds destinés à la Bibliothèque, une partie fut employée à l’augmenter, le reste à soutenir les talens sans fortune, & à soulager le mérite indigent : ses secours ont adouci la vieillesse d’un de nos meilleurs Poètes Tragiques.

Les rapports de M. Bignon avec la Cour & ses liaisons de parenté & d’amitié avec plusieurs Ministres, ne lui inspirèrent jamais le goût de l’intrigue, ni cette envie de dominer dans l’Académie, qu’on avoit pu reprocher à un de ses oncles ; il conserva toujours cette pureté d’intention & cette simplicité de conduite si recommandables dans la Société en général, peut-être plus rares & plus nécessaires encore dans les Compagnies Littéraires, où l’égalité & la liberté doivent faire le bonheur & la gloire de ceux qui les composent.