Funérailles de M. Jules Simon

Le 13 juin 1896

Henry HOUSSAYE

INSTITUT DE FRANCE.

ACADÉMIE FRANÇAISE.

FUNÉRAILLES DE M. JULES SIMON

MEMBRE DE L’ACADÉMIE

Le samedi 13 juin 1896

DISCOURS

DE

M. HENRY HOUSSAYE

MEMBRE DE L’ACADÉMIE FRANÇAISE
PRÉSIDENT DE LA SOCIÉTÉ DES GENS DE LETTRES

 

MESSIEURS,

Au cours de sa vie si remplie, M. Jules Simon a été président de la Société des Gens de Lettres. Ce sont les regrets et la reconnaissance de cette association des écrivains français que je veux exprimer.

L’année de présidence de M. Jules Simon fut des plus heureuses et des plus fécondes pour la Société ; et, dans la suite, il ne cessa pas de lui témoigner son intérêt. Chaque fois qu’on s’adressait à lui, on trouvait chaud accueil et ferme appui. Plus il avait rendu de services, plus il en voulait rendre. Mais avant le bienfaiteur, la Société des Gens de Lettres se rappellera l’écrivain dont le nom est inscrit au Livre d’Or de ses présidents, à côté de ceux de Balzac et de Victor Hugo.

« Si jamais tu deviens auteur, » dit jadis à M. Jules Simon un vieux prêtre d’Auray. Il est si bien « devenu auteur » que, sans compter son œuvre de journaliste, il a écrit plus de cinquante volumes, d’une plume rapide et facile, mais toujours élégante, souple, pure et imprégnée de grâce attique. Ce n’est pas en vain qu’il avait été secrétaire de Victor Cousin, quand celui-ci traduisait Platon.

Ces livres, infiniment variés, c’est l’histoire de l’École d’Alexandrie, c’est la Liberté de conscience, le Devoir, l’Ouvrière, l’École, les Souvenirs du 4 septembre, le Gouvernement de M. Thiers, une Académie sous le Directoire, Victor Cousin, chef-d’œuvre d’ironie ; l’Affaire Nayl, poignant récit de cour d’assises, écrit avec la simplicité magistrale d’un Mérimée qui aurait du cœur. Je citerai encore les Mémoires des autres, qui sont dans l’œuvre de Jules Simon ce que sont les Souvenirs de jeunesse dans l’œuvre d’Ernest Renan ; et où, parmi tant de charmantes pages, brille comme un conte de Voltaire Colas, Colasse et Colette.

Quand on vient de retracer devant vous la carrière politique de M. Jules Simon, ses paroles et ses actes pendant sa longue existence vouée tout entière au bien, à la liberté, à la France, les grandis événements, enfin, auxquels il fut mêlé, j’ai presque scrupule de parler de l’Affaire Nayl et de Colas, Colasse et Colette. Ce n’est point parce qu’il a écrit cela que le pays lui fait ces nobles et splendides funérailles, que les troupes sont sous les armes, les drapeaux cravatés de noir et qu’autour de son cercueil s’amoncellent les couronnes et les brassées de palmes. Ces honneurs suprêmes sont rendus à l’orateur, à l’homme d’État, au grand citoyen. Mais la décevante postérité est ingrate et fantasque. Peut-être dans vingt ou cinquante ans aura-t-on oublié le rôle politique de M. Jules Simon, tandis qu’on lira encore l’Affaire Nayl. Qui sait si ce n’est pas par ce petit livre qu’il vivra dans la mémoire des hommes ?