Funérailles de M. de Rémusat

Le 8 juin 1875

Jules SIMON

ACADÉMIE DES SCIENCES MORALES ET POLITIQUES.

DISCOURS

DE

M. JULES SIMON

PRONONCÉ

AUX FUNÉRAILLES DE M. DE RÉMUSAT
Le 8 juin 1875.

 

MESSIEURS,

Je ne veux rien dire, après tous ces discours, ni de la vie de M. de Rémusat, ni de ses écrits, ni de ce qu’une amitié de trente ans m’avait laissé lire dans ce cœur si passionné et si tendre. Mais je l’ai vu à Bordeaux en 1871. J’étais avec lui, un an après, dans ce ministère qui a eu la lourde tâche de terminer une guerre civile sous les yeux de l’ennemi, de délivrer le territoire, de refaire l’armée, les finances, l’administration, de rendre la vie au travail et au commerce, d’apprendre à l’Europe que la France vaincue méritait encore d’être honorée et respectée.

Une douleur immense. que tous ici nous comprenons, et devant laquelle nous nous inclinons, empêche celui qui fut alors le vrai et le seul sauveur de notre pays de dire sur cette tombe ce qu’il dut de consolation et de force à cet ami incomparable, à ce vaillant et puissant esprit, à ce grand citoyen. Pendant que le public, toujours prêt au découragement ou à l’espérance, croyait la paix assurée, chaque heure, chaque minute apportait un incident qui pouvait tout compromettre. Ce qu’on avait gagné laborieusement, péniblement, paraissait tout à coup perdu, anéanti. Il fallait recommencer les négociations sur d’autres bases, trouver chaque fois pour une nouvelle difficulté de nouvelles ressources, cacher au public ces désappointements, ces terreurs. pour ne pas le jeter dans le désespoir ; affronter les reproches injustes de ceux qui ne savaient pas, qui ne voyaient pas, qui se plaignaient avec aigreur des concessions les plus nécessaires, parler au nom de la France humiliée et vaincue, — c’était là surtout la tâche de Rémusat, — un langage qui ne fût jamais indigne ni de son passé ni de son avenir.

Quand il tomba du pouvoir avec son ami et son chef, la libération du territoire était consommée ; la fondation d’un gouvernement définitif, à la fois conservateur et libéral, était assurée pour un avenir prochain.

Nous devançons le jugement de la postérité en disant que la République perd aujourd’hui un des hommes qui l’ont servie avec le plus de courage moral, de droiture et d’efficacité.

À mesure que la lumière se fera sur l’histoire de ces dernières années, on connaîtra mieux la dette de la patrie française envers Charles de Rémusat.

Quant à ceux qui depuis tant d’années étaient habitués à le regarder comme le plus fidèle ami, comme le modèle le plus noble et le plus sûr, ils sont impuissants pour exprimer leur douleur.