Funérailles de M. le comte de Ségur

Le 30 août 1830

François-Auguste PARSEVAL-GRANDMAISON

FUNÉRAILLES DE M. LE COMTE DE SÉGUR

DISCOURS PRONONCÉ

SUR LA TOMBE DE M. LE COMTE DE SÉGUR,

PAR LE DIRECTEUR DE L’ACADÉMIE FRANÇAISE.
LE 30 AOUT 1830.

 

MESSIEURS,

PRESSÉ du besoin d’exprimer, au nom de l’Académie, les regrets que lui inspire la mort de notre illustre confrère, je viens faire à sa dépouille mortelle un triste et dernier adieu.

Naguère encore, il semblait nous annoncer ce fatal instant, quand nous lui donnions son fils pour collègue, et nous disait d’une voix émue, que nous venions d’embellir ses derniers jours ne pouvant en reculer le terme très-prochain. Ces paroles, les dernières qu’il a prononcées parmi nous, et que les anciens eussent appelées novissima verba, nous parurent un douloureux présage de la triste cérémonie qui nous rassemble autour de ses débris.

Avant de le quitter, avant que la terre retentisse en tombant sur le cercueil qu’elle va faire disparaître, regardons un moment ce qui reste de l’homme qui a réuni les qualités les plus aimables et les plus diverses, dont la conversation sage sans pédantisme, et légère sans frivolité, cachait toujours l’instruction sous l’agrément, dont le style, aussi pur lorsqu’il parlait que lorsqu’il écrivait, révélait toutes les connaissances réunies du diplomate, de l’historien et de l’homme d’état. Son esprit complaisant se mettait à la portée de tout le monde, et cachait sa supériorité sous un air de simplicité modeste, ne montrait que sa bienveillance pour ceux qui l’écoutaient, et même, en combattant leurs idées, faisait passer la contradiction sous les formes de la plus obligeante politesse. Jamais personne n’a mieux rempli le précepte d’Horace qui recommande d’être tour-à-tour homme du monde, orateur, poète, historien, et de cacher sous une légèreté apparente le fruit des méditations les plus profondes.

Mais c’était surtout lorsqu’il exprimait les sentiments de son âme que ses pensées paraissaient couler de source ; c’était alors que le bon père, le bon époux et le bon ami faisaient oublier l’homme d’état. Ses discours s’éloignaient autant de la flatterie que de l’épigramme, mais ils portaient le caractère d’une bienveillance extrême pour les autres, et jamais on ne fut aussi indulgent, avec autant de titres pour être sévère.

J’anticiperais sur les droits de son fils, si je m’attachais à peindre ses sentiments d’affection pour sa famille. Un parfum de bonté et de sensibilité spirituelle semblait se répandre dans l’atmosphère qu’il respirait. Je m’arrête, et j’attends qu’une voix plus éloquente que la mienne rende à celui que nous regrettons le témoignage dont il est digne. Eh ! qui peut mieux que l’héritier de son nom comme de ses vertus, retracer, en des pages éloquentes, les qualités non moins solides qu’aimables du confrère illustre que nous avons perdu. Les regrets de l’amitié, quelque tendres qu’ils puissent être, doivent se taire devant ceux d’un fils, dont le cœur est déchiré par une perte aussi grande. C’est à son âme qu’il appartient de nous apprendre, dans ses récits, tout ce que nous ignorons de son noble père, et d’y consacrer ses vertus comme il a consacré lui-même son talent dans ses ouvrages immortels.