Discours sur les prix de vertu 1903

Le 26 novembre 1903

Paul THUREAU-DANGIN

DISCOURS SUR LES PRIX DE VERTU

PAR

M. THUREAU DANGIN

DIRECTEUR DE L’ACADÉMIE FRANÇAISE

Le 26 novembre 1903

 

MESSIEURS,

Chaque année, quand il nous faut remplir la tâche que nous ont assignée M. de Montyon et ses imitateurs, force est bien de nous avouer que le public nous observe avec un sourire quelque peu railleur. Les auditeurs habituels de ces séances sont trop courtois pour le laisser voir. Mais on ne se gêne pas au dehors. La raison de ce sourire est facile à discerner : il ne s’adresse certes pas aux vertus que nous récompensons ; il s’adresse à ceux qui paraissent s’ériger en juges de ces vertus. « Vous, juges de la vertu, nous disent ces critiques, à quel titre ? Vous représentez la littérature. Quel lien y a-t-il entre la littérature et la vertu ? N’y aurait-il pas plutôt opposition ? N’est-il pas admis que littérature vertueuse est synonyme de littérature ennuyeuse ? N’a-t-on pas érigé en théorie que l’art n’avait pas à se préoccuper des conséquences morales de ses œuvres ? Qu’est-ce que vos romans les plus lus, vos pièces de théâtre les plus courues, sinon l’exaltation ou tout au moins la peinture complaisante de la passion en révolte contre le devoir, et souvent la mise en scène de réalités avilissantes ou de frivolités corruptrices ? N’est-ce pas aussi la passion plus que le devoir qui sert de thème à la poésie, et les poètes ne sont-ils pas plus empressés à nous faire confidence de leurs faiblesses que de leurs victoires morales ? Et même, dans un ordre d’idées plus austère, la philosophie avec ses audaces, comme avec ses mécomptes et ses incertitudes, n’a-t-elle pas plus travaillé à ébranler qu’à affermir les fondements du devoir, et n’en est-on pas venu à insinuer que ceux qui sacrifiaient leur jouissance à la vertu, dans l’espérance d’une compensation future, pourraient bien être les dupes d’une illusion ? »

Le tableau, sans doute, est un peu poussé au noir. Pour coupable que soit la littérature, elle ne l’est pas à ce point. Si elle a troublé plus d’une imagination, faussé plus d’une intelligence, détruit plus d’une croyance, il ne faut pas oublier qu’il n’est pas une seule des grandes vérités, des pensées hautes et généreuses, dont se nourrit la vie morale de l’humanité, qui n’ait été propagée par la parole des orateurs ou par la plume des écrivains. Toutefois, sans chercher à faire ici une exacte ventilation du bien et du mal accomplis, nous devons reconnaître que l’œuvre de cette littérature est au moins mélangée, et qu’elle n’a pas cette intégrité indiscutable qu’on semble en droit d’exiger d’un juge de vertu.

Mais est-ce bien en cette qualité de juges que les fondateurs des prix Montyon nous ont chargés de distribuer leurs libéralités ? Est-ce bien pour avoir reconnu notre autorité en matière de vertu qu’ils nous ont imposé la tâche dont nous nous acquittons en ce jour ? Ne serait-ce pas à un sentiment très différent qu’ils ont obéi ? Qui nous dit qu’ils n’aient pas trouvé d’une leçon salutaire et piquante que cette littérature, trop souvent habituée à en prendre à son aise avec la morale, fût contrainte de rendre, une fois par an, un solennel hommage à la vertu ? Qui nous assure, en un mot, que cette tâche, au lieu d’être un honneur, ne soit pas une sorte de pénitence ?

« Vous, écrivains, ont-ils peut-être voulu nous dire, vous avez trop souvent paru trouver la peinture du vice plus piquante, plus dramatique, d’un succès plus facile que celle de la vertu. Vous serez condamnés à intéresser un auditoire délicat et difficile entre tous, en lui refaisant, chaque année, le même discours sur la vertu, en louant devant lui, non pas des vertus éclatantes, de celles qu’un de mes confrères appelait ici « les vertus oratoires, qui s’adaptent naturellement au cadre de l’oraison funèbre et de l’éloge académique », mais des vertus obscures, monotones, je dirais des vertus terre-à-terre, si leur caractère propre n’était précisément de venir du ciel et d’y tendre.

« Vous, écrivains, semble-t-on encore nous dire, vous avez cru qu’une littérature vieille de tant de siècles ne pouvait plus trouver d’effets nouveaux que dans les complexités maladives d’un dilettantisme raffiné. Vous serez tenus de nous raconter des âmes d’une simplicité enfantine et de témoigner combien elles sont belles et attachantes.

« Vous avez jugé plus élégant de jouer du scepticisme, plus superbe de vous poser en révoltés. Vous devrez montrer tout ce que la vieille foi apporte de dignité et enfante d’héroïsme chez les petites gens qui n’ont jamais su ce qu’étaient vos doutes et vos négations.

