Réponse au discours de réception de Boivin de Villeneuve

Le 27 mars 1721

Jean-Baptiste DUBOS

MONSIEUR,

Vous venez de faire l’éloge de l’illuffre Prelat à qui vous fuccedez auffi-bien qu’il auroit fait lui-même l’éloge des Sirmonds & des Scaligers. Mais ce n’eft pas d’aujourd’hui que fon efprit & fon érudition paroiffent revivre en vous. Né avec les mêmes talens que Monfieur Huet, vous avez encore couru la même carrière que lui dans le vafte champ de la Littérature. Comme lui vous avez traduit les Anciens fans affoiblir les expreffions & fans altérer le fens des Originaux. Vos traductions Françoifes des pièces les plus touchantes, ou les plus enjouées qui ayent paru fur le premier des Theatres de la Grece, feront des monumens durables du fuccès avec lequel vous avez appris les langues fçavantes, & étudié votre langue naturelle.

 

Le Public met vos travaux fur le morceau de l’Hiftoire Byzantine écrit par Nicéphore Gregoras, à côté des travaux de votre prédeceffeur fur Origene, Vos découvertes fur plufieurs points d’érudition, & vos recherches fur les manufcrits les plus curieux de la Bibliotheque du Roi, dont les volumes fans nombre vous font auffi connus que le peuvent-être aux particuliers les livres de leur cabinet, font mifes, en parallele avec ces doctes recherches qui rendent déja le nom de l’Evêque d’Avranches fi célébre parmi les Nations, & qui doivent le rendre illuftre dans les fiécles à venir.

 

L’un & l’autre vous avez dans vos heures de loifir compofé en plufieurs langues différentes des vers dont l’élegance & le tour feroient honneur aux études les plus férieufes. Les fleurs que vous venez de jetter fur le tombeau de la femme la plus fçavante[1] & la plus modefte dont l’hiftoire des Lettres faffe mention, femblent cueillies dans les jardins d’Athénes lorfqu’ils étoient le mieux cultivés.  Vous avez défendu le pere de la Poëfie prophane auffi-bien que vous avez fçû, & lui faire parler notre langue, & l’imiter. Mais cette louange eft la moindre de celles qui font dûes à l’ouvrage dont je parle. Les difputes qui s’élevent entre les Gens de Lettres ne brouillent que trop fouvent les anciens amis ; & vous, MONSIEUR, vous avez acquis l’eftime & l’amitié de ceux dont vous attaquiez les fentimens, parce que réfiftant à toutes les fuggeftions de l’amour propre, vous avez fçû vous borner à écrire ce que vous dictoit la vérité. Tel eft le charme de la vérité, qu’elle plaît à ceux-mêmes qu’elle bleffe, lorfqu’elle n’emploie que fes propres armes, & qu’elle s’abftient de lancer aucun de ces traits que nos paffions veulent toujours lui prêter. Voilà pourquoi vous avez eu des adverfaires qui n’ont point été vos ennemis. C’eft votre modération qui a le plus contribué à vous acquérir l’amitié des Magiftrats les plus refpectables, & dont il eft même glorieux d’avoir mérité l’eftime.

 

Quel autre eût été plus digne que vous de faire ici l’éloge de Monfieur Huet ? La modeftie, qui eft le trait effentiel de votre caractére, vous fait penfer autrement. Mais ce jugement que vous portez fur vous-même, eft peut-être le feul de vos fentimens que le Public contredira. Il eft la feule opinion finguliére qui foit en vous. Auffi le Prince éclairé qui nous gouverne & dont le monde adopte les décifions, plûtôt par déférence à fes lumiéres, que par foûmiffion à fon autorité, ne s’eft pas contenté de dire qu’il approuvoit notre choix. Il a dit qu’il le louoit.

 

[1] Madame Dacier.

Puiffe l’Académie réparer toûjours les pertes aufquelles les loix de la nature la condamnent, ainfi qu’elle vient de réparer la perte de Monfieur Huet ; d’un homme que les Sçavans les plus illluftres régarderent comme leur égal, dès qu’il eut commencé à fe faire connoître. Sa réputation encore naiffante excita la curiofité d’une Reine, auffi célébre par fes qualités perfonnelles, que par les grands évenemens de fon regne. Chriftine, dont la mémoire fera toûjours fi chere à l’Académie, fit à Monfieur Huet, qui, pour ainfi dire, ne portoit encore que fes premières armes, le même accueil dont elle honoroit les Defcartes, les Bochards & d’autres Sçavans blanchis fous le harnois. La Providence, qui déjà la difpofoit à abdiquer plufieurs Couronnes, afin de profeffer librement la Religion Catholique, lui infpiroit-elle une prédilection fecrete pour un Laïque que fes vertus morales & fon zele pour les vérités révelées deftinoient à l’Epifcopat ?

 

Il y fut élevé par le choix du Prince le plus judicieux qui fe foit affis fur le Thrône de Clovis, & qui l’avoit déjà diftingué entre plufieurs perfonnes illuftres, en le nommant un de ceux qui doivent travailler à l’éducation du Dauphin fon fils. Quelle preuve du mérite de votre prédéceffeur qu’une telle préférence, obtenue encore dans ces tems heureux, où le Ciel avoit fait naître une infinité de perfonnes d’un génie rare & d’une capacité furprenante en toute forte de profeffion, afin que LOUIS xivN, qu’il avoit donné à la France pour être un de fes plus grands Rois, trouvât fous fa main des hommes capables d’entrer dans les vûes & dignes de concourir à fes deffeins ! Il fembloit que la Nature rajeunie eût entrepris alors de fe furpaffer elle-même dans la plus noble de fes productions ; & la poftérité étonnée parlera du fiecle de LOUIS LE GRAND, ainfi que du fiecle du pere d’Alexandre & du fiecle d’Augufte.

 

Vous nous aiderez, MONSIEUR, à celebrer la mémoire de ce grand Roi. Vous exciterez notre émulation en nous rapportant les traits ingénieux dont les Écrivains de l’Antiquité fe font fervis pour rélever l’éclat des grandes actions de plufieurs Héros, qui ne furent jamais auffi dignes de ce titre que LOUIS XIV.

 

Pourquoi faut-il que fon Succeffeur n’ait pas fait fous un tel maître l’apprentiffage du grand Art de regner ? Mais la fageffe & les autres vertus de ceux qui enfeignent au Jeune Prince à être un grand Roi & un Roi Chrétien, lui prêtent le même fecours que les aftres créés pour nous éclairer après le coucher du foleil, prêtent à des voyageurs privés de fa clarté. LOUIS LE GRAND, vos deffeins s’accompliffent, & votre Succeffeur fera capable de régner avant que le tems où il doit régner par lui-même foit arrivé. Son enfance plus éclairée que la jeuneffe ordinaire, eft ce qui frappe davantage les hommes partis des extrémités de l’Europe pour lui venir offrir l’amitié de leurs Souverains. Ils la trouvent encore plus furprenante que la pompe de la Cour de France, & que les magnificences les plus nouvelles à leurs yeux.