Le 5 octobre 2017
Extensions de sens abusives
Le verbe jointoyer appartient à la langue de la maçonnerie et signifie « remplir les joints avec du mortier, du ciment ou du plâtre », les joints étant les espaces subsistant normalement entre deux éléments d’un mur, d’un carrelage, etc. On ne confondra pas ce verbe avec jointer, un synonyme paresseux de joindre quand il n’est pas employé en technologie avec le sens de « rapprocher et coller deux feuilles de placage dans la fabrication de panneaux de contre-plaqué ». Et on ne l’emploiera pas non plus, au participe passé, pour désigner une personne ayant fumé un « joint ».
On dit
|
On ne dit pas
|
Jointoyer un mur de briques, un pavage
Joindre des tôles avec des rivets
|
Jointer un mur de briques, un pavage
Jointer des tôles avec des rivets
|
Le 7 septembre 2017
Extensions de sens abusives
Au xvie siècle, la préposition élidée d' et le nom avantage se sont agglutinés pour former l’adverbe davantage. Mais cinq siècles plus tard, le sentiment de composition est toujours très fort et bien souvent cet adverbe se rencontre sous sa forme originelle, aujourd’hui fautive, d'avantage. Cette graphie, même si elle est empreinte de bon sens, n’en reste pas moins une erreur. Peut-être, pour ne plus la commettre, faut-il en appeler aux mânes du regretté Bobby Lapointe, qui jonglait si brillamment avec ces termes dans Avanie et Framboise. Il y chantait en effet ce distique, qui mériterait de prendre place dans tous les manuels d’orthographe :
Davantage d’avantages
Avantagent davantage.
On écrit
|
On n’écrit pas
|
Il nous faudrait davantage de temps
Je ne l’en aime que davantage
|
Il nous faudrait d'avantage de temps
Je ne l’en aime que d'avantage
|
Le 7 septembre 2017
Extensions de sens abusives
Ces deux formes sont homonymes, mais diffèrent par l’orthographe et le sens. Décrépi est le participe passé du verbe décrépir et signifie donc « dont on a retiré le crépi », le crépi étant un enduit que l’on projette sur un mur sans le lisser. Décrépit est un adjectif emprunté du latin decrepitus, « atteint de décrépitude ». L’étymologie populaire a lié artificiellement ces deux mots, en considérant que c’était avant tout l’âge et l’usure du temps qui faisait perdre aux bâtiments leur crépi et en oubliant qu’il était aussi possible de décrépir un mur pour le ravaler. On se souviendra que si décrépit peut qualifier une personne, un bâtiment ou une institution, décrépi ne s’emploie qu’au sens propre et ne s’applique qu’à des murs ou à des bâtiments.
On écrit
|
On n’écrit pas
|
Un vieillard décrépit
Le maçon a décrépi le mur
|
Un vieillard décrépi
Le maçon a décrépit le mur
|
Le 7 juillet 2017
Extensions de sens abusives
Certaines langues, comme le latin, le grec ancien, l’allemand ou l’anglais, sont synthétiques. Le français est plus analytique, c’est-à-dire qu’il recourt volontiers aux prépositions. Notre langue en compte une trentaine et leur emploi en est une des caractéristiques fortes. Certaines de ces prépositions sont très utilisées, comme pour, à ou de ; d’autres sont vieillies, comme ès, lez, jouxte, ou régionales, comme endéans, et s’évanouissent au profit d’autres, plus fréquentes. Il serait bon de conserver ces vestiges du passé, mais plus encore d’éviter que certaines prépositions ne deviennent hégémoniques, comme cela semble être le cas pour en. On rappellera donc que, s’il est parfaitement possible de mettre des fruits ou des livres en caisse ou en caisses, ou de faire pousser des lauriers, des orangers en caisse, c’est à la caisse que l’on passe quand il s’agit de régler ses achats. D’autre part, si certains tours un peu désuets comme en l’église, en la cathédrale sont encore en usage, on évitera les formes comme en mairie ou en préfecture.
on dit
|
on ne dit pas
|
Déposer une demande de permis de construire à la mairie
Un document à remettre à la préfecture
|
Déposer une demande de permis de construire en mairie
Un document à remettre en préfecture
|
Le 7 juillet 2017
Extensions de sens abusives
Prémisse et prémices : ces deux noms sont souvent confondus, ce qui n’est guère étonnant puisque nos deux homonymes sont assez rares et que leurs sens ne sont pas très éloignés, alors que des homonymes d’usage fréquent et ayant des significations vraiment différentes ne courent pas ce risque. Ainsi qui entend ou lit les vers de Corneille ne soupçonne pas notre dramaturge de pratiquer en amateur la sériciculture, ni de souffrir d’une infection intestinale, mais présume que l’on évoque son œuvre poétique. La proximité de prémisse et de prémices est plus périlleuse. Prémices, qui ne s’emploie qu’au pluriel, a d’abord désigné les premières productions de la terre ou de l’élevage que l’on offrait en sacrifice aux dieux, puis, par extension, ce nom a aussi pris le sens de « prélude, signe avant-coureur ». Quant à prémisse, qui se rencontre au singulier comme au pluriel, il appartient à la langue de la logique et désigne chacune des deux propositions d’un syllogisme d’où résulte la conclusion ; par extension, ce nom désigne aussi tout argument d’où découle une conséquence. On veillera donc bien à ne pas employer l’un pour l’autre et on rappellera que tous deux sont des féminins.