« Vous avez caressé tous les orgueils de l’esprit, érigé en une religion nouvelle le culte du moi. Il vous faudra célébrer l’incomparable grandeur de l’humilité, la fécondité bienfaisante du sacrifice. »

Vu sous cette lumière, notre rôle ne parait-il pas tout différent de ce qu’on s’imaginait au premier abord ? Il est plus modeste, mais prête moins à la critique et à la raillerie. Plus n’est question, pour nous, en effet, d’exercer une sorte de magistrature dont nous aurions été investis à raison de notre compétence, mais de célébrer une cérémonie réparatrice à laquelle nous avons été condamnés à raison de notre péché. Nous ne prétendons pas pontifier en arbitres des qualités morales, mais accomplir, au nom de la littérature, le pèlerinage expiatoire qu’elle doit faire, une fois l’an, au pays lointain et trop délaissé par elle des humbles vertus.

Le jour est venu d’accomplir ce pèlerinage. Entreprenons-le avec les sentiments qui conviennent. Peut-être ne sera-t-il pas, pour ceux qui veulent bien nous y accompagner, sans profit ni charme. Il ne tiendra pas à moi que mes auditeurs n’y trouvent quelque chose des saines et douces émotions que j’ai ressenties en étudiant les dossiers où sont racontées les vertus de nos quatre-vingt-dix‑sept lauréats. Que ce gros chiffre, toutefois, ne vous épouvante pas. Je ne veux pas ouvrir devant vous tous ces dossiers : j’en choisirai seulement quelques-uns par lesquels vous pourrez juger des autres.

C’est en pleine Afrique équatoriale, dans la brousse du Gabon, que nous sommes allés chercher la titulaire de notre principale récompense. Sophie Villeneuve, en religion sœur Saint-Charles, est née en 1834, d’une de ces vieilles familles de la montagne aveyronnaise, fortement enracinées au sol natal, et cependant fécondes en apôtres des pays lointains : deux des neveux de la sœur Saint-Charles sont actuellement missionnaires en Chine. Toute jeune, elle avait projeté de se dévouer aux nègres d’Afrique, et était entrée, dans ce dessein, chez les sœurs de l’Immaculée Conception de Castres. Dès 1859, au sortir d’un noviciat plusieurs fois entravé par sa santé, mais toujours repris avec une inlassable énergie, elle était envoyée au Gabon. Le service de l’hôpital européen auquel elle fut affectée pendant quelques années, si pénible qu’il fût en ce climat, ne suffit pas à ses généreuses ambitions de missionnaire. Bientôt, elle trouva moyen de se donner entièrement aux noirs, aux plus misérables et plus délaissés d’entre eux, particulièrement aux femmes vieilles, malades, infirmes, dont, suivant l’expression d’un témoin, « personne ne voulait plus ». Bien que dépourvue de toutes ressources personnelles, elle parvient à établir, pour ces vieilles, une sorte d’hôpital, auquel elle joint un dispensaire, aussitôt très fréquenté, puis une léproserie, se réservant à elle seule, à cause de la contagion, le pansement des plaies et le lavage des linges. Ce n’est pas encore assez : l’hôpital prend ses matinées ; mais, dans la soirée, il lui reste quelques heures libres ; elle les emploie à battre le pays à la recherche des malheureux. Elle est arrivée à parler couramment la langue des indigènes. Rien ne l’arrête, ni le soleil meurtrier, ni les bêtes fauves, ni les sauvages plus féroces encore. Elle passe, active et sereine, sans autre arme que son chapelet, là où les Européens craignent de s’aventurer. M. de Brazza raconte quel fut son étonnement, quand, en 1873, jeune officier de marine, et déjà poussé par le démon de l’exploration, il s’était hasardé loin de la côte et avait aperçu tout à coup devant lui, au détour d’un sentier, une religieuse, marchant tranquillement avec deux petites négresses : c’était la sœur Saint-Charles.

Dans ces expéditions, les aventures ne lui manquaient pas : Un jour, en pleine forêt, elle rencontre une femme malade, incapable de marcher et abandonnée des siens. Elle n’hésite pas, la charge sur son dos, fait plusieurs lieues avec ce fardeau et la dépose triomphante dans son hôpital où elle la soigne et la guérit. Une autre fois, appelée auprès d’une mourante, elle est arrêtée par une rivière dont les eaux grossies ne permettent plus le passage à gué. Deux indigènes consentent à la prendre dans leur pirogue ; mais le courant est trop fort, la pirogue chavire. Sœur Saint-Charles, entraînée par le flot, parvient à s’agripper à un rocher au milieu du fleuve. Les noirs se sont enfuis. Elle est seule. Toute la journée, sous un soleil de feu, elle attend un secours qui ne vient qu’à la nuit. Aussitôt délivrée, son premier soin n’est pas de regagner sa demeure, mais de courir auprès de la malade qui l’a demandée, et elle ne rentre chez elle qu’après avoir pleinement accompli sa mission de charité.

