Funérailles de M. le vicomte Henri de Bornier

Le 31 janvier 1901

Paul HERVIEU

INSTITUT DE FRANCE

ACADÉMIE FRANÇAISE

FUNÉRAILLES DE M. LE VICOMTE HENRI DE BORNIER

MEMBRE DE L’ACADÉMIE FRANÇAISE

Le jeudi 31 janvier 1901.

DISCOURS

DE

M. PAUL HERVIEU

MEMBRE DE L’ACADÉMIE

AU NOM DE LA SOCIÉTÉ DES GENS DE LETTRES

 

MESSIEURS,

La Société des Gens de lettres éprouve un profond sentiment de deuil, en adressant à Henri de Bornier le suprême adieu.

Il était entré en 1859 dans notre confraternelle famille. Par deux reprises, il accorda une collaboration de six années aux travaux du Comité. Deux fois, il fut vice-président. Et, — après qu’il eut enfin exercé la présidence, avec l’autorité de son nom, avec le charme vif de ses manières, avec son sincère dévouement, — il porta chez nous le titre de président honoraire, pour notre orgueil.

Si c’est à ses talents d’auteur dramatique qu’Henri de Bornier doit la part la plus éclatante de sa renommée, notre Société lui est particulièrement redevable de nombre d’ouvrages écrits pour la lecture, parmi lesquels on doit citer la Lizardière, le Jeu des Vertus, un Cousin de Passage, toute une collection de romans contemporains et de critiques dramatiques, des nouvelles et des contes, des scènes de la vie de château, où s’atteste une conscience scrupuleuse, qui sut être aussi cordialement enjouée.

Parmi les autres pages d’Henri de Bornier qui soient un bien personnel de la Société des Gens de lettres, nous serions ingrats de ne pas mentionner la correspondance que nous tenons de lui, par quarante-deux années d’inoubliables relations.

Ce sont presque toujours de courtes missives dictées par des raisons administratives, où jamais on ne lit le propre intérêt, mais le souci d’un débutant à encourager, d’une misère à soutenir. Et combien de fois revient le scrupule, quand Henri de Bornier est membre du comité, de s’excuser par avance, si un empêchement lui impose une bien innocente absence, qu’il envisage pourtant comme un manquement au devoir. Et, quand il est président, — s’il se voit menacé d’être retenu par la grippe, sa perpétuelle ennemie dont il devait être suivi jusqu’au tombeau, — toujours un mot de courtoise modestie envers le suppléant éventuel qui, dit-il, tiendra mieux sa place que lui-même.

Mais, dans ce recueil précieux à notre affection, une lettre évoque particulièrement la physionomie du noble compagnon que nous avons perdu, et celle de son œuvre, qui lui survivra : Ce sont quatre lignes, datées de l’Arsenal, le 24 septembre 1870, dans lesquelles Henri de Bornier adhère à « la protestation formulée par le comité des Gens de lettres, contre le bombardement possible des bibliothèques, musées et monuments de Paris ». Cet élan de la plume, cet effort en apparence si grêle, cet espoir confiant et digne dans ce que peut l’expression de la pensée contre la brutalité des choses, cela ne résume-t-il pas la carrière du vaillant écrivain, et le secret de ses triomphes littéraires ?

Tandis que la Société des Gens de lettres gardera un souvenir d’ineffaçable gratitude à Henri de Bornier, ceux qui ont eu l’honneur de l’y rencontrer aimeront à redire quelle énergie morale, quelle force de travail, quelle généreuse puissance habitaient ce corps de petite taille, qu’on ne regardait pas reprendre sa route, sans qu’on eût une réminiscence des derniers vers de la Fille de Roland.

Inclinez-vous,
Devant celui qui part : il est plus grand que nous.