Dire, ne pas dire

Mésaise

Le 9 septembre 2014

Expressions, Bonheurs & surprises

La forme mésaise est aujourd’hui un archaïsme, alors qu’elle était très fréquente en ancien français et désignait un malaise, une maladie, mais aussi un trouble, une souffrance. Elle a d’ailleurs donné naissance à de nombreux dérivés verbaux, nominaux ou adjectivaux. Ainsi lit-on dans Le Chevalier à la charrette, de Chrétien de Troyes :

« Meuz se vouloit mesaiesier / Que cheoir dou pont et baignier / En l’eve. » (Il préférait souffrir que de tomber du pont et tremper dans l’eau.)

Et, dans Perceval :

« Que j’aim mielz soufrir la mesese / Et mon cuer avoir triste et noir / Que ne face vostre vouloir. » (J’aime mieux souffrir ce mal et avoir le cœur triste et noir, plutôt que de ne pas agir selon votre volonté.)

Cette forme mésaise est bien sûr dérivée du nom aise, tiré du latin adjaceus, altération de adjacens, participe présent de adjacere, qui signifie proprement « être couché à côté de », puis « toucher, voisiner ». Par son étymon latin, aise est donc apparenté à des termes comme gésir et adjacent, mais aussi à des formes plus lointaines et plus difficilement reconnaissables car elles ont cheminé d’une langue à une autre. L’ancien français aise a été emprunté par l’italien qui en a fait la forme asio, puis agio et enfin aggio, et l’a doté d’un nouveau sens, celui de « bénéfice » : c’est justement en ce sens que le terme agio a réapparu en français au xviie siècle et c’est de là que provient notre terme agio désignant essentiellement les frais décomptés par une banque pour une avance sur un compte courant. Un siècle plus tard, nouvel emprunt du français à l’italien dans le vocabulaire de la musique : l’adverbe adagio, proprement « à son aise », d’où « lentement, en douceur », permet d’indiquer le rythme sur lequel doit être joué tel ou tel morceau puis désigne, substantivement, une pièce composée dans ce tempo.

Quant au préfixe més- de mésaise, que l’on trouve aussi sous la forme mes- ou mé-, il est issu du francique *missi, qui marque la différence, la divergence, puis l’échec. On le retrouve dans quelques mots en français comme mésalliance, messéance, mésaventure, mécréant, méchant (dont la forme ancienne était mescheant), médire, méfaire, etc. S’il a été supplanté en français par le préfixe d’origine latine mal-, il est resté très présent dans les langues anglaise et allemande. Il est à l’origine du préfixe allemand miß-, que l’on trouve, par exemple, dans Mißachtung, « mépris, dédain », Mißbrauch, « abus », mißfallen, « déplaire », et du préfixe anglais mis-, que l’on trouve dans mischance, « malchance », to miscalculate, « faire une faute de calcul », mistake, « erreur », misunderstanding, « malentendu ».