Tant de dévouement a rendu singulièrement populaire chez les indigènes celle qu’ils appellent « leur mère » et à laquelle ils ont pris l’habitude de s’adresser dans tous leurs besoins Sa renommée s’est propagée au delà des tribus où s’exerce son action. M. de Brazza a trouvé au loin, dans l’intérieur des terres, trace de cette renommée parfois enveloppée d’une sorte de légende ; depuis longtemps déjà, nous dit-il, l’imagination de ces populations primitives se figure, comme un être mystérieux, la femme blanche qui s’est dévouée aux déshérités de leur race, et, dans leurs cases, il n’en ait parlé qu’avec un respect religieux.

Si occupée qu’elle fût de ses noirs, sœur Saint-Charles n’oubliait pas qu’elle avait commencé par être, à l’hôpital européen, « la petite mère » des matelots français. En 1885, une épidémie dangereuse sévit sur les marins du Catinat. L’équipage est décimé et, ce qui est pis encore, démoralisé. Le commandant débarque ses hommes et appelle la sœur Saint-Charles au secours. Grâce à ses soins dévoués et intelligents, à son énergique enjouement, le mal est enrayé, le moral remonté, l’équipage sauvé, et le ministre de la Marine adresse des remerciements à la vaillante religieuse.

Je pourrais prolonger indéfiniment cette belle histoire. Songez que sœur Saint-Charles a soixante-huit ans, qu’elle est au Gabon depuis quarante-trois ans, qu’elle ne l’a quitté qu’une fois en 1866, pendant quelques mois, pour remettre sa santé compromise par ce climat meurtrier, et qu’elle compte bien y continuer jusqu’à la mort son œuvre de dévouement. Dès lors, quand M. de Brazza, bon juge en fait d’héroïsme, et, avec lui, des administrateurs coloniaux, des médecins, des consuls, des agents de comptoirs, témoins de cette vie admirable, nous ont demandé instamment de lui attribuer une de nos récompenses, pouvions-nous hésiter ? Non, et l’Académie a décerné à la sœur Saint-Charles un prix de 3 000 francs. Sans doute nos petites couronnes sont bien peu de chose pour de telles vertus. L’humble et simple religieuse n’a certes jamais eu souci des prix Montyon et ce serait peut-être nous flatter que de nous assurer qu’elle connaît l’existence de l’Académie française. Du moins ne sera-t-elle pas embarrassée pour faire emploi de l’argent que nous lui envoyons.

L’Académie dispose rarement de ses prix en faveur de religieuses ou de religieux. Il lui semble que de leur part le dévouement soit naturel, attendu, en quelque sorte professionnel. De temps à autre, cependant, comme pour marquer qu’elle n’ignore ni ne méconnaît ce qu’il y a de vertu sous la cornette ou le voile, elle se décide à inscrire sur son palmarès quelqu’une de ces « bonnes sœurs » qui lui est plus particulièrement signalée : une année, c’est la religieuse Ursuline de l’île de Tinos que nous dénonçaient les membres de l’École d’Athènes ; une autre fois, c’est la sœur Sainte-Marguerite, la merveilleuse éducatrice d’une pauvre fille aveugle et sourde-muette de naissance. Ajouterai-je que, cette année, en dehors des mérites exceptionnels de sœur Saint-Charles, la requête de ceux qui nous la recommandaient si instamment se présentait avec une particulière opportunité ? Pouvions-nous oublier que le courrier qui devait, lui porter en Afrique la notification du prix que nous lui décernions, lui porterait en même temps le douloureux récit des épreuves subies, sur la terre de France, par ses sœurs en religion ? Troublée, blessée par ce récit, elle se sera demandée avec angoisse en quoi la vie de dévouement à laquelle elle et ses pareilles se sont consacrées, pouvait leur attirer tant de haines. Souhaitons qu’alors elle ait été un peu rassurée et consolée en voyant que d’autres hommes qui ont, ce semble, un titre plus durable que les proscripteurs d’un jour, à parler au nom de la pensée française, s’accordaient, au contraire, sans distinction d’opinions et de croyances, à lui témoigner leur reconnaissance et leur admiration.

La sœur Saint-Charles, au moins par le cadre où s’est écoulée sa vie, tranche avec ce que l’on rencontre d’ordinaire dans nos concours. Les autres lauréats de cette année rentrent dans les types habituels. Voici d’abord la catégorie la plus nombreuse, celle des vertus de famille. De ce chef, nous n’avons pas accordé moins de quarante-trois prix. Nous la retrouvons tous les ans, — sans que pour cela elle nous paraisse moins touchante et moins admit — la jeune fille, l’enfant parfois, qui, au foyer où les parents ont été annihilés par la maladie, enlevés par la mort, assume, avec une vaillance précoce, le rôle de chef de famille, dirige le ménage, élève les frères et sœurs plus jeunes, soigne les vieux parents infirmes, et qui, après avoir commencé cette vie parfois à douze ans, à onze ans, la poursuit sans se lasser ni faire un retour sur soi, établit les autres en ne s’inquiétant jamais de son propre établissement, renonce à toute joie pour elle-même afin d’en assurer aux siens. Telle est, avec quelques circonstances qui varient, l’histoire de Marie Larray, de Marie Maillard, de Maria Godard, de Rosalie Vanel et de plusieurs autres.

