Funérailles de M. l'abbé Morellet

Le 14 janvier 1820

Jean-Louis LAYA

INSTITUT ROYAL DE FRANCE.

ACADÉMIE FRANÇAISE.

FUNÉRAILLES

DE M. L’ABBÉ MORELLET.

 

LE 14 Janvier 1819, ont eu lieu les funérailles de M. l’Abbé MORELLET (André), Membre de l’Académie Française. Après le service funèbre, M. CAMPENON, Membre et Directeur de l’Académie, a prononcé un discours. Ensuite M. Lava, chancelier, a dit :

 

MESSIEURS,

Nous perdons, en la personne de notre vénérable doyen, l’un de nos amis les plus dévoués, l’un de nos guides les plus éclairés et les plus sûrs. En lui s’était retirée toute l’expérience de ce XVIIIe siècle, qui, comme tout ce qui jette un grand éclat, a ses admirateurs et ses détracteurs. M. Morellet en était, au milieu de nous, la vivante image : il avait vécu avec toutes les grandes renommées de ce siècle, s’était nourri de leur esprit qu’il rappelait dans ses entretiens comme dans ses ouvrages, s’était rempli de leurs principes qu’il professa avec la retenue d’un sage qui s’arrête où l’abus commence, et ne se permet d’excès que dans les sentimens généreux. Les seules fautes qu’on ait quelquefois à reprendre dans ces mouvemens exaltés, sont celles qui sont commises dans un entraînement trop rapide vers un but d’utilité et de grandeur : on s’est mépris au choix des moyens, sans s’être trompé dans la fin que l’on poursuivait. Les esprits les plus chagrins et les plus sévères n’auraient à remarquer, dans toute la vie de M. Morellet, que quelques-unes peut-être de ces respectables erreurs. Ah ! qu’il est heureux de faillir ainsi, qu’il est heureux de pouvoir se dire, à sa dernière heure : « Toutes mes pensées, toutes mes actions ont été pour mon pays : citoyen, j’ai recherché les vraies sources de la prospérité publique, pour les épurer et les agrandir ; philosophe, j’ai envisagé la morale dans ses principes les plus élevés, dans ses applications les plus salutaires ; écrivain, j’ai voulu que ma plume fût l’arme défensive de l’opprimé contre l’oppresseur ; homme privé, enfin, j’ai senti que je devais à ce qui m’entourait le bonheur que je désirais pour moi-même.

Le respectable confrère que nous pleurons n’a pas eu une seule pensée qui ne tendît à tous ces buts. En trois mots, j’ai dit toute sa vie. Il n’a étudié les hommes qu’afin de les rendre plus heureux, leurs institutions que pour les perfectionner : toutes ses veilles, tous ses jours ont été consacrés à l’accomplissement de ce grand projet. Ses jours ont été nombreux : c’est dire que ses travaux sont innombrables, nul n’ayant connu mieux que lui l’emploi du temps : nul n’ayant, plus que lui, senti le besoin, l’irrésistible besoin de l’étude. Ce besoin est un bienfait du ciel dans celui qui, à l’exemple de M. Morellet, n’a jamais songé à le satisfaire qu’à l’avantage de ses semblables, et souvent au risque de ses jours : et nous l’avons vu, lorsque, révolté d’une atroce législation, et faisant de ses talens, fruits de l’étude, le plus honorable usage, il brava de grands perils pour réparer de grandes injustices. Familles de la France, qu’il a fait sortir du goufre de la misère et de l’infortune, ah ! sans doute il retentit encore dans vos cœurs ce cri[1] courageux qu’il fit entendre en votre faveur devant des hommes affamés de votre patrimoine, et deja prêts à le dévorer ! Ce cri a percé jusqu’aux extrémités de ce royaume ; et, n’en doutons pas, il sera monté jusqu’au ciel, où le juge suprême, touché par un si rare dévouement et par la reconnaissance des familles, a peut-être acquitté déja leur dette sacrée.

 

[1] Le Cri des Familles en faveur des parents des condamnés, ouvrage de M. Morellet.