Discours prononcé à l’occasion du centième anniversaire de la mort de Lamartine, à Mâcon

Le 4 mai 1969

Jacques de LACRETELLE

DISCOURS

prononcé à l’Académie de MACON

par

M. JACQUES de LACRETELLE
délégué de l’Académie française

le 4 mai 1969

 

Messieurs,

Je tiens tout d’abord à vous dire combien l’Académie Française se sent liée à ces Académies de province qui veillent sur les archives de leur région, en consignant l’histoire par des commentaires ou des anecdotes ignorées, bref entretiennent le culte des lettres autour d’elles. Voilà un utile aspect de la régionalisation et vous y avez souscrit depuis longtemps.

C’est ensuite en qualité de compatriote que je m’adresse à vous. Un compatriote qui ne vient plus guère vous rendre visite mais qui a ses racines dans le Mâconnais et n’entend pas l’oublier.

Les plus beaux jours de mon enfance se sont passés à Cormatin, tout près d’ici. Cluny, Tournus, Mâcon ont été mes premières capitales. Et il me suffisait d’écouter les récits de mon grand-père pour savoir qu’un grand poète avait été de ses amis. On montrait même, à Cormatin, la chambre des Girondins, ainsi nommée parce que Lamartine y aurait, prétendait-on, commencé son histoire de la Révolution. Mon grand-père ajoute même, dans ses souvenirs intitulés Lamartine et ses amis, que le poète, ayant renversé son encrier sur les draps de son lit, on avait longtemps conservé ce linge marqué, écrit-il, « par les effluves du génie ».

Je ne me doutais pas, au temps où j’apprenais cette belle mythologie, coupée par d’insouciantes promenades en barque sur la Grosne, que je serais plus tard accueilli parmi vous et que je viendrais même apporter un tribut officiel à l’hommage que vous rendez à Lamartine cent ans après sa mort.

Je n’ai pu participer à vos journées d’études ni écouter les communications qui vous ont été faites, mais je conserve pieusement dans ma bibliothèque un souvenir de famille qui me lie à votre Académie et, en même temps, à Lamartine. J’ai voulu le mettre sous vos yeux, et vous pourrez le feuilleter tout à l’heure.

C’est le compte rendu de la séance que vous avez tenue le 6 août 1846. Elle est relatée tout au long dans le Bien public, ce journal de Mâcon auquel Lamartine donna, comme il le fit à bien d’autres entreprises, son labeur, ses illusions et son argent.

Ce jour-là, Lamartine est présent parmi vous. Votre Académie fait à mon grand-père, alors âgé de trente ans, l’honneur de le recevoir, et mon arrière-grand-père, déjà membre de l’Académie de Mâcon, assiste à cette fête.

Ce qui fait le prix de ce compte rendu, c’est qu’il est rédigé de la main môme de Lamartine, bien que non signé dans le journal, comme l’atteste le manuscrit joint à l’article.

Lamartine commence avec un peu d’emphase. Il en faut toujours dans ce genre littéraire, que les discours soient prononcés au bord de la Seine ou de la Saône.

« Nous venons d’assister, — déclame Lamartine — non à une séance d’Académie, mais à un véritable drame littéraire. Nous en sortons l’esprit charmé, le cœur remué, les yeux mouillés, et nous voudrions pouvoir transmettre en quelques lignes à nos lecteurs le sentiment dont le lieu, la scène, les acteurs, l’auditoire et les discours nous ont pénétrés. Il est si rare que le cœur se mêle à l’esprit dans ces glaciales cérémonies littéraires, appelées des séances de réception, qu’il faut consigner celle-ci dans les registres de l’Académie et dans la mémoire de nos concitoyens comme un fait qui ne se renouvellera pas en deux siècles, et qu’il faudrait écrire, non avec l’encre froide d’un compte rendu, mais avec des larmes de plaisir et d’attendrissement. »

Lamartine exalte ensuite le rôle de l’Académie de Mâcon.