Lucie Relave, de la Côte-d’Or, orpheline, ne s’est pas seulement dévouée, dès l’âge de treize ans, avec une rare énergie, à ses grands-parents, à sa tante, à sa cousine Jeanne qui avait neuf ans de moins qu’elle ; mais, fille naturelle ainsi que Jeanne, elle a eu, toute jeune, dans un milieu contaminé, le cœur assez pur et assez haut pour entreprendre, à elle seule, de préserver sa cousine des mauvais exemples de leur famille et de la relever socialement en lui faisant une situation honorée. Petite ouvrière, elle s’est imposé, pendant plusieurs années, les phis lourds sacrifices afin de mettre Jeanne en mesure de se préparer à l’École normale d’institutrices de Mâcon. Un premier échec ne la décourage pas ; elle se saigne encore pour payer une nouvelle année d’études. Enfin Jeanne est reçue. Mais à peine Lucie a-t-elle le temps de s’en réjouir que la jeune normalienne lui revient, malade de la poitrine, et meurt entre ses bras. Lucie Relave avait vu déjà disparaître tous les autres parents auxquels elle s’était dévouée. Elle est maintenant seule, à vingt-sept ans, sans ressources, aux prises avec les dettes qu’elle a contractées poile l’éducation de sa cousine.

Louise Clarté, de la Vienne, s’est entièrement dévouée à sa mère devenue folle et méchante. Les exigences de celle-ci en étaient venues à ce point que Louise devait laisser jour et nuit sa main dans celle de sa mère. Les témoins rapportent ce fait inouï que, pendant les quatre dernières années de la vie de la folle, sa fille n’a pu se déshabiller une seule fois pour s’étendre dans un lit. Pas un moment sa patience et sa tendresse ne se sont lassées. Mais, à cc régime, sa santé s’est détruite, en même temps que ses ressources s’épuisaient. Maintenant, cette véritable martyre de la piété filiale, en proie à son tour aux plus cruelles souffrances, incapable de travailler, dans un dénuement complet, ne vit que de la charité publique.

Ces vertus de famille ne fleurissent pas seulement en province. Adèle Choiseau est une Parisienne du faubourg Saint-Antoine, petite ouvrière mécanicienne en chapellerie, corps chétif, mais grand cœur. Encore enfant, entre un père trop souvent oublieux de ses devoirs et une mère maladive, elle aide et supplée au besoin cette dernière. En 1883, sa mère est retenue pendant trois mois à l’hôpital ; Adèle, qui a onze ans, tient le ménage et sert de mère à ses trois frères plus jeunes. Souvent le père ne rentrait qu’à deux heures de la nuit. « La pauvre petite, rapporte sa mère, avait peur toute seule : elle n’avait pas grand’chose à manger et pas de feu ; en attendant son père, elle faisait ses devoirs de classe. » Entrée à douze ans en apprentissage, elle se charge de travaux supplémentaires pour gagner quelques sous et amasse ainsi péniblement vingt francs à la Caisse d’épargne ; son père tombe malade ; elle sacrifie, pour le soigner, ses petites économies. En 1890, le père abandonne sa femme. Adèle, alors âgée de dix-huit ans, promet à sa mère de ne jamais la quitter et de la faire vivre, elle et ses jeunes frères, par son travail. La tâche est lourde. Mme Choiseau, de plus en plus maladive, ne peut presque rien faire et finit même par tomber en paralysie. Deux frères survivent ; l’un d’eux est atteint de tuberculose des os ; sa sœur lui prodigue les soins les plus tendres, ne consent à le laisser aller à l’hôpital que quand il faut lui couper la jambe ou lui faire subir quelque autre opération, et alors elle s’ingénie, se prive de tout, au besoin déjeune d’un morceau de pain, pour lui porter quelque douceur ; elle continue ainsi pendant dix longues années, jusqu’au jour où le malade meurt entre ses bras. L’autre frère, pour des raisons différentes, est aussi à sa charge, pendant plusieurs années. Entre temps, en 1893, Adèle a été informée que son père était tombé gravement malade. Oublieuse des torts qu’il a eus, elle court auprès de lui, avec sa mère, mais arrive trop tard ; il est déjà mort. Elle lui rend pieusement les derniers devoirs ; apprenant qu’il laisse des dettes, elle ne veut pas que cette tache demeure sur sa mémoire, et elle emprunte pour désintéresser les créanciers.

