Funérailles de M. le comte de Volney

Le 28 avril 1820

Jean-Louis LAYA

INSTITUT ROYAL DE FRANCE.

ACADÉMIE FRANÇAISE.

FUNÉRAILLES

DE M. le Comte de VOLNEY.

 

Le 28 avril 1820 ont eu lieu les funérailles de M. le comte DE VOLNEY, Membre de l’Académie française. Après le service funèbre, M. LAYA Membre et Directeur de l’Académie, a prononcé le discours suivant :

 

MESSIEURS,

QUINZE mois se sont à peine écoulés, depuis que nous sommes venus déposer dans cette enceinte la dépouille mortelle de notre respectable doyen. Faut-il que ces tristes lieux nous revoient si tôt, dans le même appareil funèbre, accompagnant des mêmes regrets le dernier cortége d’un autre sage, en qui l’on voyait revivre l’esprit des philosophes du Portique ! Oh ! que l’aspect seul des objets qui nous environnent ; que ces inscriptions, dernier hommage d’une pieuse tendresse ; que ces urnes qui renferment de si chères cendres ; que ces pierres silencieuses, qui parlent si hautement à l’ame affligée ; que ces croix, signes d’un dévouement divin ; et que ces arbres, qui protégera de leur feuillage hospitalier le domaine de la destruction ; que tout ce qui frappe ici nos regards est bien fait pour confondre notre vanité, en nous prouvant que tout est vain, en nous, et autour de nous !

Ici, le philosophe vient s’instruire en même temps que le chrétien : l’un et l’autre y peuvent méditer sur le néant de la vie ; ils peuvent l’un et l’autre se prémunir, par lei avertissements trop fréquents qu’ils y reçoivent, contre les séductions de la vaine gloire. Où sont, dans ce dernier séjour de l’homme, les vestiges de ces grandeurs qu’on tient du rang, de la naissance, du mérite même ? ces titres, ces cordons, ces ordres brillants, toutes les décorations inventées pour satisfaire l’orgueil des vivants, viennent se mêler ici aux in­signes lugubres de la mort. Heureux celui qui, à l’exemple du noble confrère dont nous déplorons la perte, n’a pas besoin de l’éloquente leçon que donnent ces tombes, pour mettre à leur juste taux les vains objets de l’ambition des hommes ! M. le comte DE VOLNEY était de ceux qui possèdent les dignités, sans que les dignités les possèdent ; il les regardait comme une de ces brillantes parures que l’on dépose à la fin de la journée. Placé, par la seule force de son caractère, au-dessus de toutes les grandeurs artificielles, il avait aspiré, dès ses jeunes ans, à une illustration réelle et durable, était digne d’obtenir — par la force de son esprit. Il était né, comme -a dit un orateur[1], avec cette heureuse intempérance de curiosité, qui fait que l’esprit est avide de tous les genres de savoir ; avec cette capacité d’intelligence qui peut embrasser ces divers genres d’érudition, sans qu’ils se mêlent et se confondent dans la mémoire. Son esprit éminemment philosophique, animé de l’ardeur de tout connaître (ce qui comprend le désir de tout observer), s’était accoutumé de bonne heure à étudier, dans leurs variétés si nombreuses, les diverses agrégations politiques des deux hémisphères, dont l’ensemble forme la race humaine. Cet amour des hautes idées spéculatives, tourné en habitude, donna à son caractère une indépendance, dont pouvaient s’étonner ceux-là seuls qui n’avaient pas su pénétrer la cause de cette disposition particulière de son esprit. Les personnes qui l’ont connu savent combien, dans le commerce de la vie, il était loin de se prévaloir de cette profondeur de vues, de cette supériorité de raison, de cette sûreté de jugement, qui semblait moins être en lui un fruit de l’étude, qu’un don de la nature… Pardon, Messieurs : j’allais entreprendre l’éloge de son esprit, en un lieu où l’on ne pourrait se permettre de célébrer que les qualités de son cœur. Dans quelques mois, celui que votre choix appellera à l’honneur de lui succéder, saura offrir à sa mémoire l’entier tribut d’hommages que méritent la fermeté de ses principes politiques, la dialectique précise de sa doctrine littéraire, la droiture de son ame, ses rares talents enfin, et toutes ses vertus privées. Ici, il n’est permis à la douleur que d’exprimer des regrets ; il lui est interdit d’honorer une gloire mondaine. Eh ! qu’est-ce que le génie d’un homme, au regard de celui qui a formé le génie de tous les hommes ? La gloire humaine n’est gloire qu’aux yeux des mortels. Il n’y a de précieux devant Dieu, que ce rayon émané de Dieu même, qui se réunit à sa source lumineuse, après la séparation des liens de chair qui le retenaient au monde.

 

[1] Fléchier.