« Toutes les grandes questions — écrit-il — qui ont fait travailler depuis trente ans la science, l’agriculture, les lettres, l’économie politique, ont été posées par l’Académie de Mâcon. Enfin et surtout, elle a été un élément de sociabilité très utile dans ce temps de division politique, en effaçant entre nous ces préjugés et ces dissentiments d’opinions qui sont de loin, entre les hommes, comme les mirages de la haine, et qui s’évanouissent en approchant. »

Cette dernière image est belle, mais, convenons-en, elle est d’un poète.

Au surplus, Lamartine parsème d’ironie son article quand il arrive au récipiendaire. On sait que tel est l’usage académique. Mon grand-père avait un peu enflé la voix pour louer chacun de ses nouveaux confrères. Lamartine baisse le ton.

« L’Académie de Mâcon — écrit-il — a droit, sinon à l’éblouissement de l’admiration publique parmi nous, du moins à une juste part d’estime, de considération et de reconnaissance. M. Henri de Lacretelle la lui a largement et éloquemment payée. Sans doute certains fronts ont dû rougir à l’excès des éloges du jeune orateur, mais ces éloges étaient encore de l’amitié, et l’on pardonne tout à ce sentiment. On sait que les louanges, toujours un peu exagérées, qu’échangent entre eux les hommes de lettres et d’étude ne se prennent pas toutes au mot. Elles ressemblent à ces jetons de présence qu’on distribue aux académiciens les jours de séance, jetons de cuivre, dorés ou argentés pour jouer l’or ou l’argent véritable. »

J’ai pensé, mes chers confrères, que le rappel de cette séance mémorable pour ma famille vous divertirait et pourrait prendre place dans les Annales de l’Académie de Mâcon.

Je ne veux pas encourir le reproche adressé par Lamartine à mon grand-père et faire rougir vos fronts sous des compliments trop pompeux.

C’est avant tout un remerciement que je vous exprime.

Remerciement pour la fidélité que vous conservez à un grand poète né à Mâcon. Remerciement pour avoir organisé des manifestations auxquelles ont répondu aujourd’hui tous les amis, tous les dévots de Lamartine.

Ils sont innombrables. Allez au Liban, en Turquie, en Grèce, en Italie où il a aimé, en Angleterre où il a fondé sa vie conjugale, et vous verrez qu’il prend tour à tour la figure d’un croisé, d’un prophète, d’un ami du peuple, d’un grand seigneur. Et cela sans faux-semblants, sans attitudes romantiques, par la seule richesse de sa méditation et la prodigalité de ses dons.

Ce voyageur, ce diplomate un peu amateur dans ses fonctions, mais prophétique dans ses vues, cet orateur de l’Hôtel de Ville parisien, vous appartient, Messieurs, depuis la Vigne et la maison de Milly où il a grandi, jusqu’à ce cimetière de Saint-Point où nous étions hier et où il est couché.

Continuez à servir sa mémoire. Que vos travaux mettent en lumière tel trait de noblesse dans son caractère, telle infortune survenue, hélas ! dans sa destinée. Voilà votre tâche.

Vous donnerez ainsi un affectueux démenti aux lignes qu’il a écrites, et que je vous citais tout à l’heure, sur la fausse monnaie des échanges entre hommes de lettres.

La famille des lamartiniens est éternelle. On aurait grand tort de la railler. Elle rassemblera toujours ceux qui ont la nostalgie du souvenir et goûtent avec la précipitation des sentiments, l’harmonie des mots.

Pesez ces termes. Quelles que soient les formes nouvelles de la littérature et les ruptures qu’elle nous propose, ces dons contribueront toujours aux qualités essentielles de la poésie. Il y a du Lamartine dans Verlaine, dans Apollinaire, dans Eluard. L’expression est différente, c’est un autre cri ; mais la source d’émotion est la même.

En vous faisant les dépositaires de l’œuvre lamartinienne, vous détenez, Messieurs, l’unique secret de la poésie.