Par quel miracle, avec son petit gain et son corps débile, la jeune ouvrière faisait-elle face à de telles dépenses et à de telles fatigues, c’est ce que ne peuvent s’expliquer ceux qui l’ont vue à l’œuvre. En rentrant de son atelier, après avoir donné ses soins à son frère et à sa mère, elle travaillait parfois jusqu’à minuit ou une heure du matin ; le court sommeil qu’elle prenait ensuite était souvent interrompu par ses malades. À certains moments, elle semblait à bout de forces et sur le point de succomber ; mais la vaillance de l’âme triomphait des défaillances du corps ; du reste, toujours simple et douce, en même temps que merveilleusement active et énergique.

Si cachée qu’ait été cette vie de dévouement, elle a frappé ceux que les circonstances en ont rendus témoins. Elle nous est signalée, non seulement par les sœurs qui ont élevé Adèle Choiseau et par le clergé de sa paroisse, mais par le maire du XIe arrondissement, d’accord, sur ce point, avec les religieuses et les prêtres, par les patrons de la jeune ouvrière, par d’honorables voisins. Il a paru à l’Académie qu’une telle vertu, éclose et fleurie en plein faubourg parisien, au milieu d’influences et d’exemples si contraires, méritait une récompense exceptionnelle ; elle a décerné à Adèle Choiseau un prix de 2 000 francs.

Chez les hommes, ces traits de grand dévouement filial et fraternel sont plus rares, mais ils supposent un effort peut-être plus méritoire. Aussi avons-nous eu plaisir à les récompenser chez Sattel, ouvrier agricole de la Lozère, Ramelet, bûcheron de la Côte-d’Or, Céphas, ouvrier ajusteur à la fonderie nationale de Ruelle, Nicolas, gendarme des Côtes-du-Nord, enfin, chez Bergher de Paris, actuellement soldat au 102e de ligne, qui, son père mort, a remplacé, auprès de ses huit frères et sœurs, la mère indigne qui les avait abandonnés.

Tous les ans, on nous signale des femmes bienfaisantes, véritables sœurs de charité laïques, comme on les a nommées, qui n’ayant rien, trouvent moyen de donner beaucoup en se donnant complètement elles-mêmes, empressées à secourir les misérables, à servir de mères aux enfants délaissés, à recueillir les infirmes, à soigner les malades les plus contagieux et les plus répugnants. Cette année, nous en avons distingué quatorze, de professions très diverses : paysannes, ouvrières, deux sages-femmes, deux institutrices publiques, une servante d’école maternelle, une infirmière. J’aurais plaisir à vous dire leur histoire à toutes, mais le temps me presse. Laissez-moi vous parler seulement de l’une d’elles, que je choisis un peu au hasard entre plusieurs non moins méritantes. Yvonne Le Bliguet, d’une humble famille de journaliers bretons, est, depuis vingt-sept ans, attachée à l’hospice civil de Versailles, et, depuis dix-sept ans, chargée du service des enfants diphtériques. Médecins et parents s’accordent à louer son dévouement intelligent et inlassable. Les enfants en témoignent à leur façon par le nom qu’ils lui ont donné : « Maman Yvonne ». Beaucoup lui doivent la vie. Deux d’entre eux, opérés, l’un en 1896, l’autre en 1899, étaient condamnés à ne plus respirer qu’à l’aide d’une canule. Le règlement ne permettait pas de les garder à l’hôpital ; cependant il leur fallait pour vivre des soins que leurs familles étaient hors d’état de donner. Yvonne obtint qu’ils lui fussent confiés comme enfants adoptifs, l’hospice se chargeant seulement de les nourrir. Depuis lors, elle prend, sur ses heures bien restreintes de loisir, le temps de veiller aux santés fragiles de ses chers adoptés, de diriger leur éducation ; sur ses maigres appointements, de quoi les entretenir et même les choyer. Elle y parvient, sans rien négliger de son service. Ceux qui la voient à l’œuvre se demandent où elle trouve des forces et des ressources pour suffire à cette tâche supplémentaire. L’an dernier, épuisée par une forte grippe, des amis charitables lui offrirent les moyens d’aller passer deux mois de repos dans son pays natal, le premier congé pris par elle depuis vingt-sept ans. Elle refusa, tant qu’on ne l’eut pas mise en mesure d’en faire profiter également ses petits protégés.

