Centenaire de la naissance de René Boylesve, à La Haye-Descartes

Le 21 octobre 1951

Jacques de LACRETELLE

Centenaire de la naissance de René Boylesve

DISCOURS

PRONONCÉ PAR

M. JACQUES DE LACRETELLE

A LA HAYE-DESCARTES

LE JEUDI 21 OCTOBRE 1951

 

MESSIEURS,

L’Académie Française tient à féliciter la Municipalité de La Haye-Descartes et toute la population de cette ville pour le témoignage que le beau buste qui vient d’être dévoilé apporte à la mémoire de l’un des siens : René Boylesve.

Elle s’associe pleinement à cette manifestation. Et, pour ma part, ce n’est pas sans émotion que je revois les traits d’un écrivain qui fut un des enchanteurs de ma jeunesse et un amical conseiller lors de mes débuts.

René Boylesve appartient aux lettres françaises, c’est-à-dire à notre pays tout entier.

Il représente, plutôt qu’une province, une famille d’esprits que j’essaierai de définir tout à l’heure.

Mais vous avez raison, Messieurs, de le revendiquer. Vous faites bien d’honorer sa mémoire, car c’est vous qui l’avez formé. Et sa sensibilité, sa délicatesse d’analyse, son observation aiguë et discrète, en un mot sa patrie intérieure ne serait sans doute pas ce qu’elle fut, s’il n’avait eu sous les yeux le paysage et les figures parmi lesquels vous le replacez aujourd’hui.

Boylesve a toujours été attiré par les jardins. Il aimait à les décrire, il a déploré leur disparition. Soyez-en sûr, en lui donnant asile ici, vous réalisez un de ses vœux, vous achevez sa destinée. Votre ville, avec autant de fidélité que de bon goût, lui montre qu’elle l’a compris et qu’elle ne l’oubliera pas. Au nom de l’Académie Française, je suis heureux de vous exprimer mes remerciements.

Je vous disais que René Boylesve représentait, dans la lignée du roman français et même dans l’analyse psychologique, une famille d’esprits.

Vous en aurez une nouvelle preuve en écoutant les discours et les poèmes qui seront prononcés et récités, tout à l’heure.

Cette figure charmante et réservée, qui demandait peu aux autres, qui a fait son chemin à part, fuyant toutes les écoles littéraires, a toujours su rallier autour d’elle des amitiés sûres et des commentateurs perspicaces.

Sachez-le, lorsque l’Académie m’a fait l’honneur de me déléguer à Lahaye-Descartes pour la représenter aujourd’hui, plusieurs de mes confrères qui avaient connu votre compatriote mieux que je n’ai pu le faire, m’ont envié. Nous avons évoqué ensemble son souvenir, ils m’ont prié de transmettre leur message à sa ville natale. Bref j’ai pu voir combien sa personne était encore présente.

Qu’il ait conservé de ferventes amitiés, cela se conçoit, car tous ceux qui l’ont approché eurent de l’estime pour son caractère. Mais je crois que c’est aussi par le choix de ses sujets et sa manière d’étudier ses personnages, en un mot, par la qualité particulière de sa vision, qu’il a su grouper autour de lui ces fidèles.

Je ne sais plus qui a comparé la lecture d’un roman à un voyage. Ce que la plupart de nos lecteurs cherchent, sans le savoir peut-être, c’est un dépaysement, c’est la sensation d’un nouveau climat, c’est une introduction à certains paysages à peine entrevus, rêvés plutôt.

Nous autres romanciers ne serions, en somme, que des guides qui proposent autour d’eux des itinéraires sentimentaux.

Il y a, entre autres, la tournée classique, qui mène vers les lieux consacrés et les pieux pèlerinages. Il y a la descente vers les profondeurs souterraines. Il y a le voyage fantaisiste qui touche à la féerie.

L’itinéraire choisi par Boylesve était le voyage intime, L’inspiration lui venait lorsqu’il apercevait chez les êtres un sentiment imperceptible, une nuance de l’âme, ou du désir, un drame en puissance. Aussitôt, là était le modèle à peindre, là l’histoire à conter.

L’imagination d’un romancier, vous le savez, se met en branle de cent manières. C’est tantôt une action où nous avons été engagés, tantôt un témoignage brûlant de vérité, tantôt la violence d’un souvenir ou d’une vision qui nous harcèle et se développe en nous comme une légende.

Boylesve, lui, était attiré, inspiré, par les moments de délicatesse. Il jugeait que l’histoire du cœur humain était surtout intéressante à observer lorsqu’elle était pudiquement enclose en nous. Alors il s’en faisait le confident et il nous les révélait en sourdine, de même qu’il s’est fait l’historiographe de ces vieilles demeures provinciales qui nous entourent et enferment leurs secrets derrière leurs murs.

