Dévoilement d’une plaque sur la maison natale de Michel Droit

Le 22 juin 2001

Hélène CARRÈRE d’ENCAUSSE

 

Dévoilement d’une plaque sur la maison natale
de Michel Droit

 

 

Monsieur le Maire, ma chère Jeannine,
Mesdames, Messieurs,

 

Permettez-moi avant toutes choses de remercier Monsieur le Maire qui nous a permis en ce premier anniversaire de la mort de Michel Droit, que nous aimions et estimions, de découvrir ici les débuts de son existence, et, les confrontant avec sa fin tragique, de mieux comprendre le sens de cette vie.

Merci à vous, chère Jeannine, qui m’offrez l’honneur et l’occasion d’évoquer votre mari.

À Vincennes, à l’ombre du château où il naquit et grandit, ses amis peuvent entrevoir comment s’est forgée sa personnalité. L’histoire de France a entouré son enfance, l’histoire d’une France chrétienne, celle de Saint Louis, celle d’une grandeur austère, celle du dévouement à autrui.

Ce passé de gloire était, alors que Michel Droit était enfant, renforcé par l’image constante de la vie militaire. En ce temps-là, en effet, Vincennes était ville de garnison. Les régiments qui y cantonnaient étaient encore auréolés du souvenir de la victoire de 1918. Comment un enfant eût-il pu échapper à la fascination de ce passé témoin du prestige de la France ? Sa famille contribuait aussi à lui donner, par son exemple, le sens des valeurs qu’il portera en lui toute son existence. Un père héros de la première guerre mondiale ; une mère qui y prit part, elle aussi, au service des blessés et dont les décorations attestaient le courage. Les défilés du 11 novembre auxquels l’enfant assista toujours avec ses parents et l’Exposition coloniale de 1931, qui lui fit découvrir la splendeur de l’Empire français du début du siècle, autant de moments qui contribueront à former sa personnalité.

À cette enfance heureuse, entourée, Michel Droit devait ses convictions les plus durables. Une foi inébranlable qui s’accommodera mal un jour de la volonté de l’Église de s’accorder à son siècle, l’amour de la patrie, d’une France ancrée dans l’histoire, rayonnant sur plusieurs continents, y portant sa langue, sa culture, son patrimoine, ses usages.

Comment ainsi éduqué, Michel Droit eût-il pu accepter l’effondrement de 1940 ? Le tout jeune étudiant de dix-sept ans fit partie, tout en continuant de s’instruire, de ceux qui, au péril de leur vie, déposèrent le 11 novembre 1940 une gerbe en forme de croix de Lorraine sur la tombe du Soldat inconnu.

Tôt entré dans le journalisme, clandestin certes, Michel Droit eut le bonheur d’assurer avec Maurice Schumann, le 26 août, le reportage de la cérémonie au cours de laquelle le général de Gaulle se recueillit sur la tombe du Soldat inconnu. Mais on se battait encore en cet été 1944, et il n’imagina pas de rester étranger aux combats. C’est à Ulm, presque au même endroit que son trisaïeul, Arnold Droit, blessé en 1805, que Michel fut, en avril 1945, atteint de deux balles. La médaille militaire si rarement accordée, et dont cet homme peu enclin à vanter ses propres mérites ne parlait guère, consacra son courage.

Autre consécration et combien remarquable, l’amitié qui le lia au général de Lattre ; et surtout, la confiance exceptionnelle que lui accorda son autre héros, le général de Gaulle. Si le libérateur de la France en fit son interlocuteur privilégié à la télévision après 1965, ce ne fut pas par hasard, mais parce que le Général avait su reconnaître dans le jeune journaliste un patriote, proche de lui par la force de ses convictions spirituelles et politiques.

Michel Droit fut tout d’abord journaliste, au sens le plus noble et étendu du terme, courant le monde pour le comprendre et l’expliquer ; mais aussi il consacra du temps au journalisme littéraire. Cependant le journaliste n’éclipsa jamais l’écrivain. Ses romans lui attirèrent d’emblée l’estime du grand critique Émile Henriot, puis de l’Académie qui lui décerna son Grand Prix avant de l’appeler à rejoindre ses rangs.

Michel Droit avait une qualité rare, il admirait ceux en qui il voyait un modèle de courage ou de talent. À ce chapitre, comment ne pas évoquer Joseph Kessel à qui il succéda à l’Académie, et à qui il ressemblait à bien des égards. Grand reporter comme lui, avide de tout connaître du monde, comme lui « grand vivant à la recherche de la vie dans ses manifestations les plus puissantes », pour reprendre une expression de Thierry Maulnier qui le reçut à l’Académie, Michel Droit était toujours prêt à servir. Son passé résistant et militaire en témoigne, mais aussi l’activité inlassable qu’il déploya à l’Académie.

Un jour cependant, ce destin heureux qui semblait rendre justice à un homme exceptionnellement droit, sans jeu de mot, intègre, loyal bascula vers le malheur de manière irrémédiable. Ce fut d’abord une mission remplie pour l’Académie; il la représenta au Conseil Supérieur de l’Audiovisuel. Et cela l’entraîna dans un terrible imbroglio judiciaire.

L’injustice subie fut reconnue, mais elle avait cependant blessé à mort cet homme dont l’honnêteté avait été scandaleusement mise en cause. Dès lors les catastrophes se succédèrent pour culminer avec la terrible maladie qui arracha peu à peu Michel Droit au monde conscient. Muré dans le silence, dans l’éloignement de tout, des siens, de la vie, Michel Droit vécut un calvaire qu’il avait identifié dans un premier temps, avec le courage qui toute sa vie l’avait caractérisé. Et nous, ses amis, nous assistions impuissants à cette descente vers un néant apparent.

Mais qui sait quelle part de conscience et de souffrance subsistait dans cette absence visible. Comment, pensions-nous, cet homme si beau, que sa stature, son visage énergique, son regard pénétrant apparentaient, disait encore Thierry Maulnier, « aux colosses militaires, aux grenadiers des guerres napoléoniennes », pouvait-il s’enfoncer, fantôme vivant, dans des ténèbres toujours plus denses ? Peut-être pour comprendre cette fin de vie tragique, ce destin si injuste – en quoi cet homme chaleureux, fidèle aux siens, à ses convictions, à son pays, à l’Académie avait-il mérité un tel sort ? – pour le comprendre, faut-il en appeler pour conclure à Jacques Maritain ? Celui-ci réfléchissant au sort de sa femme Raïssa, merveilleux esprit muré soudain dans le silence, concluait : « Nous avons compris elle et moi que Dieu ne frappe si impitoyablement que ceux qu’il aime d’un amour exceptionnel et dont il sait l’exceptionnelle aptitude à faire face à une telle épreuve. »