Il est des charités plus hardies, plus aventureuses que d’autres. C’est le type, connu dans nos concours, de la pauvre fille qui, émue à la vue des enfants abandonnés, entreprend, sans ressources personnelles, sans concours assuré, de leur ouvrir un asile. Elle commence par en recueillir deux ou trois dans sa chambre, puis, à travers mille difficultés et privations, elle en augmente le nombre, et finit par être à la tête d’une maison où elle en abrite, nourrit, élève cinquante et plus. Cela paraît impossible et cependant se reproduit souvent. Tel est le cas, parmi nos lauréats de cette année, de Mlle Lehégarat, près du Havre, de Mlles Ouin et Courbe à Rouen. Rapprochons d’elles, l’abbé Fougue dont on ne compte plus, à Marseille, les fondations en faveur des enfants délaissés et des jeunes ouvrières ou employées, et Mlle Michéa qui, sous les auspices de l’Union française du Sauvetage de l’Enfance ; se dévoue, depuis longues années, aux petits abandonnés.

Et maintenant faut-il faire défiler devant vous ces humbles et étonnantes servantes qui témoignent à leurs maîtres un dévouement tel que beaucoup d’enfants n’en ont pas pour leurs parents ? Vous connaissez leur histoire ; elle aussi se répète chaque année avec une admirable monotonie. Vous êtes accoutumés à les voir demeurer sans gages, au service d’une famille ruinée, parfois pendant plusieurs générations ; vieillir, en refusant non seulement les places plus avantageuses qu’on leur offre, mais les mariages que leur proposent d’honnêtes garçons ; sacrifier leurs économies, travailler au dehors, s’ingénier à trouver mille moyens de gagner quelque argent, pour que leurs maîtres ne s’aperçoivent pas de leur dénuement et gardent quelque chose de leur ancien bien-être. Loin de se faire valoir de leurs sacrifices, elles s’appliquent souvent à les dissimuler, et — chose plus remarquable encore — elles conservent le rang et l’attitude de domestiques, alors qu’elles sont en réalité des protectrices et des bienfaitrices. Et si la plupart ont du moins la satisfaction d’être traitées en membres de la famille qu’elles font vivre, quelques-unes ne trouvent même pas, chez des maîtres abattus, aigris ou égarés par le malheur, la gratitude qui eût été leur plus douce récompense.

Tout ou partie de ces traits se retrouve chez les vingt-cinq servantes que nous couronnons cette année. Voyez, par exemple, Julie Cazenave : elle ne s’est pas contentée d’aider, par des travaux personnels, à l’entretien de ses maîtres ruinés ; mais, sa maîtresse devenue folle, souvent furieuse, elle n’a pas voulu s’en séparer ; elle l’a soignée pendant plus de six ans, se soumettant à une vie que les témoins ont pu qualifier de véritable martyre. Voyez encore Marie-Amélie Caoué, au service d’une maîtresse qui a perdu sa fortune, elle se tue de travail pour subvenir, par les gains qu’elle fait au dehors, aux dépenses du ménage. Voici, depuis plusieurs années, l’horaire de sa journée : debout à six heures du matin, elle se hâte jusqu’à dix heures, de mettre son ménage en ordre ; de dix heures à midi, elle va travailler dans d’autres maisons ; elle revient à midi servir le déjeuner de sa maîtresse, retourne à ses travaux extérieurs de deux heures à sept ; enfin, le soir, de neuf heures et demie à minuit et plus, elle se rend dans un atelier de couture. À ceux qui lui disent qu’elle en fait trop et qu’elle devrait se ménager : « Impossible, répond-elle ; si je cessais de travailler, que deviendrait Mademoiselle ? » Et cependant, c’est toujours « Mademoiselle » qui commande et qui a situation de maîtresse : la servante n’a pas conscience d’avoir rien fait d’extraordinaire qui la sorte de son rang.

Parmi les fondateurs de prix, quelques-uns ont eu plus particulièrement en vue « les actes de courage et de sauvetage ». Cette année, par extraordinaire, on ne nous a signalé aucun de ces sauveteurs de mer dont mes prédécesseurs ont eu souvent à vous raconter les dramatiques exploits. Il a fallu nous contenter de sauveteurs en terre ferme. Voici Babin, un gardien de la paix de Paris, dont on ne compte plus les actes de dévouement : il a tué je ne sais combien de chiens enragés, non sans se faire mordre deux fois ; il s’est jeté à la tête de nombreux chevaux emportés, s’est rendu maître de fous furieux, a retiré de l’eau des gens qui se noyaient. Pour tous ces hauts faits, il s’est déjà vu attribuer sept médailles ; l’Académie y ajoute un prix de 1 500 francs. Notre autre sauveteur est un vigneron du Doubs, Pouchon, qui s’est jeté sept fois à l’eau, pour ramener à terre des enfants en danger de périr, et une fois dans le feu, pour sauver un vieillard ; à ces actes de courage, il joint une vertu peut-être plus difficile, celle qui se pratique tous les jours sans bruit ; tout jeune, il a commencé par aider sa mère veuve à élever ses frères et sœurs ; plus tard, marié lui-même et devenu père de famille, il a bien élevé ses cinq enfants. Nous lui attribuons un prix de 500 francs.

