Funérailles de M. René Boylesve

Le 18 janvier 1926

Georges LECOMTE

Funérailles de M. René Boylesve

Le lundi 18 janvier 1926

 

DISCOURS

DE

M. GEORGES LECOMTE
MEMBRE DE L ‘ACADÉMIE
AU NOM DE LA SOCIÉTÉ DES GENS DE LETTRES

 

 

MADAME,
MESDAMES, MESSIEURS,

Dans le beau jardin à la française qu’est l’œuvre claire, harmonieuse, ordonnée et pourtant libre, de René Boylesve, nous aurons désormais la tristesse de nous promener sans lui. Quel chagrin ! Elle est tellement à sa ressemblance !

En relisant ses livres, en pensant à lui, que de fois nous réentendrons sa voix profonde et douce, où passait soudain le rire d’un enjouement narquois ! Que de fois nous reverrons son regard passionné, tour à tour gai et mélancolique ! Et, en nous remémorant certaines de ses paroles, nous retrouverons les gestes si expressifs, bien que toujours contenus, de ses belles mains fines.

Je le revois, élégant, discret, portant noblement sur un corps fragile, ce fier visage dont la gravité vendômoise mêlait de je ne sais quel accent oriental. Par sa maigreur racée, René Boylesve faisait songer à Ronsard, peut-être aussi à l’un de ces gentilshommes à fraise qui surgissent, émaciés et fervents, des sourdes toiles du Greco.

Ce qui, dès l’abord, surprenait en lui, c’était ce front lumineux, dégagé, puis, sous ce puissant volume, les yeux, des yeux magnifiques, immenses, brûlants, tout miroitants, semblait-il, d’un grand mirage intérieur, des yeux de poète et d’observateur, emplis d’esprit, de rêve, d’intelligence.

Qui pourra jamais nous faire oublier cette charmante figure, cette distinction volontairement effacée, rare et discrète, cette élégance réservée qui dégageaient un charme si prenant ? Ce ne sera, certes, pas l’œuvre de René Boylesve, toute construite à son image et où, comme en un pur miroir, se reflète si fidèlement l’homme qu’il était.

Comment ne pas sentir les affinités secrètes qui rattachent par de si profondes racines l’œuvre de René Boylesve aux lignes et aux couleurs de son horizon natal ? Elle en a les teintes mouillées, les nuances frémissantes, la lumière argentée, les sobres, légères et transparentes harmonies !

C’est toute la douceur et toute la grâce angevines, et cette mélancolique beauté qui inspira leurs plus émouvants accents à un Joachim du Bellay, à un Pierre de-Ronsard.

Et dans l’œuvre de René Boylesve comme dans l’œuvre des deux grands poètes angevin et vendômois, le parfum des jardins italiens, voluptueux et sensuel, se mêle au parfum qui s’élève du vieux Bocage royal.

Car c’est un accent profond de poésie qui s’exhale de ces beaux livres. René Boylesve n’a jamais cessé de demeurer, avant tout, un poète. C’est le poète que nous admirons dans le Parfum des Iles Borromées, et qui mêle à la mort de si voluptueux et de si déchirants accents. C’est le poète qui vibre encore aux pages du Meilleur ami, d’Elise, où le beau visage de l’Amour apparaît plus sentimental, plus tendre.

Et quel poète encore, l’écrivain de la Leçon d’amour dans un parc ! Où tant d’autres eussent cédé, en contant ce conte, à un libertinage forcé, René Boylesve est demeuré dans les limites de l’impertinence galante et de la grâce la plus française, et l’on pourrait, sur tel visage féminin évoqué par les délicats pinceaux d’un Boucher, d’un Lancret, d’un Fragonard ou d’un Watteau, retrouver les séductions charmantes dont René Boylesve a paré telles de ses héroïnes. Cette circonspection, cette discrétion dans les hardiesses les plus osées, n’est-ce pas encore le miracle natal et tout ce que Boylesve hérita, de sobre et de pur, de notre douceur angevine ?

Si, délaissant un jour les grandes fresques passionnées pour l’étude des mœurs provinciales, l’écrivain est allé vers de plus humbles et plus simples images, c’est cette même poésie qui le maintient dans ce sens délicat des nuances discrètes, dans cette sereine et indulgente philosophie, qui adoucissent les pointes d’une ironie désabusée. René Boylesve se contente d’observer ou plutôt d’imaginer, selon les données de la vie, puis de transcrire. Il n’appuie jamais. Le comique se dégage avec aisance des faits et des personnages qu’il nous présente. Il ne cède pas au sarcasme, aux indignations. Il plane au-dessus de ses personnages, à la façon des dieux d’Homère.

Et, comme eux, il demeure toujours pitoyable à leur faiblesse, toujours humain à la façon des vrais, des grands poètes. La poésie ! Nul ne l’aime d’un cœur plus passionne.

Je parle de lui comme s’il était encore debout au milieu de son œuvre. C’est à dessein. Ne cessons pas de penser à lui, comme si nous l’avions près de nous, dans sa séduction et dans sa force. Ce moyen est en notre pouvoir de prolonger spirituellement sa vie, d’entendre toujours la leçon de haute raison, de sagesse clairvoyante et pourtant indulgente qu’il nous donne avec tant de noblesse, de sensibilité, de goût, d’art, et avec un si fervent amour de la beauté.