20e anniversaire de la fondation de la maison des écrivains belges de langue française, à Bruxelles

Le 15 octobre 1966

Jacques CHASTENET

COMMÉMORATION DU 20e ANNIVERSAIRE
DE LA FONDATION DE LA MAISON DES ÉCRIVAINS BELGES
DE LANGUE FRANÇAISE

à BRUXELLES, le 15 octobre 1966

DISCOURS

PRONONCÉ PAR

M. JACQUES CHASTENET
délégué de l’Académie française

 

 

Monsieur le Ministre,
Monsieur le Bourgmestre,
Mesdames, Messieurs,

C’est avec empressement que, sur l’aimable invitation de l’Association des Écrivains belges de langue française, l’Académie française s’est fait représenter à la commémoration du vingtième anniversaire de la fondation de la Maison des Écrivains. Son secrétaire perpétuel M. Maurice Genevoix, et moi-même avons été fort heureux que l’honneur nous soit échu d’être ses délégués.

Notre Compagnie, nul ne l’ignore, a pour mission essentielle de maintenir la pureté de la langue française et de prendre soin que, dans sa nécessaire évolution, elle ne s’écarte point de son génie. Si, en vertu d’un règlement trop ancien et vénérable pour que l’on ose y toucher, l’Académie n’est composée que de régnicoles, elle est loin de considérer que le français n’appartient en propre qu’au territoire de la France. Elle pense au contraire que, merveilleux instrument de communication entre les peuples, il est, par-delà les frontières politiques, la chose de toutes les contrées où il est couramment parlé et écrit. C’est dire la haute importance qu’elle attache à la Belgique francophone et le respect qu’elle lui voue.

Comment en effet pourrait-on oublier que cette Belgique a donné et donne toujours des romanciers, des auteurs dramatiques, des poètes, des essayistes, des historiens qui, sous un éclairage original, ont beaucoup ajouté, et continuent d’ajouter, à la gloire des lettres françaises et à leur universel prestige ?

L’histoire est ancienne de la compénétration littéraire de nos deux pays et, dans sa préface au dernier Annuaire de l’Association, M. le ministre Wigny a eu raison d’écrire que « de la Cantilène de Sainte-Eulalie aux romans d’aujourd’hui, le flot a été continu ».

Voici deux ans, j’ai eu le privilège de représenter l’Académie française à l’occasion de la célébration du cent cinquantième anniversaire de la mort du prince de Ligne, ce Belge du Hainaut qui fut non seulement un charmant, mais un excellent écrivain français. Il a eu de brillants successeurs en tout genre et la liste est extrêmement longue de vos compatriotes auxquels la littérature française doit a la fois enrichissement et impulsion.

La reconnaissance de ceux qui ont souci de notre langue commune doit être grande pour votre Association qui, à côté de l’Académie royale de Langue et de Littérature françaises, mais sur un plan différent, s’emploie à perpétuer une grande tradition.

Nous sommes aujourd’hui spécialement réunis pour commémorer la fondation d’une institution particulière à la Belgique et d’une utilité rare : j’ai nommé la Maison des Écrivains.

C’est en 1945 que cette maison fut créée, sur l’initiative de M. Eugène Flagey, maire d’Ixelles, et grâce au généreux concours de Mlle Marie Lemonnier, fille de l’illustre écrivain. L’inauguration eut lieu le 15 septembre 1946 ; l’Académie française y était représentée par le regretté amiral Lacaze et par M. Jules Romains qui est, lui, heureusement toujours bien vivant et produisant.

Cette fondation allait permettre à l’Association des Écrivains belges de langue française, originairement surtout vouée à la défense des intérêts matériels et moraux de ses membres, de diversifier beaucoup ses activités et de multiplier les services qu’elle rendait déjà.

Les collections du Musée Camille Lemonnier, partie intégrante de la Maison, offrent, en iconographie, en ouvrages imprimés, en manuscrits et en liasses de lettres autographes, un inestimable trésor où peuvent puiser tous ceux qu’intéressent la période littéraire s’étendant de 1865 à 1913 et, plus spécialement, la grande époque du renouveau des lettres belges. Ces collections ne cessent d’être enrichies par les soins de l’Association, et il s’y ajoute aujourd’hui une Bibliothèque des lettres françaises de Belgique aussi complète que commode d’accès.

D’autre part le vieil et bel hôtel où — grâces en soient rendues à la municipalité d’Ixelles — est installée la Maison des Écrivains constitue un cadre d’une délicate élégance pour les nombreuses réceptions, soirées littéraires, distributions de prix, conférences, séances de lecture, tables rondes de critique organisées par les soins de l’Association. Il existe là un centre de culture remarquablement vivant, chaudement rayonnant, et qui contribue beaucoup à diffuser, parmi le grand public, la connaissance du mouvement littéraire, de ses créations et de ses succès. C’est une remarquable adaptation aux besoins du monde moderne; c’est, très exactement, le contraire d’une Tour d’ivoire.

J’ajoute qu’une excellente revue, Nos Lettres, permet à ceux qui, Belges ou Français, ne viennent que rarement à Bruxelles, d’être tenus au courant des activités de la Maison des Ecrivains et, plus généralement, des flux et reflux de la vie littéraire. J’aurai garde enfin d’oublier cet Annuaire, dont une édition largement complétée vient d’être publiée et qui, avec son répertoire bibliographique, offre un très précieux instrument de travail.

Mesdames, Messieurs, la langue française subit aujourd’hui de rudes assauts. Peut-être au fond lui reproche-t-on surtout d’être trop claire, trop précise et de ne se pas prêter assez à de commodes équivoques. Je la crois cependant douée de vertus telles que ces assauts seront victorieusement repoussés.

Si l’on veut néanmoins que la victoire soit certaine, l’effort des bons combattants doit être poursuivi sans la plus légère défaillance. De ce point de vue on ne saurait trop louer l’œuvre à laquelle s’attache la Maison des Écrivains, œuvre non seulement de défense, mais d’illustration et de propagation de la langue française, ainsi que de la culture qui est inséparable d’elle.

Pour cette œuvre, je prie les animateurs, tant de l’Association que de la Maison des Écrivains, et, singulièrement, le si dévoué président M. Dopagne, d’accepter l’expression de la gratitude fraternelle de l’Académie française.