Il est d’autres courages qui, pour avoir moins d’éclat, sont peut-être plus méritoires encore. Cyprien Largillière, ardoisier dans les Ardennes, a perdu la vue, en 1875, par l’explosion d’un coup de mine. Cet accident le cloua sur son lit pendant huit mois. Les globes des yeux durent être arrachés, et leurs orbites ne forment plus que deux cavités béantes qui donnent au visage du blessé un aspect terrifiant. À peine debout, et malgré cette infirmité qui lui cause, à certains jours, de cruelles douleurs, Largillière, au lieu d’implorer la charité, voulut se suffire à lui-même et suffire à sa famille. Il obtint de reprendre du travail au fond de la mine. Depuis plus de vingt-cinq ans, cet aveugle fait seul, chaque jour, à travers la campagne, un trajet de six kilomètres, descend seul la longue série d’escaliers et d’échelles qui accèdent à son chantier, à deux cents mètres de profondeur ; là, toujours seul, il manœuvre, entretient et au besoin répare une pompe à bras qui sert à évacuer les eaux d’un puisard. Plusieurs fois, il a dû changer de fosse et apprendre à se reconnaître dans des chemins nouveaux. Ses chefs affirment qu’il remplit son office mieux que ne le faisaient avant lui des ouvriers non aveugles. Ainsi est-il parvenu, malgré son infirmité, à subvenir aux dépenses de son ménage, à élever et à établir ses trois enfants, se faisant un point d’honneur de ne jamais rien recevoir de l’Assistance publique. Les ingénieurs des mines, au cours de leur inspection, témoins émus de ce fait extraordinaire, ont tenu à nous le signaler. Il nous a paru qu’un tel exemple d’énergie, de vaillance, de dignité, méritait d’être récompensé et nous avons attribué à Largillière un prix de 1 500 francs.

Des nombreux dossiers que j’ai eus sous les yeux, je pourrais détacher bien d’autres figures également touchantes. Mais je craindrais de vous lasser. Qu’il soit seulement entendu que ceux ou celles que je n’ai pas nommés, eussent aussi mérité un éloge public.

Arrivé à cet endroit de ma tâche, je suis naturellement conduit à jeter un regard d’ensemble sur les résultats de l’enquête à laquelle j’ai dû me livrer. Plusieurs de ceux qui m’ont précédé à celte place ont vu là une occasion de philosopher éloquemment sur la vertu en général. Mon ambition n’est pas aussi haute ; d’ailleurs il me serait difficile de trouver, dans ce genre, quelque chose à dire qui ne l’ait pas été avant moi et mieux que je ne pourrais le faire. Je me bornerai plus modestement à quelques constatations de fait, à quelques renseignements de statistique. En semblable matière, la statistique vous paraît peut-être un peu sèche ; mais, à condition d’en user discrètement, elle ne laisse pas que d’être instructive.

Tout d’abord, il serait intéressant de voir ce que nos dossiers nous apprennent sur l’origine de nos lauréats, sur les milieux d’où ils sortent. N’y cherchons pas cependant ce qui ne peut s’y trouver, c’est-à-dire quelque lumière sur les vertus comparées des riches et des pauvres. La loi de nos prix est qu’ils ne peuvent être attribués qu’à des « Français pauvres ». C’est exclure ces vertus qui s’exercent tous les jours, autour de vous, mais dont les auteurs ne pourraient justifier de leur pauvreté. Au moins est-il juste de rappeler que, si nous n’avons pas à les récompenser, nous n’en ignorons pas l’existence et la valeur. La richesse qui est, pour quelques-uns, une tentation d’égoïsme jouisseur, est, pour d’autres, un instrument de bienfaisance. Si intéressantes cependant et si louables que soient, chez ceux qui pourraient vivre loin de la misère humaine, la fraternité volontaire avec les humbles, la compassion pour les malheureux, je n’en veux pas à M. de Montyon de nous avoir limités à ceux qui trouvent moyen de pratiquer grandement la charité, en manquant eux-mêmes du nécessaire, à ceux qui se dévouent entièrement à soulager la souffrance d’autrui, alors qu’ils eussent eu le droit de n’être occupés que de leur propre souffrance. De toutes les charités, c’est encore celle qui mérite le plus d’être honorée et surtout d’être récompensée dès ce monde.

Où nos dossiers commencent à nous fournir des renseignements, c’est sur la mesure dans laquelle, parmi les pauvres, la vertu se répartit entre la campagne et la ville. Certaine conception idyllique de la vie des champs aurait pu faire croire à une grande supériorité de la campagne. Il ne paraît pas en être ainsi. Sur 97 lauréats, 55 sont nés et ont vécu à la campagne, 41 ont vécu dans les villes moyennes ou grandes. Il est vrai que, sur ces 41, 19 sont nés et ont été élevés à la campagne ; mais c’est à la ville que leur vertu s’est exercée. La proportion des vertus citadines est donc plus forte qu’on n’eût pu s’y attendre, étant donnée la réputation qu’on fait parfois aux villes.