Relisez son œuvre, depuis Sainte Marie des Fleurs, la Becquée, l’Enfant à la balustrade, la Jeune fille bien élevée, et vous retrouverez toujours la même tonalité, le même registre. Il va vers le feu qui couve, vers l’ardeur qui ne s’extériorise procède avec un art de peintre, par petites touches fines et justes. L’excès, l’éclat, le rebutent comme un travail trop facile. Ce sont pour lui des fautes de goût qu’il ne commettra pas.

Est-ce à dire que cette œuvre est pâle, ou qu’elle est monologue ? Nullement. Car ce rêveur attentif a su être le mémorialiste de la province. Dans ce beau journal intime publié sous le titre de Feuilles tombées, il nous a parlé de son art et de ses intentions. Écoutez ce passage :

« Je remarque, en ce qui me concerne, et selon ma méthode inconsciente de penser — c’est-à-dire qui ne procède absolument d’aucune autre ni d’aucun guide — que j’ai toujours confondu ou mêlé les deux préoccupations du romancier : d’abord peindre la société, ensuite faire œuvre de beauté. Je disais dans mes préfaces : être historien, être poète. L’un me parait aussi nécessaire que l’autre. »

Et il est bien visai que Boylesve a su accorder sa délicatesse de cœur et son goût du beau avec les nécessités du réalisme et l’exactitude du peintre de mœurs. Je sais qu’aujourd’hui on fait fi des premières qualités. Le roman, pour quelques-uns, est devenu Image d’Epinal qui doit relater tout de suite et sous des couleurs crues les crises brutales ou les situations tranchées de notre époque. Mais, je le répète, il y aura toujours une famille d’esprits pour qui l’analyse des sentiments et même l’étude des sens s’imposeront avec d’autant plus de force si elles se dévoilent peu à peu aux yeux du lecteur, si elles procèdent par tâtonnements, par suggestions, telle que la vie, en somme, se déroule devant nous.

Dans un pays qui a vu naître la Princesse de Clèves, Armance, Dominique, le Lys dans la Vallée, Le Grand Meaulnes, rien n’est perdu pour les romanciers qui préfèrent les nuances aux couleurs vives et la complexité des sentiments à l’action. La descendance de René Boylesve sera encore goûtée chez nous.

Seront-ils, ces romanciers, fêtés et adulés autant que les autres ? Sont-ils assurés de connaître les honneurs et le bonheur ? Cela je n’en sais rien. Mais au fond ils ne le veulent pas.

Méditez cette simple ligne inscrite dans les Carnets de Boylesve : « Moi heureux ? J’aurais honte. » Et voyez comme cela met en lumière sa discrétion, sa modestie, ses scrupules. Souvenez-vous aussi de cet autre passage qui précise admirablement, il me semble, sa position à l’égard de la morale ou de la politique : « Je déteste les esprits anarchiques ; et les esprits purement conservateurs ne me plaisent qu’à moitié. Les seuls esprits que j’aime sont ceux où je découvre un sens anarchique spontané, mais perpétuellement et finalement dompté par le sens organisateur. C’est ce dualisme qui crée. »

Qu’en dites-vous ? Ne croyez-vous pas que ce soit là une vue meilleure et une doctrine plus féconde que tout ce que veut nous proposer aujourd’hui, avec tant de tapage, la littérature engagée ?

Aussi, Messieurs, je ne puis croire que les chemins suivis par René Boylesve soient jamais désertés dans notre littérature. Il se tient sur la voie royale du roman français, qui est le roman d’analyse. Et il ne s’est pas perdu dans l’abstraction. Il n’a pas trop raffiné sur le cœur humain ; il a su marier admirablement ses dons avec le sens de la théorie. Tous ses personnages ont des racines.

Voilà qui me ramène, Messieurs, à son autour pour votre région. Il l’a souvent proclamé, cet amour, et notamment dans ces quelques lignes que je veux relire pour vous, en guise de conclusion, dans ce cadre où son effigie va demeurer désormais.

« La seule vue de la pierre blanche ou grisâtre, d’aspect un peu tendre, de ce pays, me caresse. Et ces longs lointains, cet infini bleuâtre, parsemé de moulins à vent, et ce fleuve divisé en bras innombrables, ces suites de ponts à traverser, ces peupliers dont les groupes forment des lignes si grasses, si élégantes. Il y a de la noblesse, un choix délicat, une largeur supérieure, dans tous les éléments de ce pays. »

Il faut vous souvenir, Messieurs, de ces tendres épithètes. Soyez-en reconnaissants à celui qui les a écrites. Et n’est-il pas admirable que René Boylesve, sans le vouloir, ait défini son art en peignant la Touraine ? Noblesse, choix délicat, largeur supérieure — c’est-à-dire en interprétant les termes — compréhension un peu sceptique des êtres, tels sont les grands traits de son œuvre. Et je le souhaite, telle est la dernière leçon qu’il donnera ici ; dans ce jardin, aux jeunes gens qui viendront rêver aux images de la vie pour les transposer dans la fiction.