on écrit
|
on n’écrit pas
|
Offrir à Cérès les prémices d’une récolte
Ces manifestations furent les prémices de l’émeute
Une théorie fondée sur des prémisses douteuses
|
Offrir à Cérès les prémisses d’une récolte
Ces manifestations furent les prémisses de l’émeute
Une théorie fondée sur des prémices douteuses
|
Le 1 juin 2017
Extensions de sens abusives
Ces deux-là étaient trop proches dans leur forme pour qu’on ne les confonde pas. Pourtant que de différences entre eux. Le premier, aréopage, est de quatre siècles antérieur au second, aéroport. Il est emprunté, par l’intermédiaire du latin areopagus, du grec Areios pagos, alors que l’autre est un composé d’un suffixe français, même s’il remonte à une forme grecque, aéro-, et du nom port. Le premier est rare, le second est d’usage courant. Areios pagos, c’est, proprement, « la colline d’Arès », un monticule consacré à ce dieu et où étaient jugés, à Athènes, les homicides. Aréopage a gardé ce sens en français, auquel s’est ajouté, au xviiie siècle, celui d’« assemblée de personnes se donnant pour mission de juger, d’apprécier les œuvres dont ils ont connaissance », puis celui d’« assemblée de savants ». Il convient donc de ne pas inverser ni de répartir faussement les premières syllabes de ces deux noms, aréo- et aéro-, dont les sens n’ont rien de commun, et de rappeler que l’on dit un aéroport et un aréopage.
on dit
|
on ne dit pas
|
L’avion a quitté l’aéroport
Un aréopage de savants
|
L’avion a quitté l’aréoport
Un aéropage de savants
|
Le 1 juin 2017
Extensions de sens abusives
Le nom couvert s’est d’abord employé au sens d’« abri, logement ; toit » ; c’est celui qu’il a dans la fable « Le Rat qui s’est retiré du monde », de La Fontaine :
En peu de jours, il eut au fond de l’ermitage
Le vivre et le couvert : que faut-il davantage ?
Le vivre désignait la nourriture ; on ne l’emploie plus guère en ce sens au singulier ; aujourd’hui l’usage préfère le pluriel les vivres. Mais depuis le xvie siècle, couvert désigne aussi et surtout les ustensiles dont on se sert pour manger quelque chose ; par métonymie et par une extension abusive, on en a aussi fait un synonyme incorrect de « vivre, nourriture ». L’expression le vivre et le couvert perdait son sens et l’on a substitué à vivre le nom gîte, une forme phonétiquement proche et qui doit sa fortune aux locutions gîte d’étape et gîte rural. Il conviendrait pourtant de redonner à cette expression sa forme originelle et à couvert un sens qu’il serait dommage de voir s’évanouir.
on dit mieux
|
on pourrait dire
|
Le vivre et le couvert
|
Le gîte et le couvert
|
Le 4 mai 2017
Extensions de sens abusives
La locution conjonctive quand même est parfois remplacée, à tort, par la forme comme même sans doute en raison de la proximité phonétique de ces deux formes. On doit dire quand même (ou quand bien même) je devrais m’en repentir, je partirais demain et non comme même je devrais m’en repentir, je partirais demain. Notons cependant que l’on peut rencontrer comme même, il ne s’agira pas alors d’une locution mais de la succession de la conjonction de subordination comme et de l’adverbe même. On dira ainsi comme même sa famille ne pouvait venir, il a reporté la cérémonie. Mais, en dehors de ce cas, c’est quand même qui s’impose.
on dit
|
on ne dit pas
|
Quand même il pleuvrait, nous visiterions la ville
Quand même il le voudrait, il ne pourrait pas
|
Comme même il pleuvrait, nous visiterions la ville
Comme même il le voudrait, il ne pourrait pas
|
Le 4 mai 2017
Extensions de sens abusives
Le nom retour est polysémique. Il désigne, entre autres, le fait de revenir à son point de départ ou à un état antérieur ; il désigne aussi le fait de renvoyer une chose à son expéditeur. C’est ce dernier sens qu’il prend dans l’expression répondre par retour du courrier ou, simplement, par retour. À partir de cette expression, on a parfois étendu le sens de retour pour en faire un synonyme de réponse, voire de réaction ou de commentaire. Il s’agit d’une extension abusive, qui ne répond à aucune nécessité puisque les formes citées conviennent mieux.
on dit
|
on ne dit pas
|
J’espère avoir une réponse favorable
Il craint des réactions négatives
Ils se sont attiré nombre de commentaires peu flatteurs
|
J’espère avoir un retour favorable
Il craint des retours négatifs
Ils se sont attiré nombre de retours peu flatteurs
|
Le 6 avril 2017
Extensions de sens abusives
Les adjectifs compréhensif et compréhensible sont attestés depuis plusieurs siècles dans notre langue ; l’un et l’autre viennent du latin, le premier de comprehensivus, « qui comprend, qui contient », le second de comprehensibilis, « qui peut être saisi, concevable, compréhensible », deux formes qui dérivent de comprehendere, « saisir ensemble », puis « saisir par la pensée, comprendre ». En français compréhensible signifie « qui peut être compris », et compréhensif « qui a la faculté de saisir par l’esprit » (une intelligence compréhensive), puis « qui juge avec indulgence ». Ces deux termes ne sont donc pas synonymes et un texte où l’on emploierait l’un pour l’autre serait bien peu compréhensible.
on dit
|
on ne dit pas
|
Un message difficilement compréhensible
Il a la chance d’avoir des parents très compréhensifs
|
Un message difficilement compréhensif
Il a la chance d’avoir des parents très compréhensibles
|
Pages