Sur la répartition entre hommes et femmes, les chiffres sont beaucoup plus tranchés et l’inégalité flagrante. Parmi nos lauréats, nous comptons 81 femmes et seulement 10 hommes et 6 ménages. Encore avons-nous conscience d’avoir été plutôt moins difficiles pour les hommes. La supériorité de la vertu féminine est donc écrasante. Il ne nous reste qu’à la reconnaître de bonne grâce et avec l’humilité qui convient. Consolons-nous en pensant que nous sommes les premiers à bénéficier de cette vertu de dévouement où les femmes l’emportent si manifestement sur nous.

Il est un autre point où les chiffres ne sont pas moins significatifs, c’est la comparaison entre le nombre des lauréats mariés ou veufs et celui des lauréats célibataires. Nous n’en trouvons que 22 mariés ou veufs ; contre 75 célibataires. De ces chiffres se dégage une sorte de loi morale d’après laquelle la renonciation au mariage est le plus souvent la condition et la conséquence d’une vie entièrement sacrifiée au service du prochain. Ce fait se produit naturellement, par la force des choses, sans règle imposée du dehors, souvent même sans qu’il y ait chez ces célibataires de détermination raisonnée et préméditée. Si le célibat est, chez certains, le calcul d’un égoïsme qui redoute les charges et ne veut vivre que pour soi, il représente, chez d’autres, le summum du dévouement. Peut-être y aurait-il là matière à réflexion pour ceux qui veulent aujourd’hui trouver, dans le vœu de chasteté ; une cause légale d’incapacité et d’indignité.

Resterait un dernier classement, qui ne serait pas le moins intéressant à faire, celui des mobiles moraux qui ont déterminé nos divers lauréats à accomplir leurs actes de vertu. Il y a trois ans, dans une séance pareille à celle-ci, un de mes éminents confrères, esprit libre que nul ne pouvait soupçonner d’apporter dans cette enquête une idée préconçue, M. Jules Lemaître, se posait la même question. « Il se trouve, comme par hasard, répondait-il, qu’une notable partie de nos clientes ont la foi confessionnelle... Il est certain qu’en faisant le bien, elles espèrent le paradis. » J’aboutis, de mon côté, à la même constatation. Non que j’aie discerné, dans tous les dossiers, avec une égale précision, le mobile moral des actions, mais chaque fois que je l’ai pu, — et c’est le plus grand nombre des cas — j’y ai entrevu un mobile religieux, jamais un mobile contraire. On ne peut dire cependant que l’Académie soit allée chercher de préférence, à l’ombre des églises, les vertus qu’elle récompense. Son appel est adressé indifféremment à tout le monde, et l’on sera assuré qu’il n’y a là aucune manigance cléricale, quand on saura que la plupart des candidatures qui nous sont proposées, nous arrivent par l’intermédiaire et avec l’avis favorable des préfets. J’espère ne pas leur faire tort par cette indication ; aussi bien n’en ai-je nommé aucun.

De cela, remarquez-le bien, je ne prétends pas conclure qu’il ne peut y avoir d’abnégation et de charité héroïques que sous l’inspiration des croyances religieuses. Non, je connais, vous connaissez tous des exemples du contraire ; mais je conclus que, dans la généralité des hommes, et surtout dans ce inonde des simples, des humbles, où se recrutent les candidats aux prix Montyon, dans le peuple de nos villes et de nos campagnes, la foi est la source habituelle, presque unique, de ces grandes vertus, de ces dévouements extraordinaires. Je ne disserte pas philosophiquement ; je constate un fait. Dès lors, travailler, corn flic, aujourd’hui, en France, on le fait ouvertement, j’allais dire officiellement, à détruire toute religion dans le peuple, n’est-ce pas risquer de tarir cette source ? A-t-on le moyen de la remplacer ? Ou bien croit-on que notre société puisse être privée de ces vertus, sans se trouver, du même coup, diminuée, abaissée, découronnée ? Il est bon, pour une nation, d’être riche, savante, lettrée, artiste, raffinée en toutes choses. Mais ce n’est pas tout. Il lui faut, pour servir de correctif à une civilisation qui se préoccupe principalement de jouissance et de prospérité matérielle, un certain ferment de beauté morale, de vertu héroïque, et, pour trancher le mot, de sainteté. Les dévouements de ces pauvres ouvriers et ouvrières, de ces humbles servantes, que nous couronnons en ce jour, c’est bien peu comme nombre à côté, je ne dirai pas seulement de tant de vices et de crimes, mais de tant d’existences médiocres, plates, ordinaires, égoïstement confortables ou ambitieuses ; ce peu cependant est beaucoup. Il sauve l’honneur de l’humanité, rachète ses lâchetés, apporte la protestation de l’idéal contre tout ce qui tend à abaisser la vie. Ce sont les dix justes dont la présence eût empêché le Seigneur de perdre Sodome et Gomorrhe.